La définition du terme
donne des indications précises par rapport au sujet envisagé dans
cette étude. En effet, un pacte d'actionnaires « est une
convention signée par tous les actionnaires ou par certains d'entre eux
seulement(1). D'un point de vue formel, les statuts d'une société
constituent l'exemple type du pacte d'actionnaires. Alors de quels pacte
s'agit-il? De toute évidence des « autres pactes »,
ceux qui par cette expression se réfèrent à un contrat
passé entre actionnaires, dont le contenu n'est pas incorporé
dans les statuts et qui ont généralement pour objet de
déterminer les modalités et conditions d'acquisition et de perte
de la qualité d'actionnaire, les droits et obligations attachés
à cette qualité et les règles d'organisation et de
fonctionnement de la société et les modalités de
participation des actionnaires à la gestion de celle-ci.
Ces conventions sont
généralement destinées à demeurer occultes et par
conséquent, à ne pas être porter à la connaissance
des tiers non-signataires. Là est l'ambiguïté entre : la
loi, qui pour protéger les catégories d'actionnaires ou
d'investisseurs les plus faibles, oblige ces pactes à se
dénaturer dans un souci légitime de transparence, surtout quand
il s'agit de sociétés cotées et le souhait, pareillement
légitime, des auteurs, qui ne peuvent envisager la stipulation de telles
conventions, que lorsqu'elles peuvent rester secrètes.
Les mots
« occulte » et « secrète » sont
ceux à l'égard desquels les lois et les juges ont le plus
préjugés. En effet, il est acquis en Italie qu'un pacte
d'actionnaires est « una convenzione tra due o piu persone o stati,
un accordo, una condizione o un insieme di condizioni »(2)(une
convention entre deux ou plusieurs personnes ou Etats, un accord, une condition
ou un ensemble de conditions).
1 Dictionnaire Permanent Droit des affaires, Feuillets 157, 1
er novembre 2001
2 Nuovo dizionario della lingua italiana, Armando Curcio
Editore, Milano, 1998
Le fait qu'elle puisse être établie de façon
licite et juridiquement légitime, à l'intérieur de la
structure sociétaire et même uniquement entre certains
actionnaires, sans avoir besoin d'en faire communication, non seulement aux
tiers, mais aussi aux autres actionnaires, lui donne une efficacité
relative qui suffit aux souscripteurs de la convention. Là se situe
l'ambivalence de ces pactes.
Les lois doivent établir
les règles de référence, donner des critères
d'interprétation des phénomènes factuels. Elles doivent
être adaptées aux évolutions de la pratique tout en
respectant la culture juridique du pays, en faisant en sorte que ces points de
repères historiques fondamentaux ne deviennent des chaînes
inéluctables qui ralentissent l'évolution juridique et surtout
créent des fractures entre la loi et la réalité.
Il ne s'agit donc pas de juger a
priori ce qui est bon et ce qui est mauvais, mais plutôt d'intervenir sur
la détermination des principes et surtout sur leur applicabilité
dans la pratique des affaires. C'est en analysant cette question, qu'on se rend
compte que les lois françaises et italiennes ont engagé une lutte
législative contre ces pactes dans la crainte que ces conventions soient
utilisés pour cacher des faits illicites ou illégitimes.
Certes, l'avouer de
manière aussi claire n'est pas la voie choisie normalement par le
législateur. Il ne faut pas oublier que les principes impératifs
et le respect de l'ordre sociétaire doivent tant bien que mal, s'ajuster
par rapport au respect d'un autre principe, celui de la liberté
contractuelle des parties. Finalement, les parties au pacte ont le droit de
déterminer des accords occultes, tout en assurant le respect des
préceptes juridiques fondamentaux.
En tout état de cause, il
s'agit d'envisager une étude structurée et relativement complexe,
par rapport à un sujet qui ne peut pas être analysé
uniquement d'un point de vue juridique, mais qui demande une
compréhension globale du phénomène « pactes
d'actionnaires ».
En particulier, pour ce qui concerne les dynamiques
économiques, sociales et financières qui a priori justifient
l'engagement des actionnaires dans ces conventions.
En effet, la question
fondamentale, qui est sous-jacente et doit précéder toute analyse
juridique, est celle qui devra relever les raisons essentielles qui
amènent les actionnaires à souscrire de telles clauses.
Cette étude analyse les
liens étroits qui existent entre le rôle de
l'investisseur-actionnaire et la gestion effective du pouvoir . Car cette
dernière sera déterminante, voire essentielle, pour arriver
à concrétiser l'objectif majeur de tout actionnaire, qui est
celui de rentabiliser au maximum l'investissement financier effectué
dans le capital d'une société.
Dans cette optique, les pactes
para-sociaux deviennent des moyens juridiques, voire des instruments, qui
devront permettre la réalisation de l'objectif principal et comme tels
seront soumis, par leurs auteurs, à cet impératif
économique.
Finalement, au vu de la
complexité du sujet et de l'ampleur des questions posées, il est
certain que cette étude ne peut les traiter de manière
exhaustive. Elle visera plutôt à donner une lecture
parallèle des droits italien et français, ainsi que de la
pratique des affaires en matière de pactes d'actionnaires.
Par conséquent, dans cette introduction il est
nécessaire d'envisager avant tout l'examen du « domaine
d'investigation: les pactes d'actionnaires et ultérieurement, il sera
possible d'en établir « la méthode
d'investigation : la confrontation des systèmes juriques»
Les clauses sur les pactes
d'actionnaires et le pouvoir sont nombreuses dans les protocoles, dans les
statuts et dans les pactes adjoints et sont fort variées. Elles tendent
à assurer la sécurité d'un minoritaire au regard de
l'évolution économique de l'entreprise et sont destinées
à permettre un contrôle de la gestion de celle-ci; ce
contrôle peut aller du moins au plus, par paliers successifs.
Beaucoup de conventions extra
statutaires concernent la situation des dirigeants. En effet, d'une part les
dirigeants occupent dans la société la place principale, ils
peuvent ainsi exercer une influence plus notable sur la société
elle même. D'autres part, les dirigeants sont souvent tentés
d'user de leur influence prépondérante pour se faire consentir
des avantages ou des prérogatives qui s'accommodent mieux de la
discrétion des contrats que du caractère public des stipulations
statutaires.
Toute convention conclue avec les
dirigeants comporte, par conséquent, un risque d'abus, surtout lorsque
l'intéressé a la qualité de représentant
légal de la personne morale, car on est en présence d'une sorte
de contrat avec soi même. Cela explique notamment que, dans les
sociétés anonymes, les contrats entre la société et
ses dirigeants sont soumis à une réglementation spéciale,
sauf lorsqu'il s'agit de conventions courantes établies à des
conditions normales. Afin de préciser ce sujet, il convient de dire que
la loi interprète de façon très restrictive les accords
extra-statutaires qui limitent les pouvoirs légaux des organes
d'administration ou de direction(d'ailleurs, il n'apparaît pas de
différences substantielles remarquables, par rapport au fait qu'ils
soient ou non insérés dans les statuts).
En effet, d'une part ces accords
sont inopposables aux tiers, puisque les dirigeants sont réputés
disposer de tous les pouvoirs pour agir en toute circonstance au nom de la
société. D'autre part, même entre les parties, ces
conventions suscitent de nombreuses objections, car elles faussent le jeu
social en privant les dirigeants des attributions que la loi leur accorde, dans
l'intérêt même de la société. Il paraît
donc difficile de tolérer la coexistence d'une organisation officielle
et d'une hiérarchie parallèle occulte résultant de pactes
extra-statutaires, même si ceux-ci lient tous les associés.
De même, pour ce qui
concerne les conventions qui augmentent les attributions des organes
d'administration ou de direction, car elles ne peuvent porter atteinte aux
prérogatives de la collectivité des associés et doivent
pour cette raison être frappées de nullité. Les organes de
direction n'ont de compétence de principe qu'en matière d'actes
de gestion. Ils peuvent chercher, par un accord extra-statutaire, d'avoir le
pouvoir de modifier des règles statutaires, ce qui est normalement
contraire aux principes fondamentaux d'organisation de la
société.
L'étude se concentrera
essentiellement sur la question concernant la gestion du pouvoir à
l'intérieur de la société, en essayant de
déterminer de quelle façon, ceux qui ne détiennent pas ce
pouvoir peuvent arriver à influencer tangiblement l'organisation
sociétaire. En effet, les dirigeants font partie d'une des
catégories qui peuvent ingérer considérablement dans la
vie sociétaire, tant leur rôle est principal et ils peuvent avoir
le statut d'associés, d'actionnaires ou n'avoir aucun de ces deux
rôles. Normalement, le dirigeant doit appliquer les décisions que
la majorité des actionnaires ont prises en assemblée.
Finalement, il arrive couramment que les dirigeants ne soient que
des « hommes de paille », qui doivent exécuter
la volonté plus ou moins expresse du groupe majoritaire.
Dans cette analyse, une
question fondamentale revient, concernant les minoritaires et leurs moyens de
protection. Il est évident que, selon les modalités de
répartition du pouvoir, les différentes catégories
d'actionnaires peuvent intervenir dans le coeur des décisions
sociétaires de manière plus ou moins incisive. Bien
évidemment, ceux qui craignent le plus de subir des choix non
désirés sont les actionnaires qui ont, moins que d'autres, la
possibilité d'intervenir dans la gestion du pouvoir
sociétaire.
Par conséquent,
il est fort probable que, dès la constitution de la structure
sociétaire, des conventions interviennent portant sur la situation
même de la société, même si elles entraînent le
plus d'objections en terme de validité et d'efficacité. En effet,
on peut se demander pourquoi les associés ont recours à une
technique purement contractuelle, puisque les statuts ont
précisément pour rôle de fixer l'organisation et le
fonctionnement de la société. La conclusion de simples contrats
ne serait-elle pas l'indice qui relève une volonté de dissimuler
des stipulations dont la régularité pourrait être
discutable? Il n'est pas possible de donner une réponse unique à
cette question, car la réalité est dans tout domaine très
complexe et ne peut être envisagée de façon trop
simpliste.
Les
intéressés utilisent parfois les conventions extra-statutaires
à un stade de leurs relations où normalement les statuts
n'existent pas encore, parce que la société n'est pas encore
constituée ou ils ne sont plus pleinement en vigueur, parce que la
société est dissoute ou en phase de changements importants. Les
pactes d'actionnaires sont alors, préalable aux accords statutaires ou
la suite logique des stipulations contenues dans ces derniers. Finalement,
même en période de plein fonctionnement de la
société, des conventions peuvent être nécessaires,
du moment que tous les actionnaires n'y participent pas forcément. Rien
ne s'oppose à ce que des associés plus motivés que
d'autres s'unissent par des conventions particulières qui renforcent
les liens sociétaires, en établissant des règles
spécifiques à l'organisation du pouvoir de celle-ci.
Ce travail sera composée de deux partie, la
première consacré à l'étude des « pactes
d'actionnaires et l'exercice du pouvoir » et la seconde aux
« pactes d'actionnaires et l'évolution du pouvoir »