Conclusion du Chapitre II
238. Démarche prospective. La
démarche d'une analyse prospective d'une qualification juridique de
l'infraction d'usage de faux documents d'identité intégrée
à une organisation criminelle internationale de trafiquants doit
regrouper des conditions préalables, un élément
matériel et un élément moral.
239. Réunion de deux conditions
préalables. Les conditions préalables réunissent
en ce sens l'existence préalable d'un faux commis dans un document
d'identité ainsi que la présence préalable d'une
organisation criminelle internationale de trafiquants.
240. Sanction de l'acte d'usage et le moment
déterminant de la vente secrète. Lorsque les conditions
préalables sont remplies, il est alors possible de vérifier
l'élément matériel. Le comportement des trafiquants sera
sanctionné lorsqu'il y a un acte d'usage. C'est le moment de la vente
qui est déterminant dans la réponse pénale. En effet, une
distinction s'opère entre l'acte d'usage du support d'identité
falsifié réalisé par le trafiquant-vendeur avant la
réalisation de la vente secrète, et l'acte d'usage du support
d'identité falsifié après la réalisation de la
vente secrète réalisée par le trafiquant-acheteur.
241. Répression étendue à une
simple détention. La logique répressive du
législateur français sur le « trafic de documents
»308 se fonde sur l'article 441-3 du CP en sanctionnant la
« détention frauduleuse du document administratif
»309, ce qui remet en cause la condition habituellement
nécessaire d'un acte d'usage positif pour que l'élément
matériel puisse être rempli. Ainsi, au sein d'une organisation
criminelle de trafiquants, la détention du/des support(s)
falsifiés ne nécessite pas l'existence d'un acte positif d'usage
venant du trafiquant-vendeur, en sachant que la détention du support
d'identité falsifié par le trafiquant-acheteur après la
vente secrète s'assimile au recel-détention.
308 Ibid., n° 74.
309 Ibid.
242.
80
Une pluralité de finalités d'actes
positifs d'utilisation. Les trafiquants peuvent aussi être en
mesure d'utiliser, par un acte positif de commission, le faux document
d'identité. Il existe des actes positifs d'utilisation du faux document
d'identité communs aux deux catégories de trafiquants
s'opérant sur l'obtention d'un résultat déterminé :
l'utilisation du faux document d'identité en vue de constater un droit ;
en vue de constater une identité ; en vue de constater une
qualité ou une autorisation. En revanche il existe un résultat
particulier échappant à ces finalités exclusivement
applicables au trafiquant-acheteur : la recherche d'un travail
dissimulé.
243. Distinction de l'élément moral
à partir du statut des trafiquants. Lorsque les conditions de
l'élément matériel sont réunies, il convient de
vérifier les conditions de l'élément moral.
L'élément moral de l'infraction d'usage de faux documents
d'identité au sein d'une organisation criminelle internationale de
trafiquants se distingue en fonction du statut des trafiquants. D'abord, le dol
général se déduit lorsqu'il est appliqué au
trafiquant-vendeur alors que pour le trafiquant-acheteur il sera
nécessaire de rapporter la preuve de son existence. Ensuite, le dol
spécial sera entièrement applicable au trafiquant-vendeur.
Toutefois, la volonté du trafiquant-acheteur de détenir un ou
plusieurs documents, qu'il n'a pas lui-même falsifiés sans en
faire un autre usage, empiète sur l'élément moral du
recel-détention, puisqu'il a eu connaissance de l'origine frauduleuse du
support trouvant sa source dans les mains d'une tierce personne.
244. Débat de transition. En suivant
la logique du législateur de ne réprimer que la simple
détention d'un faux document d'identité, prévue à
l'article 441-3 du CP, cela permet d'ouvrir le débat sur l'existence
d'une réelle distinction entre les infractions de faux et d'usage de
faux documents d'identité. En effet, l'acte de détention est
nécessairement réalisé par le trafiquant-vendeur avant la
réalisation d'une vente secrète, en sachant que par l'effet de
cette vente, le document falsifié est transmis systématiquement
au trafiquant-acheteur. C'est en cela qu'il est indispensable de qualifier les
relations entre les infractions de faux et d'usage de faux, puisque leurs
interdépendances se créent naturellement au sein d'une
organisation criminelle de trafiquants.
81
Chapitre III : Analyse prospective des relations entre
les infractions de faux et d'usage de faux documents d'identité
intégrée à une organisation criminelle internationale de
trafiquants
245. Intérêt prospectif des relations
entre les infractions de faux. Certes, le faux et l'usage de faux
constituent des infractions autonomes310, exclusives l'une de
l'autre. Par essence, il est donc impossible de confondre les infractions de
faux et d'usage de faux documents d'identité. Mais une passerelle
juridique permet de nouer les deux incriminations : la détention
frauduleuse du faux document d'identité prévue par l'article
441-3 du CP. Il en ressort deux hypothèses différentes selon que
le détenteur du faux document d'identité est le faussaire ou non.
En réalité, le détenteur du faux document
d'identité non faussaire n'est « justiciable que du seul
délit inscrit à l'article 441-3 assorti de peines moindres
égales à deux ans d'emprisonnement et à 30 000 euros
d'amendes, étant précisé que la détention
frauduleuse de plusieurs documents administratifs a pour effet de porter la
peine à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende
»311, en application de l'adage speciala generalibus
derogant au détriment de la qualification du recel-détention
puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amendes. En revanche,
lorsque le détenteur du faux document d'identité est le faussaire
lui-même, le délit de l'article 441-3 présente
l'intérêt de permettre « de sanctionner la personne qui
détient un document qu'elle a elle-même falsifié, alors
qu'aucun recel ne peut lui être reproché dans une telle
hypothèse, lorsque le délit de faux se trouvera prescrit
»312au regard de la Circulaire du 14 mai 1993. Ainsi, les liens
entre les infractions de faux et d'usage de faux documents d'identité se
renforcent grâce à l'incrimination intermédiaire de
détention frauduleuse du faux document d'identité entre les
trafiquants.
310 Ibid., n° 52.
311 Ibid., n° 76.
312 Ibid.
246.
82
Plan. Or, le passage de la détention
du faux document d'identité s'amorce au moment de la réalisation
de la vente par accord verbal entre le trafiquant-vendeur et le
trafiquant-acheteur, ce qui permet de mettre en prospective des relations
matérielles (Section I) et personnelles des infractions
de faux et d'usage de faux documents d'identité intégrées
à une organisation criminelle internationale de trafiquants
(Section II).
Section I : Analyse prospective des relations
matérielles de l'infraction de faux et d'usage de faux documents
d'identité intégrée à une organisation criminelle
internationale de trafiquants
247. D'une pluralité à une
unicité dans un intérêt de politique criminelle.
Différentes infractions peuvent démontrer une «
pluralité faite de liens »313, « mais cela demeure
assez indifférent du point de vue du droit au sens strict
»314. Or, par souci d'un intérêt de politique
criminelle eu égard à la répression d'un comportement
global des infracteurs, il convient de rapprocher de manière prospective
les relations matérielles entre les infractions de faux et d'usage de
faux documents d'identité correspondant à « un
phénomène pluriel »315 tendant vers une «
unité »316, puisqu'il existe des éléments
de rapprochements intimes avérés entre les deux infractions :
« même objet, même temps, même entreprise criminelle
»317 au sein de l'organisation internationale de trafiquants.
Cette pluralité tendant vers l'unité est renforcée par
l'infraction autonome de détention frauduleuse du faux document
d'identité qui marque aussi un lien intime entre l'infraction de faux et
d'usage de faux document d'identité. L'unité de liens entre les
différentes infractions s'opère par deux mécanismes
quasiment similaires, mais qui connaissent des différences au niveau
procédural : la connexité et l'indivisibilité. Or, «
les liens de connexité et d'indivisibilité que peuvent entretenir
certaines infractions peuvent entraîner une prorogation de la
compétence territoriale de la juridiction qui sera saisie du tout
»318, ce qui permettrait un aménagement de la
compétence territoriale des juridictions françaises face au
trafic de faux documents d'identité.
313 BEAUSSONIE (G.), « Infraction », Rép.
pén., mai 2018, n° 188.
314 Ibid.
315 Ibid.
316 Ibid.
317 Ibid.
318 AGOSTINI (F.), « Compétence »,
Rép. pén., février 2005, n° 94.
83
248. Plan. D'abord, des liens de
connexité permettent de relier les différentes infractions de
faux documents d'identité au sein d'une organisation criminelle de
trafiquants (I). Ensuite, les conditions de l'indivisibilité
créent une unité de l'ensemble des infractions de faux documents
d'identité au sein d'une organisation criminelle internationale de
trafiquants (II). Il en découlera une extension par
indivisibilité de l'application de la loi française à
l'encontre de l'ensemble des infractions de faux documents d'identités
réputées commises en France (III).
I. Les conditions de la connexité reliant l'ensemble des
infractions de faux documents
d'identité intégré à une
organisation criminelle internationale de trafiquants
249. Ensemble par connexité.
L'ensemble des infractions de faux documents d'identité - faux,
détention et usage - commises au sein d'une organisation criminelle
internationale de trafiquants peut s'agglomérer par la technique de la
connexité, de manière alternative, soit par unité de temps
(A), soit par concert préalable (B), soit par relation de cause à
effet (C), soit par appropriation frauduleuse (D).
A) La connexité de l'ensemble des infractions de
faux documents d'identité reliée par une unité de temps au
sein d'une organisation criminelle internationale de trafiquants
250. Connexité par unité de temps
avant, pendant, après la vente secrète. Selon l'article
203 1° du CPP, les infractions sont connexes « par unité de
temps lorsqu'elles ont été commises par différentes
personnes »319. En l'occurrence, l'unité de temps au
sein de l'organisation criminelle internationale de trafiquants se
déroule lors de la vente secrète du faux document
d'identité. Or, avant la réalisation de cette vente clandestine,
le trafiquant-vendeur a nécessairement commis deux infractions en un
trait de temps : l'infraction de faux et l'infraction de détention
frauduleuse des supports falsifiés avec la probabilité d'un acte
d'usage positif, en traversant des frontières terrestres par exemple.
Lors de la réalisation de la vente secrète du faux document
d'identité, le document d'identité falsifié se transmet
in manu320 au trafiquant-acheteur.
Après la réalisation de la vente commerciale illicite par accord
verbal, le trafiquant-acheteur sera l'utilisateur du faux document
d'identité, soit par simple détention, soit
319 Ibid. n° 74.
320 Par la main, de mains en mains.
84
par un acte positif d'utilisation, ce qui permet de
créer une continuité temporelle. Ainsi, le critère de
l'unité de temps se caractérise avant, pendant, et après
de la vente secrète du faux document d'identité, qui se
réalise de manière continue pendant un laps de temps très
proche, faisant intervenir différentes personnes. Par conséquent,
les conditions de l'article 203 1° du CPP pourront s'appliquer à
l'ensemble des infractions de faux documents intégré à une
organisation internationale de trafiquants.
B) La connexité de l'ensemble des infractions de
faux documents d'identité reliée par un concert préalable
entre les trafiquants
251. Connexité par concert préalable
formé par avance : un accord de volonté verbal sur l'objet
illégal. Selon l'article 203 2° du CPP, les infractions
sont connexes « par concert préalable, lorsqu'elles sont commises
par différentes personnes, même en différents temps et en
divers lieux, mais par suite d'un concert formé par avance entre elles
»321. En l'occurrence, « [l'] accord de volonté
»322 verbal entre les trafiquants s'est déroulé
dans un concert préalable sur l'objet de la vente frappé d'une
illégalité - le support d'identité falsifié - et
sur le prix. Ils ont donc agi de concert dans la réalisation de la vente
secrète du faux document d'identité.
252. Différences avec la connexité par
unité de temps. A la différence de la condition de
l'unité de temps évoquée au 1° de l'article 203 du
CPP, le 2° du même article impose un concert formé par avance
entre les trafiquants « en différents temps et en divers lieux
», ce qui implique une disparité de temps. Cette condition exclut
ainsi la réalisation de la vente instantanée du faux document
d'identité sur un terrain physique in manu,
car elle s'intéresse plus particulièrement à
la vente secrète réalisée sur le terrain
dématérialisé. En ce sens, le cyber-faussaire va
réaliser l'infraction de faux documents d'identité dans un espace
géographique qui peut être pleinement différent de celui du
trafiquant-acheteur qui va recevoir le support falsifié, puisque la
vente se réalise sur internet. La réalisation de l'ensemble des
infractions de faux documents d'identité (fabrication, détention,
et usage), se passe dans un espace-temps différent puisque l'envoi
postal du document d'identité s'échelonne sur plusieurs jours, en
moyenne huit jours entre l'expédition par le trafiquant-vendeur et la
réception du faux
321 AGOSTINI (F.), « Compétence »,
préc., n° 94.
322 ARHEL (P.), « Entente »,
Rép. com., janvier
2015, n° 5.
85
par le trafiquant-acheteur. Par conséquent, les
conditions de l'article 203 2° du CPP mettent aussi en relation l'ensemble
des infractions de faux documents d'identité.
C) La connexité de l'ensemble des infractions de
faux documents d'identité reliée par une relation de cause
à effet
253. Connexité par un lien de cause à
effet réalisé par les trafiquants. Selon l'article 203
3° du CPP, les infractions sont connexes « par relation de cause
à effet, lorsque les coupables ont commis les unes pour se procurer les
moyens de commettre les autres, pour en faciliter, pour en consommer
l'exécution ou pour en assurer l'impunité »323.
En l'occurrence, la relation de cause à effet des infractions de faux,
de détention, et d'usage de faux documents d'identité est
avérée parce que le trafiquant-vendeur, contrefacteur, a
donné les moyens au trafiquant-acheteur de commettre les infractions de
détention et d'usage de faux documents d'identité pour que ce
dernier puisse circuler en toute impunité sur le territoire d'un Etat
par exemple. Par conséquent, les conditions du 3° de l'article 203
CPP relient matériellement l'ensemble des infractions de faux documents
d'identité.
D) La connexité de l'ensemble des infractions de
faux documents d'identité reliée par appropriation frauduleuse
254. Conditions de la connexité par
appropriation frauduleuse : plusieurs infractions frauduleuses reliées
entre elles. Selon l'article 203 4° du CPP, les infractions sont
connexes « par appropriation frauduleuse, lorsque les choses
enlevées, détournées ou obtenues à l'aide d'un
crime ou d'un délit ont été en tout ou en partie
recelées »324. « Le dernier cas de connexité
résulte de la loi du 22 mai 1915 (DP 1918.4.159) »325.
En l'occurrence, les trafiquants-vendeurs peuvent disposer « de souche
authentique vierge volée - à l'occasion du cambriolage d'une
ambassade, du braquage d'un convoi de documents ou via un officiel corrompu -
le faussaire n'a plus qu'à introduire les données personnelles de
son client (photographie, données personnelles,
323 AGOSTINI (F.), « Compétence », préc.,
n° 74.
324 Ibid.
325 Ibid.
86
etc.) »326. En ce sens, les supports
d'identité vierges sont « enlevés, détournés
» par la réalisation d'un délit de vol, et ils sont «
obtenus » à l'aide d'un tiers administratif ayant commis le
délit de corruption. A la suite de l'enlèvement, du
détournement ou de l'obtention frauduleuse du support d'identité
falsifié, la chose pourra être recelée par les trafiquants
soit par détention, soit par dissimulation, soit par transmission. Par
conséquent, les conditions du 4° de l'article 203 du CPP prouvent
qu'il existe un lien de connexité entre l'ensemble des infractions de
faux documents d'identité.
255. Transition. En plus de l'existence
avérée de liens de connexité entre l'ensemble des
infractions de faux documents d'identité au sein d'une organisation
criminelle internationale de trafiquants, l'analyse prospective s'étend
aussi sur les conditions d'une indivisibilité fondées sur l'acte
de détention et sur la vente secrète du faux document
d'identité, but commun entre les trafiquants.
II. Les conditions de l'indivisibilité
créant une unité de l'ensemble des infractions de faux documents
d'identité au sein d'une organisation criminelle internationale de
trafiquants
256. Ensemble par indivisibilité.
D'abord, il existe un rapport mutuel de dépendance
matérialisé par un acte de détention du faux document
d'identité créant une unité de faits délictueux
(A). Ensuite, un deuxième rapport mutuel de dépendance apparait
lors de la vente secrète du faux document d'identité par une
unité d'auteur (B).
A) Un rapport mutuel de dépendance
matérialisé par un acte de détention du faux document
d'identité créant une unité de faits délictueux
257. Construction prétorienne. «
La notion d'indivisibilité n'est pas définie par la loi
»327, c'est la jurisprudence qui est venue construire cette
notion. Par exemple, elle peut résulter « d'une relation
particulièrement étroite entre les infractions découlant
d'une unité de faits délictueux »328. En
revanche, « il n'y a pas indivisibilité ni connexité pour
des faits qui ne procèdent pas d'une unité de conception, ne sont
pas déterminés
326 BAECHLER (S.), BOIVIN (R.), MARGOT (P.) « Analyse
systématique des faux documents d'identité à des fins de
renseignement criminel: vers la construction de connaissances sur la
criminalité par l'étude de trace matérielle »,
RICPTS, Vol. LXVIII, n°3, juillet-septembre 2015, 4.2, p. 325.
327 AGOSTINI (F.), « Compétence », préc.,
n° 73.
328 Ibid.
87
par la même cause ou ne tendent pas au même but ou
encore ne forment pas entre eux un tout indivisible »329.
258. Unité de la falsification, de la
détention, et de l'usage du faux document d'identité dans une
structure criminelle de trafiquants. En l'occurrence, la
démarche prospective consiste à démontrer une unité
de l'ensemble des incriminations de faux documents d'identité : la
falsification, la détention, et l'usage. En ce sens,
l'indivisibilité sera caractérisée « lorsque les
éléments de la prévention sont dans un rapport mutuel de
dépendance et rattachés entre eux par un lien tellement intime
que l'existence des uns ne se comprendrait pas sans l'existence des autres
»330, solution jurisprudentielle de principe en la
matière reprise plusieurs fois par les juges de cassation. Or, ce
principe jurisprudentiel prend tout son sens lorsque l'ensemble des infractions
de faux documents d'identité est réalisé au sein d'une
organisation criminelle internationale de trafiquants.
259. Lien intime permettant de faire exister ensemble
les infractions de faux. Effectivement, les chefs de prévention
sont les suivants : l'infraction de faux documents d'identité
réalisée par le trafiquant-vendeur, l'infraction de
détention frauduleuse d'un faux document d'identité qui est
consommé par les trafiquant-acheteur et trafiquant-vendeur, et
l'infraction d'usage de faux documents d'identité qui peut être
réalisé aussi par les trafiquants. Or, le rapport mutuel de
dépendance entre les trois infractions se fonde sur un lien intime qui
permet de les faire exister ensemble.
260. Acte de détention du faux document
d'identité à l'origine du lien intime. Le rapport de
dépendance provoquant un lien intime entre chacune d'elles est
matérialisé par l'acte de détention du faux document
d'identité puisque ce dernier existe nécessairement avant la
vente dans les mains du trafiquant-vendeur, puis après la vente dans les
mains du trafiquant-acheteur. Cet acte de détention entre les
trafiquants permet de joindre matériellement les infractions de faux, de
détention, et d'usage de faux documents d'identité, en sachant
qu'en l'absence de cet acte de détention l'ensemble des infractions de
faux ne pourrait se comprendre sans l'existence des autres.
329 REDON (M.), « Solidarité pénale »,
Rép. pén., juillet 2016, n° 9 : V. en ce sens Cass.
Crim., 15 septembre 2015, N° 14-83.740.
330 Cass. Crim., 24 juillet 1875, bull. n° 239 ;
Cass. Crim., 28 mars 1914, bull. n° 173 ; Cass. Crim., 18 juin
1947, bull. n° 159 ; Cass. Crim., 24 mai 1951, bull. n°
141.
261.
88
Transition. Un autre lien intime
matériel apparaît : la présence d'une « unité
d'auteur »331, étant une des conditions permettant de
caractériser l'indivisibilité, qui sera possible grâce
à la vente secrète du faux document d'identité.
B) Un rapport mutuel de dépendance
matérialisé par la vente secrète du faux document
d'identité créant une unité d'auteur
262. Conditions de l'indivisibilité.
Il y a indivisibilité à partir du moment où elle
« résulte d'une relation particulièrement étroite
entre les différentes infractions, découlant d'une unité
d'auteur »332. En effet, l'indivisibilité est
matérialisée « lorsqu'il y a plusieurs coauteurs et
complices de mêmes faits »333 au regard de l'article 383
du CPP.
263. Unité d'auteur lors de la vente
secrète d'un faux document d'identité. En l'occurrence,
au sein de l'organisation criminelle internationale de trafiquants, il existe
un commerce illicite clandestin qui réunit plusieurs coauteurs et
complices. Pour réprimer le comportement global réalisant
l'infraction de faux documents d'identité, il faut nécessairement
la réunion d'un procédé de falsification ainsi qu'une
vente secrète. Or, une relation particulièrement étroite
s'établit lors de la vente verbale dissimulée du support
d'identité entre les trafiquants. La vente secrète du faux
document d'identité étant l'objet primordial du trafic, elle en
devient le point de connivence mettant en relation la réalisation
successive dans le temps de la falsification, de la détention et de
l'usage du faux document d'identité, provenant d'un concert
préalable entre les trafiquant-vendeur et trafiquant-acheteur. Par
conséquent, il existe un rapport mutuel étroit de
dépendance entre les infractions de faux, de détention, et
d'usage de faux causé par la vente secrète réunissant une
unité d'auteurs.
264. Effet : extension par indivisibilité de
la compétence du juge français. Les liens
matériels indivisibles d'unité de faits délictueux et
d'unité d'auteur de l'ensemble des infractions de faux documents
d'identité amènent à reconsidérer
l'aménagement de la compétence du juge français au regard
du droit international en matière de trafic de faux documents
d'identité.
331 AGOSTINI (F.), « Compétence », préc.,
n° 73.
332 Ibid.
333 Ibid.
89
III. Une extension par indivisibilité de la
compétence du juge français concernant l'ensemble des infractions
de faux documents d'identité réputées commises en France
265. Avantages procéduraux et de politiques
criminelles. Un rapport mutuel de dépendance peut être
matérialisé soit par un acte de détention du faux document
d'identité créant une unité de faits délictueux,
soit par une vente secrète du faux document d'identité
créant une unité d'auteur. Or, de nombreux avantages
procéduraux et de politiques criminelles existent notamment en
permettant une prorogation judiciaire (A), et une prorogation
législative de la compétence du juge français (B), afin de
regrouper d'une part les différents faits délictueux relevant des
faux documents d'identité, et d'autre part les différents
trafiquants étrangers ayant commis une/des infraction(s) de ce type sur
le territoire de la République.
A) Une prorogation judiciaire de compétence des
juridictions françaises en cas d'unité des incriminations de
faux, de détention et d'usage de faux documents d'identité
266. Prorogation judiciaire si un des
éléments constitutifs des infractions de faux documents
d'identité réalisés en France. « L'exercice
de la répression dans notre pays au titre de la territorialité
»334 vise à cerner « la notion de localisation
internationale de l'infraction commise partiellement seulement en sol
français »335. En ce sens, « l'infraction est
réputée commise sur le territoire de la République
dès lors qu'un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire
» selon l'alinéa 2 de l'article 1132 du CP. Or, pour lutter
efficacement contre le trafic de faux documents d'identité nourri par
des trafiquants ayant un domicile/une résidence à
l'étranger, et une nationalité étrangère, il
convient d'étendre la répression au-delà du territoire de
la République lorsqu'un des éléments constitutifs des
infractions de faux documents d'identité a été commis en
France.
334 BRACH-THIEL (D.), « Compétence internationale
», Rép. pén., décembre 2017 (actualisation
septembre 2018), n° 92.
335 Ibid.
267.
90
Principe territorial jurisprudentiel d'extension de la
compétence judiciaire des juridictions françaises par
indivisibilité. Concrètement il existe un principe
territorial d'extension de la compétence judiciaire des juridictions
françaises par indivisibilité, principe qui a été
conçu par les juges de cassation le 23 avril 1981. En effet, « la
juridiction française est compétente pour connaître des
faits commis à l'étranger par un étranger dès lors
que ces faits apparaissent comme formant un tout indivisible avec les
infractions également imputées en France à cet
étranger et dont elle est légalement saisie »336.
En l'occurrence, la juridiction française serait compétente pour
connaître des faits délictueux de falsification, de
détention, et d'usage de faux commis à l'étranger par un
trafiquant-vendeur et/ou par un trafiquant-acheteur à partir du moment
où il existe un lien intime matériel de dépendance entre
les différentes infractions de faux documents également
imputées en France à ces trafiquants-étrangers, et dont la
juridiction est légalement saisie.
268. Récente confirmation de ce principe
jurisprudentiel. Les juges de cassation le 31 mai 2016 ont
confirmé qu'il existe un lien d'indivisibilité entre l'infraction
commise à l'étranger et une autre commise sur le territoire de la
République « lorsqu'elles sont rattachées entre elles par un
lien tel que l'existence des uns ne se comprendrait pas sans l'existence des
autres »337. En l'espèce, lorsqu'il existe une
unité de faits délictueux dont un des éléments
s'est matérialisé à l'étranger ou lorsqu'il existe
une unité d'auteurs qui ont des nationalités
étrangères, et qui ont commis une partie des
éléments constitutifs des infractions de faux documents
d'identité sur le territoire de la République, alors la
juridiction française sera dans l'obligation de proroger sa
compétence, et ainsi juger l'ensemble des chefs de prévention en
présence.
269. Simple faculté de prorogation de
compétence en cas de connexité. « Le lien de
connexité existant entre plusieurs infractions ne peut avoir pour effet
de rendre la loi pénale française applicable à celles
commises à l'étranger par une personne de nationalité
étrangère sur une victime étrangère
»338. Les éléments connexes des infractions de
faux documents d'identité n'ouvrent qu'une faculté au juge
français de
336 Cass. Crim., 23 avril 1981, bull. n° 116; RSC
1982. 609, Obs. Vitu.
337 Cass. Crim., 31 mai 2016, N° 15-85.920, Dalloz
Actualité, 21 juin 2016, obs. Goetz ; D. 2016. 1989, note
Rebut ; AJ pénal 2016. 487, Obs. Brach-Tiel ; Gaz. Pal.
2016. 2277, Obs. Detraz ; Dr. Pénal 2016. Comm.122, Obs.
Conte.
338 Ibid.
91
juger l'ensemble sur le territoire de la République,
à la différence des conditions de l'indivisibilité.
270. Nécessaire requalification du trafic en
crime de faux et atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation.
En la matière, le trafic international de faux documents
d'identité cause un préjudice matériel à l'Etat
français. En faisant une analogie avec le crime de la fausse monnaie, il
est possible de requalifier le trafic en crime de faux qui porte
nécessairement atteinte aux intérêts fondamentaux de la
Nation. La compétence judiciaire pour les infractions commises au
préjudice de la France est prévue à l'article 113-10 du
CP. A travers cet article, « la loi française s'applique à
un Français comme à un étranger qui aurait commis des
faits constitutifs d'atteintes aux intérêts fondamentaux de la
Nation à l'étranger, que ce soit en qualité d'auteur ou de
complice, cette compétence de la loi française emportant la
compétence des juridictions françaises en application de
l'article 689 du CPP ». Ainsi, la loi pénale française
serait applicable aux infractions de faux, de détention, d'usage de faux
documents d'identité commises à l'étranger par un
trafiquant étranger sur une victime étrangère, puisqu'en
requalifiant le comportement global de toute l'organisation criminelle de
trafiquants en crime de faux, les juridictions françaises pourraient
devenir compétentes en actionnant le principe de l'universalité
propre au droit pénal international sur le fondement de l'article 689 du
CPP.
271. Transition. En plus d'une prorogation
judiciaire, il existe une prorogation législative par
indivisibilité applicable à l'encontre des infractions de faux
réalisées à l'intérieur d'une organisation
criminelle de trafiquants.
B) Une prorogation législative de compétence
des juridictions françaises en cas d'unité des incriminations de
faux, de détention et d'usage de faux documents d'identité
272. Prorogation législative de
compétence par la qualification d'association de malfaiteurs.
Au regard des articles 382 et 383 du CPP, les liens indivisibles
entretenus par les infractions de faux, de détention et d'usage de faux
documents d'identité peuvent entrainer une « extension de la
compétence d'une juridiction »339 française
« qui se voit ainsi attribuer la connaissance de l'ensemble des
339 AGOSTINI (F.), « Compétence »,
préc., n° 71.
92
infractions concernées »340. Cette
attribution législative de compétence est obligatoire en cas
d'indivisibilité. Une partie de la doctrine critique cette prorogation
législative en arguant notamment que l'indivisibilité «
devrait normalement s'effacer devant le principe majeur qu'est la
territorialité de la loi pénale »341. En
réponse à cela, il est possible de défendre l'idée
qu'il existe une prorogation législative de compétence des
juridictions françaises applicable au trafic de faux documents
d'identité « sous couvert de la notion d'association de malfaiteurs
»342. Or, cette extension de compétence aura des
conséquences sur les règles de fond applicables : des infractions
de faux, de détention, d'usage de faux documents d'identité
« commises hors de France vont se trouver soumises à la loi
répressive »343 française. Effectivement, «
même les auteurs les plus attachés aux principes pensent que ces
solutions ne seront pas abandonnées dans l'avenir, surtout à une
époque où les groupements de criminels s'internationalisent dans
leur composition, dans leur manière d'opérer et surtout dans leur
champ géographique d'activité »344.
273. Par exemple, « la juridiction
française est compétente pour connaître des faits commis
à l'étranger par un étranger dès lors que ces faits
apparaissent comme indivisiblement liés avec une infraction
également imputable à cet étranger et dont elle est
légalement saisie ; tel est le cas de la participation à un crime
commis à l'étranger et qui constituait un des buts de
l'association de malfaiteurs réputée commis en France et à
laquelle cet étranger avait pris part »345.
Effectivement, la juridiction française sera compétente pour
connaitre des faits de faux, de détention, ou d'usage de faux documents
d'identité commis sur un sol étranger par un ou plusieurs
trafiquants-étrangers dès lors que ces faits matériels
apparaissent comme intimement liés avec une autre infraction de faux, de
détention ou d'usage de faux documents d'identité commise par ces
mêmes trafiquants-étrangers notamment lorsque ces derniers ont
préparé, ou ont accompli un ou plusieurs faits matériels
d'une ou de plusieurs infractions délictueuses de faux documents
d'identité réputés commis en France et auxquels ces
trafiquants-étrangers avaient participé. Par conséquent,
il existe une prorogation législative de compétence
340 Ibid.
341 CULIOLI (M.) ; GIOANNI (P.), « Association de
malfaiteurs », Rép. pén., mai 2017 (actualisation :
novembre 2017), n° 193.
342 Ibid.
343 Ibid.
344 Ibid.
345 Cass. Crim., 15 janvier 1990, bull. n° 22.
93
des juridictions françaises, qui permet de regrouper la
poursuite des auteurs de l'ensemble des infractions de faux documents
d'identité sous le chef de prévention de l'association de
malfaiteurs prévue à l'article 450-1 du CP. Par souci d'une
politique criminelle de répression adaptée au trafic de faux
documents d'identité, et par souci d'une bonne administration de la
justice au niveau international, il serait donc nécessaire de relier
indivisiblement toutes les infractions de faux documents d'identité.
274. Transition. En plus des relations
matérielles qui existent entre les infractions de faux et d'usage de
faux documents d'identité au sein d'une organisation criminelle
internationale de trafiquants, il s'en suit l'existence de relations
personnelles.
Section II : Analyse prospective des relations
personnelles des infractions de faux et d'usage de faux documents
d'identité intégrée à une organisation criminelle
internationale de trafiquants
275. Participation criminelle des trafiquants.
Les relations personnelles des infractions de faux et d'usages de faux
sont conditionnées par les actes d'une pluralité de trafiquants
de faux documents d'identité. Or, « l'idée de participation
implique celle de pluralité »346. « La
participation criminelle s'entend en effet d'un comportement tendant à
coopérer sciemment à la réalisation d'une infraction,
incriminée en droit français à titre d'action principale,
de coaction, de complicité ou parfois de délit distinct
»347. Partant, la participation criminelle suppose une
pluralité de trafiquants et une volonté de s'associer entre eux.
La qualification juridique prospective des relations personnelles entre les
trafiquants sera bâtie autour de l'existence d'un lien temporel
ajusté par la vente secrète du faux document d'identité.
Il conviendra de se placer avant, pendant, et après la vente
secrète du faux document d'identité afin d'établir le
rôle de chaque trafiquant dans la réalisation des infractions de
faux et d'usage de faux. De plus, la qualification juridique de la structure
criminelle dans laquelle « bouillonnent » les trafiquants sera aussi
importante pour déterminer le rôle de chaque trafiquant au sein du
trafic.
346 BARON (E.), La coaction en droit pénal,
Thèse, Université Montesquieu - Bordeaux IV, 2012, n°
29, p. 41.
347 Ibid.
276.
94
Plan. L'analyse prospective des relations
personnelles entre les trafiquants de faux documents d'identité se
fondera sur l'idée de l'existence de liens de participation criminelle,
qui sera variable en fonction du temps (I) et en fonction de la
complexité de la structure de l'organisation criminelle (II).
I. Des liens de participation criminelle variables entre
les trafiquants de faux documents d'identité en fonction du temps
277. Liens variables. D'abord, il existe un
lien de coaction ou de complicité entre l'auteur principal faussaire et
le complice tiers administratif avant la réalisation de la vente
secrète du faux document d'identité (A). Or, c'est uniquement
lors de la réalisation de la vente du faux document d'identité
qu'un lien de coaction se crée entre les trafiquant-vendeur et
trafiquant-acheteur (B). A la suite de la vente du faux document
d'identité, il persiste un lien d'usage résiduel du faux document
d'identité entre les trafiquants (C).
A) Un lien de coaction ou de complicité entre le
faussaire et le tiers administratif avant la réalisation de la vente
secrète du faux document d'identité
278. Coaction ou complicité. Soit un
lien de coaction entre le faussaire et le tiers administratif pourra être
établi lorsque ce dernier sera l'auteur du faux document
d'identité (1), soit un lien de complicité pourra être
établi lorsque ce sera le tiers administratif qui aura eu le rôle
du déclarant, n'étant pas l'auteur matériel du faux
(2).
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