2. Un lien de complicité entre le faussaire et le
tiers administratif déclarant
282. Complicité du tiers administratif
déclarant. La complicité sera applicable à partir
du moment où l'agent administratif jouera le rôle du
déclarant pour le faussaire. Le vocable « déclarant »
doit être compris dans le sens d'un ordre de falsification donné
par le tiers administratif au trafiquant faussaire, qui va réaliser
matériellement la fausse pièce d'identité. En ce sens, le
rôle du déclarant - agent administratif - « est alors celui
du complice qui agit par instruction ou provocation »353 selon
l'article 121-7 alinéa 2 du CP. Plus précisément, il y a
complicité lorsque le complice a « connaissance du fait
délictueux principal et de la volonté d'y prendre part
»354, et « cela vaut pour la complicité par aide et
assistance, il en va de même pour ce qui est de la complicité par
instigation »355. En l'occurrence, le tiers administratif
complice a eu connaissance de la réalisation de l'infraction de faux
document d'identité, en sachant qu'il a eu la volonté d'y prendre
part en donnant l'ordre au faussaire, auteur principal, d'inscrire les mentions
fausses sur le support d'identité.
283. Acte d'instigation du tiers administratif avant
ou au moment de la falsification matérielle du faux document
d'identité. De plus, la complicité se caractérise
par des actes antérieurs ou concomitants à l'infraction, ce n'est
qu'à cette condition que ces actes pourront être en lien de
causalité avec l'infraction356. En l'espèce, le tiers
administratif accomplit l'acte de complicité par instigation avant ou
concomitamment à la réalisation de la falsification
matérielle du faux document d'identité, ce qui permet d'affirmer
qu'il existe un lien causal entre l'infraction principale de falsification du
document d'identité réalisée dans tous ses
éléments constitutifs par le faussaire, et la complicité
apportée par le tiers administratif précédemment à
cet acte de falsification.
353 MALABAT (V.), « Faux », préc., n°
61.
354 VERNY (E.), Le membre d'un groupe en droit
pénal, Thèse, LGDJ, Bibliothèque des sciences
criminelles, 2002, n° 206.
355 BARON (E.), La coaction en droit pénal,
préc., n° 56, p. 53.
356 GARE (T.), GINESTET (C.), Droit pénal -
Procédure pénale, Dalloz, Hypercours, 5ème
éd., 2008, n° 234, p. 135.
284.
97
Transition. Au moment de la
réalisation de la vente secrète du faux document
d'identité, il se crée indéniablement une unité
temporelle entre les trafiquants, car il se produit un lien de coaction rendant
interdépendant ces deux acteurs, excluant ainsi la possibilité
d'une simple complicité.
B) Un lien de coaction entre les trafiquant-vendeur et
trafiquant-acheteur au moment de la réalisation de la vente du faux
document d'identité
285. Plusieurs conditions liées à la coaction
lors de la vente secrète du faux document d'identité doivent
être vérifiées concernant les trafiquants : un
élément psychologique lié à l'adhésion
à un projet commun (1), un élément matériel
caractérisé par une assistance réciproque et des actes
concomitants (2), et un élément causal intense créant une
indivisibilité entre les trafiquants coauteurs (3).
1. L'adhésion à un projet commun entre le
trafiquant-vendeur et le trafiquant-acheteur
286. Entente : condition
nécessaire à l'adhésion au projet commun. «
Alors que l'adhésion supposerait la poursuite d'un projet commun,
véritable idéal collectif comme en matière terroriste, il
n'en irait pas de même pour l'entente qui imposerait un simple accord
ponctuel entre les différents participants »357. Lors de
la réalisation de la vente du faux document d'identité, non
seulement il existe une entente entre les trafiquants formée par un
simple accord verbal, mais surtout une volonté commune de
réaliser un projet commun de vente dans le secret pour échapper
aux poursuites pénales. L'entente est donc une sous condition
nécessaire à l'adhésion au projet commun entre les
trafiquants.
287. Entente : réciprocité dans la
conscience et la volonté de coopération. En effet,
« envisagée comme un accord entre deux ou plusieurs individus,
l'entente suppose alors une réciprocité dans la conscience et la
volonté de coopération. Et c'est cette réciprocité
dans la volonté de s'associer qui apparaît comme le propre de la
coaction : chaque coauteur est conscient de la participation de l'autre et
souhaite coopérer à son action. De là vont se nouer des
liens étroits entre coauteurs, plus qu'entre
357BARON (E.), La coaction en droit pénal,
préc., n° 50, p. 59.
98
complice et auteur principal »358. En
l'occurrence, l'entente entre les trafiquants vendeur et acheteur est
réciproque quant à la volonté de coopérer à
la réalisation de la vente secrète du faux document
d'identité. Chaque trafiquant est donc conscient de la participation de
l'auteur et souhaite ainsi participer à la vente secrète du faux
document d'identité, point culminant de l'entente. Par
conséquent, cette première condition psychologique est
réalisée dans tous ses éléments au moment de la
réalisation de la vente secrète du faux document
d'identité.
288. Transition. En plus de cet
élément psychologique, il convient de vérifier
l'élément matériel de la coaction liée à
cette vente secrète.
2. La matérialité de la coaction lors de la
vente secrète du support d'identité falsifié par une
assistance matérielle et des actes concomitants entre les trafiquants
289. Composante de la matérialité de la
coaction. La matérialité de la coaction liée
à la vente secrète du faux document d'identité se
décompose en une assistance matérielle (a) et en actes
concomitants entre les trafiquants (b).
a) Une assistance réciproque entre les trafiquants
lors de la réalisation de la vente secrète du faux document
d'identité
290. Rôles précis et interchangeables.
Il y a une assistance réciproque lorsque « chaque coauteur
a un rôle précis, déterminé »359,
sachant que les rôles sont « interchangeables au gré des
circonstances »360 entre les trafiquants. En l'occurrence, la
dépendance matérielle entre les trafiquants ne fait aucun doute
puisque l'aide de l'un va apporter nécessairement une aide à
l'autre.
291. Réciprocité d'action.
L'aide apportée par le trafiquant-vendeur se matérialise
par la réalisation de la falsification du faux document
antérieure à la vente, alors que le trafiquant acheteur va aider
le trafiquant-vendeur à réaliser un profit secret au moment du
paiement de la vente du support falsifié. Il existe donc
nécessairement une assistance réciproque entre les trafiquants,
qui représente le caractère de l'un « des
358 Ibid., n° 91, p. 93.
359 Ibid., n° 282, p. 232.
360 Ibid.
actes de la coaction »361. L'autre acte
spécifique à la coaction concerne les actes
concomitants.
b) Les actes concomitants des trafiquants lors de la
réalisation de la vente du faux document d'identité
292. Concomitance et absence d'unité de lieu
de la vente secrète. D'abord, « la concomitance n'implique
pas une unité de lieu, même s'il est vrai que la plupart du temps,
les coauteurs se trouveront au même moment sur le lieu de commission de
l'infraction »362. Or, cette absence nécessaire d'une
unité de lieu lors de la réalisation de la vente fait entrer dans
les actes concomitant la vente à distance, par Internet, du document
d'identité falsifié. Ainsi, la concomitance de l'acte de vente
entre les trafiquants peut se dérouler soit au même moment sur
lieu de la vente secrète in manu, soit dans un lieu
géographique différent notamment par l'envoi de courriers postaux
des supports falsifiés.
293. Concomitance et unité temporelle de la
vente secrète. Plus encore, « les actes concomitants
à l'infraction sont ceux qui en accompagnent la réalisation, et
s'entendent alors d'une unité temporelle »363. En ce
sens, l'acte de la vente secrète du faux document d'identité
permet de lier directement l'infraction de faux et celle de l'usage de faux
document d'identité, créant ainsi une unité temporelle
dans la coaction des trafiquants.
294. Lien causal. Les éléments
psychologique et matériel de la coaction lors de la vente secrète
du faux document d'identité se lient indéniablement entre eux par
une causalité étroite.
99
361Ibid., n° 282, p. 232.
362Ibid., n° 284 p. 233-234. 363Ibid.,
n° 285, p. 234.
100
3. L'intensité du lien causal lors de la vente
secrète du faux document d'identité : condition sine qua non
d'un lien d'indivisibilité entre le trafiquant-vendeur et le
trafiquant-acheteur
295. Intensité. L'intensité du
lien causal entre les trafiquants construit une indivisibilité (a) puis
engendre un ensemble de qualifications pénales rétréci au
seul objet de la vente secrète du faux document d'identité
(b).
a) Une relation d'indivisibilité entre les
trafiquants lors de la vente secrète du faux document d'identité
296. Acte de vente concomitant provoquant
l'indivisibilité des liens entre les trafiquants.
L'intensité du lien causal unissant les faits permet de
distinguer l'indivisibilité et la connexité364.
Effectivement, « lorsqu'un des faits a été la condition
sine qua non de la réalisation de l'autre, tous deux devraient
être considérés comme indivisibles »365.
Concernant les trafiquants acheteur et vendeur, il est indéniable qu'il
existe un lien causal porté sur l'acte de vente concomitant du faux
document d'identité, rendant indivisible les liens entre les deux
trafiquants, puisque l'acte infractionnel de l'un entraîne
nécessairement l'acte infractionnel de l'autre. La juxtaposition de
l'acte de vente et de l'acte d'achat converge vers un même but, celui
d'échapper aux instances pénales, rendant indissociable la
relation personnelle entre les trafiquants.
b) un avantage procédural indéniable
297. Jugement des coauteurs de la vente secrète
en France. Les conséquences procédurales d'une
indivisibilité sont ainsi avantageuses pour le juge français qui
aura l'obligation de juger les coauteurs de la vente secrète du faux
document d'identité, dans l'hypothèse où les deux agents
auraient réalisés un des éléments constitutifs de
la vente secrète du faux document d'identité sur le territoire
français. Donc, dans le souci de bonne administration de la justice et
dans le souci d'une politique criminelle cohérente vis-à-vis du
trafic de faux document d'identité, il convient nécessairement de
qualifier
364 DECIMA (O.), L'identité des faits en
matière pénale, Dalloz, Nouvelle bibliothèque des
thèses, 2008, n° 771.
365 BARON (E.), La coaction en droit pénal,
préc., n° 382, p. 316.
101
les trafiquants acheteur et vendeur de coauteurs lors de la
réalisation de la vente du support d'identité falsifié.
298. Unicité de qualification des infractions
de faux dans la seule opération de vente secrète. Par
l'intermédiaire de l'existence d'une indivisibilité entre les
trafiquants acheteur et vendeur présente lors de la vente du faux
document d'identité, un « ensemble de qualifications pénales
par contraction »366 serait le bienvenu pour réprimer
plus aisément le projet criminel commun de l'ensemble des trafiquants.
Le point culminant de l'ensemble des infractions de faux se situe au moment de
la vente secrète. Or, les infractions dites « continuées
»367 ou « collectives par unité de but
»368, qualifiées comme telles en droit pénal
général, impliquent la répétition de plusieurs
faits infractionnels, tous punissables en eux-mêmes, « dont
l'inscription dans une seule opération autorise une unicité de
qualification »369. Il n'y aura donc, en cas de vente
secrète de faux document, qu'une seule infraction car cet acte
infractionnel s'inscrit dans une seule opération globale faisant
intervenir plusieurs auteurs. Effectivement, « de l'analyse à
laquelle les juges procèdent, il peut résulter une concentration
d'actes qui va faire apparaitre l'infraction »370. En effet,
cette concentration d'actes se focalise sur le même objet - la vente
secrète du support d'identité falsifié - étant
à l'origine d'une adhésion intense à un projet commun
concerté préalablement par les trafiquants. La convergence de la
volonté des trafiquants vers l'objectif d'une opération de vente
verbale portée sur le même support falsifié permet de
rendre possible la perspective d'une qualification pénale en un ensemble
indivisible entre l'infraction de faux et d'usage de faux, formé
uniquement sur l'opération du contrat verbal de vente. L'unicité
de qualification pénale, ayant trait à la seule opération
de la vente secrète, dont un des éléments constitutifs
aurait été commis en France, permettrait de poursuivre l'ensemble
des acteurs de la vente clandestine au sein d'une procédure unique.
299. Transition. A la suite de la vente du
faux document d'identité, le support d'identité falsifié
se trouve dans les mains du trafiquant-acheteur qui sera susceptible d'utiliser
cet objet.
366 LARGUIER (L), « Théorie des ensembles et
qualification pénale », Mélanges offerts à Albert
Chavanne droit pénal propriété intellectuelle, Litec,
1990, p. 106.
367 BEAUSSONIE (G.), « Infraction », préc.,
n° 178.
368 Ibid.
369 Ibid.
370 LARGUIER (L), « Théorie des ensembles et
qualification pénale », préc., p. 106.
102
C) Un lien d'usage du support falsifié par le
trafiquant-acheteur à la suite de la réalisation de la vente
secrète
300. A priori, aucun lien
relationnel entre les trafiquants ne survit après la vente
secrète du faux document d'identité (1), même si
l'adhésion morale permet de faire persister un lien d'usage connexe
entre les trafiquants (2).
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