2. La bande organisée : second degré de
complexité de l'organisation criminelle de trafiquants
312. Intérêt. La circonstance
de bande organisée dispose de conditions juridiques complexes
applicables aux trafiquants de faux documents d'identité (a), qui se
révèlent être très intéressante pour le juge
français, notamment concernant la possibilité de
déclencher une procédure dérogatoire du droit commun
empiétant sur le respect des droits fondamentaux des trafiquants,
à toutes les phases de la procédure pénale (b).
a) Les conditions juridiques complexes de la bande
organisée appliquées aux trafiquants de faux documents
d'identité
313. Groupement structuré de trois personnes
ou plus existant depuis un certain temps. C'est le Conseil
constitutionnel qui est venu établir les conditions de la bande
organisée. Dans sa décision du 2 mars 2004382, le
Conseil constitutionnel s'est fondé sur la Convention de l'ONU relative
à la criminalité transnationale organisée en affirmant que
la bande organisée devait s'entendre comme « un groupe
structuré de trois personnes ou plus existant depuis un certain temps et
agissant de concert, dans le but de commettre une ou plusieurs infractions
graves ou établies conformément à la convention pour en
tirer un avantage financier ou un autre avantage matériel
»383. C'est donc une structure plus complexe que celle de
l'association malfaiteurs du fait notamment de la nécessaire
présence d'un groupe de trois trafiquants ou plus se connaissant depuis
un certain temps et agissant de manière structurée, avec pour
chacun d'eux des rôles nettement définis de concert.
382 Cons. Const., décision n° 2004-506 DC du 2
décembre 2004 relative à la Loi de simplification du
droit.
383 BARON (E.), La coaction en droit pénal,
préc., n° 39, p. 51.
314.
107
Précisions jurisprudentielles des
différences avec l'association de malfaiteurs. La jurisprudence
est venue éclaircir les conditions d'application de la bande
organisée le 8 juillet 2015. Les juges de Cassation dégagent deux
différences avec la structure simple de l'association de malfaiteurs.
315. Critère temporel. La
première condition de la structure criminelle en bande organisée
réside dans l'existence d'une structure depuis un certain temps. En ce
sens, « la seule constitution d'une équipe de plusieurs malfaiteurs
ne peut suffire à qualifier la bande organisée dès lors
que cette équipe ne répond pas au critère
supplémentaire de structure existant depuis un certain temps
»384. Ainsi, dans le cadre de la bande organisée, les
trafiquants de faux documents d'identité se connaissent et entretiennent
des liens très étroits entre eux depuis une certaine
durée.
316. Organisation des rôles. La
seconde condition de la structure criminelle en bande organisée
réside dans l'existence de rôles définis entre les membres.
Les juges de cassation apportent une précision importante à la
bande organisée : celle-ci « suppose la préméditation
des infractions et, à la différence de l'association de
malfaiteurs, une organisation structurée entre ses membres
»385. Partant, la bande organisée se matérialise
donc par une organisation hiérarchisée entre ses membres.
Concrètement, chacun des membres qui compose la structure du trafic de
faux documents d'identité obéit à un chef qui dicte et
organise l'action de chacun de ses subordonnés. Il se crée un
lien pyramidal, avec à la tête de la structure le chef d'une
« filière illicite d'entrée, de maintien, ou de sortie de
migrants », selon Stéphane PIDOUX, qui emploie des
subordonnés spécialisés dans la fraude documentaire, en
vue de réaliser des faux documents d'identité pour assurer le
passage de frontières internationales en toute impunité.
317. Application au trafic. Les conditions
de la bande organisée seront applicables au trafic de faux documents
d'identité uniquement si les trafiquants se sont structurés
depuis un certain temps et qu'il s'est établi au sein de cette
même structure une hiérarchie qui lie les trafiquants. Elle est
donc plus complexe dans son organisation interne que celle de l'association de
malfaiteurs.
384 Cass. Crim., 8 juillet 2015, N° 14-88.329 P, Dalloz
Actualité, 31 août 2015, Obs. Bénelli de
Bénazé.
385 Ibid.
108
b) La mise en place des procédures
dérogatoires attentatoires aux droits et libertés à l'aune
des trafiquants
318. Procédures dérogatoires
intégrant la bande organisée issues de la loi Perben II.
Lorsque la structure des trafiquants relève de la bande
organisée, il convient de s'intéresser en priorité
à la loi du 9 mars 2004 « Perben II » qui a retenu une
multitude « d'infractions parmi lesquelles revient souvent la notion de
bande organisée, afin de leur appliquer des procédures
particulières, dérogatoires de celles du droit commun
»386 aux articles 706-73 et 706-73-1 du CPP.
319. Hypothèses d'application au trafic.
De nombreuses procédures applicables à la
criminalité et à la délinquance organisées peuvent
s'appliquer à une organisation criminelle de trafiquants de faux
documents d'identité structurée en bande organisée.
320. Dans l'hypothèse où les trafiquants de
faux documents d'identité feraient partie d'une filière
d'immigration illégale, l'article 706-73 13° du CPP relatif au
« délit d'aide à l'entrée, à la circulation et
au séjour irrégulier d'un étranger en France commis en
bande organisée » pourrait permettre d'appliquer une
procédure dérogatoire envers ces derniers à tous les
stades de la procédure pénale : au moment de l'enquête, de
la poursuite, de l'instruction et du jugement.
321. A la suite de la vente secrète du faux document
d'identité ayant eu lieu au sein d'une filière d'immigration
illégale, les trafiquants peuvent décider de blanchir l'argent
récupéré de la vente ou de receler le document
récupéré. En ce sens, l'article 706-73 14° du CPP
relatif aux « délits de blanchiment prévus par les articles
324-1 et 324-2 du CP, ou de recel prévu par les articles 321-1 et 321-2
du même code, du produit, des revenus, des choses provenant » du
délit d'aide à l'entrée, à la circulation et au
séjour irrégulier d'un étranger en France commis en bande
organisée viendrait à s'appliquer.
386 BARON (E.), La coaction en droit pénal,
préc., n° 30, p. 42.
322.
109
Particularité en la matière, l'article 706-73
15° du CPP intègre le délit d'association de malfaiteurs
prévu par l'article 450-1 du CP, lorsqu'il a pour objet la
préparation du délit d'aide à l'entrée, à la
circulation et au séjour irrégulier d'un étranger en
France commis en bande organisée relevant des conditions
procédurales dérogatoires des articles 706-73 et suivant du CPP.
Dans ce cadre, deux structures complexes faisant intervenir des trafiquants de
faux documents d'identité peuvent se cumuler malgré l'autonomie
de l'association de malfaiteurs et le caractère aggravant de la bande
organisée, uniquement en cas de trafic illicite de migrants.
323. Tempéraments. Certes des liens
de participation criminelle peuvent se nouer par avance entre les trafiquants,
mais certains peuvent apparaître par simple opportunité.
B) Des liens de participation criminelle distendus entre
les trafiquants de faux documents d'identité en cas de la
réalisation d'une infraction opportuniste
324. Infractions d'opportunités : aucune
entente et distension des liens entre les trafiquants. Les conditions
préalables des infractions de faux documents d'identité doivent
obligatoirement être réalisées au sein d'une organisation
criminelle internationale de trafiquants. Or, selon Stéphane PIDOUX, il
existe aussi des faussaires « opportunistes ». Ainsi, à
côté des infractions collectives par nature, viennent en
opposition les « infractions commises collectivement »387
ou « par accident »388qui peuvent se définir comme
un comportement individuel commis à plusieurs. Aucune entente n'a
réellement été mise en place entre les trafiquants avant
de commettre une ou plusieurs infractions de faux documents d'identité :
les liens entre les trafiquants se trouvent très distendus, puisque
certains trafiquants de faux documents d'identité peuvent agir seuls en
dehors de tous liens avec une organisation criminelle de trafiquants.
Concrètement, deux hypothèses se dégagent de cette
idée
« [d'] opportunité », l'une sur le terrain
physique et l'autre sur le terrain dématérialisé.
387 Selon Elisa BARON.
388 ROUSSEAU (F.), L'imputation dans la
responsabilité pénale, Dalloz, Nouvelle bibliothèque
de Thèses, 2009, n° 245.
325.
110
Hypothèse d'une officine de fabrication de faux
documents gérée par un seul faussaire. Sur le terrain
physique, selon Stéphane PIDOUX, un faussaire peut disposer seul, sans
aucune aide matérielle extérieure, d'une officine de fabrication
de faux documents d'identité en vue de réaliser son propre
commerce illicite vis-à-vis d'acheteurs qui ne font pas partie non plus
d'une organisation criminelle de trafiquants. Rien n'est prévu à
l'avance, rien n'est structuré à l'avance. C'est la mise en
lumière de la théorie criminologique du choix rationnel
développée par Cohen et Felson en 1979 qui prend tout son sens
dans cette hypothèse. En effet, selon ces auteurs, trois conditions sont
nécessaires pour que cette théorie s'applique : « la
présence d'un criminel, la disponibilité d'une cible et l'absence
de moyens de surveillance »389.
326. En l'occurrence, le criminel ayant des savoir-faire
avancés en matière de falsification de documents et suffisamment
d'argent pour se procurer un matériel « dernier cri » sera en
mesure de réaliser son commerce en toute illégalité
à l'abri des regards, par exemple dans son domicile, en vue de faire un
maximum de bénéfices. Pour cela, il lui suffira d'attendre la
disponibilité d'un acheteur qui ressentirait le besoin d'utiliser un
faux document en vue de réaliser un avantage matériel personnel.
Dans cette situation, les qualifications de bande organisée ainsi que
d'association de malfaiteurs sont à exclure.
327. Faits opportunistes délictueux commis en
réunion. En revanche, ce mode de participation criminelle sous
la forme d'une opportunité peut être qualifié de faits
délictueux commis en réunion. La circonstance de réunion
se distingue de la bande organisée car elle ne recouvre que « la
commission d'une infraction par plusieurs personnes »390,
entendu comme une action collective sans préméditation. La
circonstance aggravante de la réunion est donc une action collective
inorganisée et occasionnelle répondant à l'idée
d'une action opportuniste de coauteurs ou complices réalisant une
infraction liée aux faux documents d'identité.
389 POUPART (J), « Choix rationnel et criminologie :
limites et enjeux », Sociologie et sociétés, 34(1),
2002, p. 133-145.
390 BARON (E.), La coaction en droit pénal,
préc., n° 39, p. 41.
111
328. Certains vendeurs indépendants de faux
documents d'identité présents sur Internet. Sur le
terrain dématérialisé, selon Stéphane Pidoux,
certains vendeurs de faux documents sur Internet peuvent agir seuls en dehors
de tout lien avec une organisation criminelle de trafiquants. Or, de nombreuses
informations personnelles venant de l'acheteur « sont
déclarées nécessaires à la fabrication des
documents. Certains vendeurs semblent toutefois également exploiter ces
données pour faire pression sur les acheteurs. En effet, dans le cas
où un acheteur mécontent voudrait se faire rembourser le document
ou à l'occasion d'une escroquerie, le vendeur peut faire pression en
menaçant de divulguer les informations personnelles de l'acheteur ou
d'en faire mauvais usage. Un grand nombre d'éléments soutiennent
l'hypothèse selon laquelle une proportion non négligeable des
sites de faux documents d'identité sont, en réalité, des
sites escrocs ayant pour but de générer des profits faciles en ne
livrant aucune marchandise »391. Ainsi, les vendeurs
indépendants sur Internet peuvent se révéler très
dangereux puisque les acheteurs n'ont aucune connaissance précise de
l'identité du vendeur, c'est en cela qu'ils pourront user de leur
position dominante vis-à-vis de l'acheteur pour l'escroquer et/ou pour
dévoyer les informations personnelles de ce dernier.
L'opportunité de réaliser un profit illicite occulte sera
très tentante pour le vendeur, car les risques de poursuites
pénales le concernant seront très minces. Des liens de
participation criminelle entre un vendeur et un acheteur, simples
commerçants convergeant vers la vente d'un faux document
d'identité, peuvent se révéler plus avantageux pour le
vendeur que pour l'acheteur qui se trouve naturellement dans une situation de
faiblesse, car le risque d'une escroquerie est fortement probable.
391 BELLIDO (L.), BAECHLER (S.), ROSSY (Q.), «The
sale of false identity documents on the Internet», préc., 70
(2), p. 233-249.
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