III. Une surveillance policière interétatique
sur les filières de sortie de faux documents d'identité
transitant vers les Etats non Schengen
626. D'abord, il s'agit de rechercher les accords
signés par l'Union européenne avec les pays tiers sur une
coopération renforcée luttant contre les filières de
sorties des trafiquants de faux documents d'identité (A). En pratique,
c'est l'accord entre gouvernement français et le gouvernement du
Royaume-Uni et l'Irlande de Nord qui se montre le plus remarquable pour suivre
ce type de criminels (B).
A) Etat des lieux des accords signés par l'Union
européenne avec les pays tiers relatif à une surveillance
policière des filières de sortie
627. Coopération policière avec les
pays tiers. L'Union européenne, et avant cela la
Communauté européenne, ont signé des accords externes
politiques avec les pays tiers (1) dont certains sont relatifs à une
coopération policière et douanière (2) qui sont des outils
de détection efficaces des déplacements de trafiquants de faux
documents d'identité au sein de filières de sortie. Puisque la
France est un Etat membre de l'Union européenne, il convient aussi de
prendre connaissance des accords bilatéraux qu'elle a pu signer avec des
Etats tiers sur une coopération en matière de
sécurité intérieure (3), accords poursuivant notamment
l'objectif de suivre les trafiquants de faux documents d'identité
hébergés dans des filières de sortie.
1. La conclusion d'accords politiques externes de l'Union
européenne avec les pays tiers
628. Surveillance policière non contraignante
sur les filières de sortie. Les accords externes entre l'Union
européenne et les pays tiers, c'est-à-dire les accords conclus
par les Etats membres de l'Union européenne avec les pays tiers, doivent
nécessairement être conformes aux Traités et aux Protocoles
et Conventions annexés dans ces traités. Les accords externes
sont des conventions conclues entre l'Union européenne (avec la
participation ou non des Etats membres) avec des pays tiers, groupements
régionaux ou organisations internationales614. Toutefois, les
accords externes n'ont pas de valeur contraignante, ils n'ont qu'une valeur
politique. Parmi ces
614
https://www.touteleurope.eu/actualite/la-hierarchie-des-normes-de-droit-de-l-union
europeenne.html
211
accords externes, certains ont été conclus en vu
de mettre en place une coopération policière et douanière.
Or, ce type de coopération participe indirectement à une
surveillance policière internationale sur le déplacement de
trafiquants de faux documents d'identité en partance pour des
territoires non-européens.
2. La conclusion d'accords externes entre l'Union
européenne et les pays tiers sur la coopération policière
et douanière participant à la détection de filières
de sortie aux frontières
629. Accord entre la Communauté
européenne et la République de Corée :
surveillance spéciale. La Communauté
européenne a signé un accord de coopération et
d'assistance mutuelle administrative en matière douanière avec la
République de Corée le 1er mai 1997615.
Plus précisément, l'article 3 b) dudit accord a pour but de
« simplifier, d'harmoniser, et d'informatiser les procédures
douanières » par une assistance sur demande ou spontanée.
Or, une « surveillance spéciale » peut être
exécutée par les autorités douanières à la
demande de l'autorité douanière compétente au regard de
l'article 5 dudit accord. Cette surveillance spéciale « peut
s'exercer sur les personnes physiques ou morales dont il y a raisonnablement
lieu de croire qu'elles effectuent ou ont effectué des opérations
contraires à la législation douanière », selon
l'article 5 a).
630. Surveillance des trafiquants de faux documents
d'identité par les douanes franco-coréennes. En
l'espèce, dans l'hypothèse où des trafiquants de faux
documents d'identité souhaitent quitter les frontières
européennes pour rejoindre le sol coréen, leurs
déplacements seront surveillés très étroitement
entre les douanes de l'Etat membre en question avec ceux de la
République de Corée, notamment par un échange de
renseignements très rapide et par l'établissement de
contrôles d'identité aux frontières aériennes
très renforcés.
615 L'accord du 1er mai 1997 est issu d'une
décision du Conseil du 26 avril 1997 relative à la conclusion de
l'accord de coopération et d'assistance mutuelle administrative en
matière douanière entre la Communauté européenne et
la République de Corée(97/291/CE).
631.
212
Autres accords similaires. Sur la même
idée, la Communauté européenne a signé un accord
externe avec Hong Kong relatif à la coopération et à
l'assistance administrative et mutuelle en matière
douanière616. Selon l'article 5 du présent accord, les
parties s'engagent à « prévenir, rechercher et poursuivre
les opérations contraires à la législation
douanière » et procèdent à des contrôles
d'identité aux frontières.
632. Enfin, la Communauté européenne a
signé un accord avec le Japon, ayant la même philosophie d'action,
qui est entré en vigueur le 1er février
2008617, avec le Canada, et enfin avec l'Inde.
633. Personnalité juridique de l'Union
européenne. Aujourd'hui, le terme de « communauté
européenne » a été remplacé par celui de
l'Union européenne. A la différence de la communauté
européenne, l'Union européenne dispose de « la
personnalité juridique » selon l'article 47 du TUE, depuis
l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1er
décembre 2009.
634. Accord entre l'Union européenne et la
Turquie sur la répression de l'immigration illégale uniquement
limité aux filières d'entrée. Par exemple, un
accord sur l'immigration entre la Turquie et l'Union européenne a
été signé le 18 mars 2016, nommé «
Déclaration UE-Turquie ». « Afin de démanteler le
modèle économique des passeurs et d'offrir aux migrants une
perspective autre que celle de risquer leur vie, l'UE et la Turquie ont
décidé ce jour de mettre fin à la migration
irrégulière de la Turquie vers l'UE. Afin d'atteindre cet
objectif, elles sont convenues des points d'action complémentaires
suivants »618: tous les migrants en situation
irrégulière sur le sol grec seront renvoyés, la Turquie
prendra toutes les mesures nécessaires pour éviter l'existence de
nouvelles routes illégales de migrants. C'est un accord externe
très intéressant mais il ne concerne que les filières
illégales prenant leur départ en Turquie en direction de l'Union
européenne, c'est-à-dire les filières d'entrée.
616 1999/400/CE : Décision du Conseil, du 11 mai 1999,
relative à la conclusion de l'accord de coopération et
d'assistance administrative mutuelle en matière douanière entre
la Communauté européenne et Hong Kong (Chine).
617 Accord validé par la décision du Conseil du
28 janvier 2008 relative à la conclusion de l'accord de
coopération et d'assistance administrative mutuelle en matière
douanière entre la Communauté européenne et le
gouvernement du Japon (2008/202/CE).
618
https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2016/03/18/eu-turkey-statement/
635.
213
Transition. Certes l'Union européenne
a elle-même signé des accords externes avec d'autres pays
internationaux en vu de surveiller le déplacement de personnes
dangereuses, mais certains Etats membres de l'Union européenne comme la
France se sont montrés en capacité juridiques d'en signer aussi
d'autres, notamment pour surveiller les déplacements de trafiquants se
dirigeant en dehors des frontières européennes.
3. La conclusion d'accords externes entre la France et les
pays tiers sur la coopération en matière de
sécurité intérieure participant à la
détection de filières de sortie de l'espace Européen
636. Constat. Le gouvernement
français a signé de nombreuses conventions bilatérales
avec des pays tiers à l'Union européenne relatives à la
coopération en matière de sécurité
intérieure.
637. Accord franco-croate luttant contre la fraude
documentaire se rattachant à l'immigration illégale.
Avant que la Croatie ne rentre dans l'Union européenne, le
Gouvernement français avait signé avec le gouvernement croate un
accord en matière de sécurité intérieure pour
lutter contre la criminalité qui sévissait dans les Balkans,
route d'entrée et/ou de sortie de l'espace Européen
empruntée par les criminels. Or, parmi les spécificités de
cet accord, le ministre des affaires étrangères français a
insisté sur la coopération policière contre « la
fraude documentaire se rapportant à l'immigration
irrégulière »619, en vertu de l'article
1er.
638. Accords renforcés de défense dans
la zone des Balkans. En parallèle, des accords franco-albanais
et franco-chypriotes sont venus renforcer la coopération
bilatérale en matière de défense. Ces accords ont permis
notamment « de développer des coopérations qui pourraient
devenir nécessaires alors que la stabilité des Balkans redevient
un sujet de préoccupation »620. Ces accords viennent
améliorer « les concepts
619
https://www.senat.fr/rap/l08-382/l08-382mono.html
620
http://www.senat.fr/leg/etudes-impact/pjl18-130-ei/pjl18-130-ei.html#fn6
: « 2.1 Initié en 2012 par la partie française, le
projet d'accord franco-albanais a été proposé en
février 2016 à la partie albanaise. Aux termes d'échanges
entre les deux parties par la voie diplomatique au début de
l'année 2017, le projet a été finalisé. La
dernière proposition française a recueilli l'accord
définitif de la partie albanaise lors du Conseil des ministres albanais
du 21 mars 2017. 2.2 S'agissant de l'accord franco-chypriote, la
République de Chypre a adressé à la partie
française, au début de l'année 2014, une proposition
d'amendement à l'accord de coopération en matière de
défense qui a été signé à Paris le 28
février 2007. La partie
214
de défense et de sécurité, l'organisation
et le fonctionnement des forces, la formation, l'armement et
l'équipement des forces armées »621, notamment en
vue de lutter contre les groupes de trafiquants de faux documents
d'identité intégrés à des filières
d'immigrations illégales en provenance ou en direction de l'Europe.
639. Accord de coopération en matière
de sécurité intérieure franco-géorgien luttant
notamment contre les faux documents d'identification. Dans une zone
plus reculée des Balkans, le gouvernement français a signé
un accord avec la Géorgie relatif à une coopération en
matière de sécurité intérieure622. Les
deux gouvernements ont eu « la volonté de contribuer activement
à la lutte contre les différentes formes de la criminalité
internationale, notamment dans le cadre de la convention des Nations unies
contre la criminalité transnationale organisée du 15 novembre
2000 et de la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite
des êtres humains du 16 mai 2005 ». Cette volonté de lutter
contre les différentes formes de criminalité internationale a
été reprise à l'article 1er de l'accord
régissant le domaine de la coopération : lutte contre la
criminalité organisée, lutte contre l'immigration
illégale, et surtout, lutte contre les faux documents
d'identification623. Afin d'assurer une réelle
effectivité de l'accord, les deux parties peuvent détacher et
mettre à disposition des officiers de liaison qui exercent simplement
une activité d'information et de conseil en vertu de l'article 3.
640. Existence d'une surveillance policière
effective sur les routes franco-géorgiennes. Cet accord
démontre qu'il existe bien une surveillance policière qui peut
être entreprise entre un Etat membre de l'Union européenne et un
Etat non-membre de l'Union sur des filières criminelles qui
préoccupent deux gouvernements, en sachant que les routes
franco-géorgiennes sont parfois empruntées par des fabricants de
faux documents d'identité au sein d'une filière d'immigration
illégale en provenance de l'Union européenne vers la
Géorgie.
chypriote souhaitait ainsi étendre les champs de la
coopération à l'échange d'expériences et de
connaissance ».
621 Ibid.
622 Décret n° 2015-1050 du 24 août 2015
portant publication de l'accord entre le gouvernement de la République
française et le gouvernement de Géorgie relatif à la
coopération en matière de sécurité
intérieure, signé à Paris le 26 novembre 2009.
623
https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2015/8/24/MAEJ1519739D/jo/texte/fr.
L'article 1.11 de l'accord concerne la lutte contre la fraude documentaire
à l'identité très précisément.
641.
215
Récent panorama des lieux de passages des
filières de sortie. Depuis la crise des réfugiés
datant de 2015, il est possible de faire un plan détaillé des
lieux de passages des filières de transit ou de sortie de l'Union
européenne. On sait dorénavant que les filières
d'entrée expertes dans la fraude documentaire transitent par la Turquie
pour entrer en Grèce, transitent par le Maroc pour entrer en Espagne, et
transitent par les Balkans pour intégrer la Croatie, la Roumanie ou la
Bulgarie. Ce ne sont plus des voies qui font office de « sortie » ou
de « transit » pour les trafiquants mais ce sont exclusivement des
voies d'entrées. C'est pour cela que l'application de ces accords
bilatéraux ne montrent pas une efficacité certaine quant à
leur effectivité sur des filières de transit en provenance de
l'Union européenne et en partance vers ces pays tiers. Toutefois, tout
porte à croire que les filières de « transit » se
dirigeraient actuellement vers le Royaume-Uni.
642. Transition vers la zone transmanche.
C'est dans cette zone transfrontalière qu'il faut concentrer
tous les moyens policiers de surveillance aujourd'hui, surtout que le
Royaume-Uni a subi des balbutiements politiques importants comme le
Brexit624, accord qui reste officieux puisqu'il n'est pas encore
effectif en application de l'article 50 du TUE, mais qui favorisera à
long terme l'arrivée de migrants en provenance de l'Iran et du
Pakistan.
B) L'effectivité d'une surveillance
policière sur les filières de sortie hébergeant des
trafiquants de faux documents entre la France et le Royaume-Uni
643. De l'Accord du Touquet au Traité de
Sandhurst. Déjà au sein de l'Accord du Touquet, les
relations franco-britanniques ont convergé vers les prémices
d'une surveillance policière sur les filières de sortie
d'immigration clandestine avec de la fraude documentaire (1), en sachant que
cette surveillance policière s'est encore plus consolidée entre
les deux Etats depuis la signature du nouveau Traité de Sandhurst en
2018 (2), notamment pour répondre efficacement à la crise des
réfugiés qui sévit en Europe depuis 2015.
624 FRANK (R.), « La construction de l'Europe : une
histoire cyclique », L'Europe, entre crises et rebond, Questions
internationales, La Documentation française, n°88
novembre-décembre 2017, p. 10 : « Le Brexit
décidé par les Britanniques en 2016 constitue même un
recul historique ».
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