2. L'ouverture d'une enquête policière
à partir du signalement d'un faux document intercepté aux
frontières extérieures de l'espace Schengen
400. Exercice d'un droit de poursuite et
réseau de liaison. Une enquête policière peut
être ouverte à partir du signalement d'un faux document
d'identité intercepté aux frontières extérieures de
l'espace Schengen. Une fois que les services de la douane, situés dans
un Etat Schengen, dont ses frontières sont limitrophes à celles
d'un Etat non Schengen, ont intercepté un faux document
d'identité, l'Etat sur le territoire duquel a été
signalée l'infraction d'usage de faux document d'identité sera en
mesure d'exercer son droit de poursuite à partir de la « mise en
place d'un réseau de liaison, composé de fonctionnaires
détachés chargés d'améliorer l'assistance et
l'échange d'informations entre les services répressifs des
différents Etats concernés »456.
401. Recours à des officiers de liaison.
Ce sont des officiers de liaison faisant partie d'autorités
répressives qui se transmettent mutuellement des renseignements. En ce
sens, la Convention Schengen de 1990 prévoit l'instauration d'un droit
d'observation à l'article 40 et d'un droit de poursuite à
l'article 41. Le premier droit nécessite une autorisation
préalable par l'autre Etat Schengen impliqué dans la
procédure alors que le second droit n'en nécessite point.
455 GAZIN (F.), « Accords Schengen », préc.
n° 37.
456 Ibid., n° 31.
402.
140
Droit d'observation sur le détenteur d'un faux
document d'identité. Le droit d'observation permet aux agents
douaniers de poursuivre leur observation sur le territoire d'une autre Etat
Schengen sur « une personne présumée avoir participé
à un fait punissable »457 lorsque cet Etat « a
autorisé l'observation transfrontalière sur la base d'une demande
d'entraide judiciaire présentée au préalable
»458. Ce peut être le cas lorsque le détenteur
d'un faux document d'identité a refusé d'obtempérer, ou si
les autorités douanières n'ont pas réussi à
l'appréhender au moment de la réalisation de l'infraction d'usage
de faux.
403. Ecoutes téléphoniques.
Les juges de cassation, le 9 juillet 2003, ont affirmé que les
dispositions de l'article 39 de la Convention Schengen du 19 juin 1990 «
autorisent la communication d'informations relatives à des
investigations, telles des écoutes téléphoniques,
effectuées dans des procédures suivies sur le territoire de
l'Etat concerné »459. Lorsqu' un ou plusieurs individus
détenteurs de faux documents ont réussi à traverser
plusieurs Etats Schengen, en sachant que les faux documents ont
été signalés et fichés sur le SIS, les policiers
d'un Etat Schengen peuvent avoir été sommés par le
procureur de la République, ou par toute autre autorité
judiciaire, de mettre en place des écoutes téléphoniques,
régies, en France, aux articles 100 et suivant du CPP, sans porter
préjudice aux investigations entreprises par la suite par une autre
équipe de police compétente sur le ressort territorial autre Etat
Schengen.
404. Droit de poursuite transfrontalière en
cas d'infraction flagrante. Le droit de poursuite
transfrontalière permet la recherche par les agents de la douane, ou
autre équipe de police d'un Etat Schengen sur le territoire d'un autre
Etat Schengen sans autorisation préalable notamment « si le suspect
vient de commettre une infraction flagrante sur son territoire. Ce droit de
poursuite ne peut se faire qu'avec la collaboration des autorités
locales. Il ne permet pas aux poursuivants de procéder eux-mêmes
à l'arrestation ni même, en principe, à l'interpellation,
sauf si les autorités locales ne peuvent agir avec une
célérité suffisante »460.
457 Ibid., n° 33.
458 Article 39 de la CAAS.
459 Cass. Crim., 9 juillet 2003, bull. n° 134;
Dalloz 2003. IR 2285.
460 GAZIN (F.), « Accords Schengen », préc.,
n° 33.
405.
141
Application du droit de poursuite
transfrontalière au détenteur d'un ou de plusieurs faux documents
d'identité. Lorsque l'individu détenant un ou plusieurs
faux documents d'identité, document(s) signalé(s) sur le SIS, a
été aperçu au moment de la réalisation de
l'infraction ou dans un temps très proche, et que celui-ci a franchi la
frontière d'un autre Etat Schengen B, les équipes de police
situées sur l'Etat Schengen A, où l'individu a commis
l'infraction initiale, pourront se transporter au-delà de leur ressort
de compétence territoriale du fait de l'existence de la flagrance, du
fait de la nécessité de l'urgence de rechercher des indices
matériels sur le territoire de l'Etat voisin B, pour éviter leurs
dépérissements. Les policiers pourront agir de leur propre
initiative à condition d'avoir informé une autorité
judiciaire habilitée à ouvrir une enquête de flagrance, ou
sous la direction de l'autorité judiciaire directement. Seul
bémol au droit de poursuite des autorités françaises :
l'interpellation du suspect détenteur de faux documents
d'identité sera de la compétence exclusive des autorités
locales, en vertu des principes de la territorialité et de la
souveraineté nationale, principes directeurs en droit international
depuis l'arrêt Lotus rendu par la Cour Internationale de justice
le 7septembre 1927.
406. Intervention d'Europol. Dernier
intervenant dans l'ouverture d'une enquête après le signalement
d'un document invalidé aux frontières extérieures des
Etats membres de l'Union européenne : Europol ou « Agence de
l'Union européenne pour la coopération des services
répressifs »461, depuis 2016, qui a compétence
pour regarder les objets signalés dans le SIS.
407. Europol : facilitateur d'enquêtes.
« Le but d'Europol est d'améliorer la lutte contre la
criminalité organisée lorsqu'au moins deux de ses pays membres
sont concernés par un phénomène »462.
L'Agence « assume des missions avant tout centrées sur
l'échange d'informations. Europol favorise l'échange
d'informations entre pays membres, procède à l'analyse de ces
informations, communique sans délai aux services compétents les
informations qui les concernent, facilite les enquêtes dans les
différents
461 Règlement (UE) 2016/794 du Parlement
européen et du Conseil du 11 mai 2016relatif à l'Agence de
l'Union européenne pour la coopération des services
répressifs (Europol) et remplaçant et abrogeant les
décisions du Conseil 2009/371/JAI, 2009/934/JAI, 2009/935/JAI,
2009/936/JAI et 2009/968/JAI.
462 GAUDIN (V.), ROUX (E.), « Coopération
policière internationale », Rép. pén.,
octobre 2010 (actualisation : octobre 2017), n° 119.
142
États membres en transmettant les informations utiles,
et enfin gère des recueils d'informations automatisés
»463.
408. Europol : compétence informative et
pouvoirs opérationnels. L'appui de l'Agence ne concernait donc
que des actes non opérationnels, à titre de renseignements
policiers. A l'origine, Europol était « uniquement doté
d'une compétence informative, c'est-à-dire que ses fonctions se
limitaient au Système d'information Europol, alimenté par les
Etats de renseignements entrant dans son champ de compétence, et
l'analyse criminelle stratégique et opérationnelle. Mais les
protocoles du 30 novembre 2000, du 28 novembre2002 et du 27 novembre 2007,
entrés en vigueur le 29 mars 2007, en plus d'élargir le mandat de
l'Office, lui ont confié des pouvoirs opérationnels lui
permettant de participer à des équipes communes d'enquêtes
(ECE) et de demander à un Etat membre d'ouvrir une enquête
»464.
409. Rayonnement étendu de la
compétence d'Europol. Europol possède un rayonnement
dépassant les frontières extérieures de l'Union
européenne au sens strict puisque cette structure a compétence
sur le territoire des Etats Schengen. En clair, Europol a compétence sur
le territoire de la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie quoique ce sont des
Etats membres de l'Union européenne qui n'appliquent pas la libre
circulation spécifique à l'espace Schengen, et ils conservent
ainsi leurs contrôles aux frontières. D'autres Etats, comme la
Suisse, la Norvège et l'Islande, ne sont pas des Etats membres de
l'Union européenne, mais sont signataires des accords Schengen et les
appliquent. Sur ces territoires, Europol a aussi compétence. Enfin, le
Royaume-Uni et l'Irlande sont des Etats membres de l'Union européenne
mais non signataires des accords Schengen465, ce qui n'empêche
pas Europol d'intervenir sur ces territoires.
463 Ibid.
464 HERRAN (T.), Essai d'une entraide policière
internationale, Thèse, Université de Pau et de l'Adour,
2012, n° 22, p. 24.
465
https://www.touteleurope.eu/les-pays-membres-de-l-espace-schengen.html.
V. Ann., n°6 : « Les pays membres de l'espace Schengen ».
410.
143
Modalités d'accès au SIS pour Europol et
hypothèses d'assistances apportées par Europol. Selon
l'article 100 Bis de la Convention de Schengen de 1990, l'Agence
Europol peut avoir accès au SIS, et notamment aux faux documents
d'identité signalés comme invalidés aux frontières
extérieures de l'espace Schengen. Europol peut apporter une assistance
aux Etats Schengen de trois manières.
411. Soit Europol détache ses membres aux ECE au
niveau de l'espace Schengen466. Les ECE intéressent plusieurs
Etats membres de l'Union européenne selon l'article 13 de la Convention
relative à l'entraide judiciaire en matière pénale du 29
mai 2000, et de la décision-cadre du 13 juin 2002, uniquement pour les
enquêtes complexes recouvrant le domaine de la criminalité
transfrontalière467. Or, des ECE peuvent très bien
être mises en place pour retrouver la trace d'un ou de plusieurs faux
documents d'identité circulant au sein de l'espace Schengen, par exemple
grâce à un protocole d'accord entre l'Espagne, la France, et le
Royaume-Uni, ou grâce à un protocole d'accord entre la
Grèce, l'Italie et la France.
412. Soit les personnels de police d'Europol vont participer
aux ECE exclusivement entre les Etats membres de l'Union, en vertu du
Règlement Agence Europol du 11 mai 2016, directement applicable dans la
législation interne des Etats membres. Selon l'article 4 du
Règlement, l'Agence Europol a pour mission de coordonner, organiser et
réaliser des enquêtes et des actions opérationnelles pour
soutenir et renforcer les actions des autorités compétentes des
Etats membres, qui sont menées conjointement avec les autorités
compétentes des Etats membres, ou dans le cadre d'ECE, ou de participer
à des ECE, ainsi que proposer leur constitution conformément
à l'article 5 du Règlement. Ainsi, « pour faciliter les
investigations entre les autorités coopératives, le personnel
d'Europol pourrait alors communiquer directement aux membres de l'équipe
les informations provenant de tout élément des
466 Point n° 10 du Préambule du Règlement
UE 2016/794 relatif à l'Agence Europol : « Lors de la
création d'une équipe commune d'enquête, l'accord
concerné devrait fixer les conditions relatives à la
participation du personnel d'Europol à l'équipe. Europol devrait
cosigner par procès-verbal sa participation aux équipes communes
d'enquête qui portent sur les activités criminelles relevant de
ses objectifs. En pratique, « il s'agit de créer une équipe
dans un État de l'Union européenne en y adjoignant des
professionnels étrangers dénommés membres
détachés. Ces derniers participeront ainsi à une
procédure hors de leur territoire et pourront, si besoin est, demander
à leurs propres autorités de répondre aux
nécessités de l'enquête. L'objectif affiché est la
simplification et la rapidité des procédures et de l'entraide. En
droit interne, cette modalité de l'entraide est prévue aux
articles 695-2 et 695-3 du CPP »., V. en ce sens AUBERT (B.), «
Entraide judiciaire : matière pénale », Rép.
intern., 2005, n° 176.
467 GAUDIN (V.), ROUX (E.), « Coopération
policière internationale », préc., n° 123.
144
systèmes de traitement de l'information
»468, dont le signalement d'objets - supports d'identité
- lus comme invalidés par les douaniers.
413. Soit les personnels de police d'Europol prennent
l'initiative de l'ouverture d'une enquête pénale sur le territoire
d'un des Etats membres469. En vertu de l'article 6.1 du
Règlement du 11 mai 2016, « dans les cas particuliers où
Europol considère qu'une enquête pénale devrait être
ouverte au sujet d'une forme de criminalité relevant de ses objectifs,
elle demande aux autorités compétentes des États membres
concernés, par l'intermédiaire des unités nationales,
d'ouvrir, de mener ou de coordonner cette enquête pénale ».
Dans cette hypothèse, « les unités nationales470
informent sans retard Europol de la décision des autorités
compétentes des États membres concernant toute demande introduite
en application du paragraphe 1 » selon l'article 6.3. Si Europol souhaite
l'ouverture d'une enquête, elle doit en informer Eurojust et transmettre
sa demande aux États membres. Ces derniers traitent toute demande
émanant de l'Agence visant à ouvrir, mener ou coordonner des
enquêtes dans des affaires précises et font savoir à
Europol si l'enquête demandée sera ouverte471.
414. En l'occurrence, l'Agence Europol peut juger qu'une
affaire grave concernant la circulation de faux documents d'identité,
documents signalés au SIS, nécessite l'ouverture d'une
enquête policière européenne. Pour cela, l'Agence Europol
va essayer de mobiliser des unités nationales de liaison de transfert
d'informations sur la circulation du faux document d'identité
présentes sur les territoires des Etats membres concernés, tout
en respectant la souveraineté et les compétences territoriales de
chacun d'eux. Il est indéniable que pour que l'assistance
policière soit de qualité, les Etats membres avertis de
signalements au sein du SIS, vont suivre à la lettre la recommandation
du 28 septembre 2000. L'Agence Europol agit donc, sur une plus grande
échelle, comme un OPJ français, de sa propre initiative du fait
de la flagrance du délit à caractère transfrontalier,
avant d'avertir toutes les autorités étatiques concernées
par l'infraction commise.
468 Ibid.
469 Ibid., n° 124.
470 Selon l'article 7.2 du Règlement Europol, «
chaque État membre met en place ou désigne une unité
nationale, qui constitue l'organe de liaison entre Europol et les
autorités compétentes de cet État membre. Chaque
État membre désigne un fonctionnaire comme chef de son
unité nationale ».
471 GAUDIN (V.), ROUX (E.), « Coopération
policière internationale », préc., n° 124.
415.
145
Transition. A partir de tous ces pouvoirs
d'enquête qui existent entre les Etats membres de l'Union
européenne, les Etats Schengen, et l'Agence Europol relevant d'un
signalement d'un faux document d'identité invalidé aux
frontières, la question est de savoir s'il est possible de retracer les
voies de distribution et de fabrication du document intercepté aux
frontières extérieures de l'Union européenne par la
douane.
|