C'est principalement au cours de
la vie sociale que les accords extra-statutaires, conclu
généralement entre associés, tentent d'exercer une
influence sur le déroulement de la vie sociale. C'est à ce moment
là que le conflit est le plus aigu entre le principe de
prééminence des statuts, par hypothèse conforme à
la loi et celui de la liberté contractuelle. Ces accords, ce sont
multipliés à une période récente, sous l'influence
de l'intensification des relations commerciales internationales(3). Beaucoup
d'étrangers comprennent et supportent mal le caractère rigide du
droit français et du droit italien des sociétés. Ils
cherchent à assouplir ces contraintes par des conventions dont on
retiendra une des principales: les conventions de vote.
La question de la validité
ou de la nullité des conventions comportant des engagements de vote est
l'une des plus irritantes du droit français. D'une part, notamment dans
les groupes de sociétés, les holdings ou les filiales communes,
un associé s'engage souvent à voter pendant un certain temps,
dans uns sens déterminé à l'avance.
Ces engagements permettent la
stabilité nécessaire à la réalisation d'objectifs
complexes et de longue durée. Une société ne saurait voir
ses grandes orientations remises en cause lors de chaque assemblée
annuelle, sous peine de souffrir de la même impuissance que les
régimes politiques dominés par des assemblées
parlementaires à majorité instable. En outre, on peut toujours
renoncer à un droit acquis. En effet, le titulaire du droit de vote
pourrait en disposer et y renoncer ou accepter d'en restreindre la
liberté d'exercice.
D'autre part, le droit de vote doit
être l'expression d'une volonté librement exprimée en
conclusion des débats de l'assemblée des associés ou, s'il
y a eu consultation écrite, des informations communiquées
à l'occasion de celle-ci. A la limite, la consultation des
associés ne servirait à rien, si chacun ne faisait
qu'émettre un vote dans un sens déterminé à
l'avance par une convention immuable(4).
3 Guyon, les sociétés, aménagement
statutaires et conventions entre associés, in Traité des
contrats
4 Référence donné par le Lamy,
sociétés commerciales, n° 3041
De plus, on peut se demander, si le droit de vote n'est pas une
prérogative personnelle en dehors du commerce, puisqu'en cas de
démembrement d'une action, le certificat de vote n'est pas cessible,
à la différence du certificat d'investissement(art. L. 228-29 c.
com).
Par conséquent, le droit
français adopte une position réservée à
l'égard des conventions de vote. On ne saurait affirmer qu'elles sont
toujours valables ou qu'elles sont toujours nulles, car cette certitude est
regrettable, étant donné que ces conventions sont usuellement et
souvent conformes à l'intérêt de la société.
Cette hostilité de principe contraste avec les dispositions de nombreux
droits étrangers qui admettent plus ou moins largement la
validité des conventions de vote. Ici encore, le droit français
souffre d'une excessive rigidité, génératrice de
discriminations à rebours. Néanmoins, la loi du 3 janvier 1994 a
apporté sur ce point un progrès car, sans valider
expressément les conventions de vote dans les sociétés par
actions simplifiées, elle rend celle-ci en partie inutiles, dans la
mesure où les décisions collectives se prennent dans les
conditions prévues par les statuts(art. L 227-9 c. com.).
L'histoire de la prohibition des
conventions de vote est révélatrice, par ses sinuosités,
de la difficulté, de la difficulté de la matière. Il faut
attendre plus de cinquante ans après la promulgation de la loi du 24
juillet 1867, pour trouver les premières décisions annulant les
conventions de vote. La prohibition demeurait d'ailleurs limitée,
puisque les tribunaux admettaient que les actionnaires pouvaient valablement
remettre leurs titres à un mandataire commun qui votait en leur lieu et
place. C'étaient les syndicats de blocage, dont la constitution
était aisée tant que les actions étaient
représentées par des titres au porteur
matérialisés. Toutefois, le mandataire commun ne devait pas
recevoir à l'avance et une fois pour toute l'ordre de voter dans un sens
déterminé.
Le syndicat de blocage était
une délégation du droit de vote, pratique autorisée par la
loi, qui ne devenait contestable que par son aspect collectif. Les membres du
syndicat constituaient une sorte de sous-assemblée, non prévue
par la loi.
Brutalement et sans que cette intervention ait été
souhaitée, la loi du 13 novembre 1933 est intervenu pour
déclarer « nulles et nul effet, dans leurs dispositions
principales et accessoires, les clauses ayant pour objet de porter atteinte au
libre exercice du droit de vote dans les sociétés
commerciales ». Ce texte n'a été qu'un coup
d'épée dans l'eau , car d'un certain côté, il
édictait une prohibition trop générale, eu égard
aux pratiques suivies dans beaucoup de sociétés. Par d'autres
côtés, il était trop limité, puisqu'il ne
s'appliquait ni aux sociétés civiles, ni aux votes en conseil
d'administration.
La jurisprudence continua de se
décider au coup par coup, tantôt annulant les conventions de vote,
tantôt trouvant un prétexte pour les valider. L'avant projet de
loi sur les sociétés préparé par la commission
Pleven comportait un article 825 qui reproduisait le décret-loi de 1937,
mais cet article disparu du projet définitif, de telle sorte que le
texte définitif ne comporte aucune disposition précise en ce
domaine.
Historiquement dans le droit
italien, la question de la validité des syndicats remonte au
début du Xxème siècle. Reconnus et
réglementés par le projet élaboré en 1925 par
la « commission réal » instituée pour la
réforme du code de commerce en 1865, les syndicats de vote ont depuis
toujours donné matière à d'importantes discussions en
doctrine et jurisprudence. Le législateur en 1942 a décidé
de ne pas réguler expressis verbis les syndicats d'actionnaires,
préférant remettre à la libre évaluation du juge
toute considération concernant leur validité. Par la suite,
toutes les tentatives pour essayer de leur donner un cadre de
légitimité ont échoué, y compris le projet DE
GREGORIO.
La position prise par la
jurisprudence italienne sur la licéité de ces pactes a
été globalement négative. Mis à part de très
rares ouvertures, aucune argumentation n'a été capable
d'ôter aux juges l'idée selon laquelle certains syndicats de vote
étaient contraires à l'intérêt de la
société ou pouvaient en vider de signification les organes,
méritant ainsi la suprême sanction de la nullité.
Une telle position aurait dû
marquer la fin de tout accord concernant le vote ou suggérer une
souscription discrète de ces pactes. Mais il n'en fut rien, car au
contraire la fracture entre la pratique et la jurisprudence augmenta à
tel point que cette dissension est de nos jours l'aspect le plus
intéressant de ce type de contrats.
De plus, quand on considère les publications officielles
des accords para-sociaux d'instituts et d'entreprises publiques, on comprend
que le phénomène concerne non seulement des
attitudes « loges secrètes » de groupes
d'actionnaires de sociétés de petite taille, mais aussi la
gestion de sociétés parmis les plus importantes du pays.
Il suffit de penser à la
décision de l'IRI, quand cette société a decidé de
privatiser les activités de la SME concernant la distribution
commerciale (société générale supermarchés)
et la restauration (auto grill). L'IRI prévoyait, comme condition
à la cession des sociétés, la création d'un noyau
stable d'actionnaires de référence et l'établissement
entre eux d'un accord de syndicat. C'est à dire d'un accord qui,
étant établi pour la création d'un centre
décisionnel endosocial fort, pourrait faire partie des hypothèses
qui, « considérant le nombre d'adhérents au syndicat,
l'indétermination et la généralité des obligations
qui lient les adhérents et sa durée », sont
considérés par la Cour de Cassation comme contraires aux
principes du droit des sociétés. Cela dit, la simple diffusion
des pactes para-sociaux, même avec un jugement contraire exprimé
par la jurisprudence, ne peut à elle seule justifier la vivacité
du débat resurgit dernièrement concernant ce type de pactes. En
effet, la reprise d'intérêt peut par contre, s'expliquer par
rapport à deux éléments(5).
Avant tout, la réforme des
marchés financiers, effectuée entre 1990 et 1992 et surtout celle
intervenue par le Testo Unico 1998/58, ont modifié le panorama normatif.
La croissante importance des groupes de société a
suggéré, dans l'attente d'une discipline ad hoc, de
considérer dans de nombreuses dispositions législatives les
syndicats de vote comme instruments aptes à obtenir le contrôle ou
à influencer la gestion du groupe social(par exemple: les lois sur
l'édition, le système radiotélévisé, la
protection de la concurrence, les sociétés
d'intermédiation mobilière, les offres publiques d'achat, les
privatisations) des entreprises de l'État(6).
5CARTE SAINT MARTIN, les sociétés
dites « holdings », n° 310
6GUYON, op.loc. Cit. Note 3
Deuxièmement, la dernière décennie a
marqué la fin du gentlemen's agreement qui unissait les
para-associés dans l'engagement à accepter, sans contredire les
décisions prises par l'organe institué dans le pacte, pour
résoudre
les conflits qui de temps à autre pouvaient se
présenter concernant l'interprétation ou l'exécution du
contrat para-social. Cela voulait dire, que le recours à
l'autorité judiciaire ordinaire était exclu. Un exemple important
a été celui de CIR-Famiglia Formenton, où une possible
sanction « métajuridique », n'avait pas
découragé le cocontractant para social de s'adresser à la
Cour d'Appel de Rome, pour demander la nullité de l'accord souscrit
consciemment et connaissant dès lors l'éventuelle nullité
de l'acte.
Il est clair, que cette situation
est, entre autre , le reflet d'une profonde transformation de la classe des
chefs d'entreprise italiens. Les années 80 ont donné les bases
pour la naissance et le développement de groupes industriels nouveaux,
qui grâce à l'extrême facilité du recours au
crédit et à la globalisation des marchés, ont pris
conscience de leurs propres capacités d'opérer à un
certain niveau, sans devoir respecter les règles fixées par
l'establishment (groupe de pouvoir) traditionnel. En ce sens,
l'éventuelle « disqualification
éthico-social » établie par les autres adhérents
à la communauté des affaires, s'est révélée
inadaptée dans la prévention de l'évolution de la clause
compromissoire non-écrite, selon laquelle tout conflit entre les membres
devait trouver une solution à l'intérieur de la communauté
des affaires.
Avant de procéder à
l'examen de l'état de la jurisprudence et de la doctrine, concernant la
licéité des syndicats de vote, une considération d'ordre
méthodologique s'impose. La présence, à
l'intérieur de la catégorie des syndicats de vote, d'une ample
gamme de pactes, profondément différents les uns des autres, par
rapport aux modalités de formation de la volonté para-sociale et
aux instruments utilisés dans l'imposition des liens engagés,
rendent nécessairement imparfaite une simple lecture abstraite,
privée de rapports avec des cas concrets. Cette réalité
semble finalement avoir été prise en considération par les
juges qui, abandonnant définitivement l'intransigeante fermeture par
rapport à la validité de tout syndicat de vote, retiennent
que « la question de la nullité des pactes para-sociaux,
concernant l'exercice du vote, doit être résolue selon l'examen de
chaque situation ».
Afin d'approfondir les
différentes questions posées par cette introduction, cette
première partie se composera d'un premier chapitre qui
envisagera « les pactes d'actionnaires et l'attribution du
pouvoir » et d'un deuxième chapitre analysant « le
contrôle du pouvoir par le pacte ».