Cette
étude, sur les pactes d'actionnaires entre la loi et la pratique des
affaires, selon la culture juridique française et italienne, a
été envisagée en considérant prioritairement les
contrats passés entre les actionnaires. Le contenu de ces pactes n'est
généralement pas incorporé dans les statuts, bien qu'il
puisse être rendu public par des procédures spécifiques de
communication ayant pour objet de déterminer: les modalités et
conditions d'acquisition et de perte de la qualité d'actionnaire; les
droits et obligations attachées à cette qualité; les
règles d'organisation et de fonctionnement de la société
et les modalités de participation des actionnaires à la gestion
de celle-ci.
Selon cette idée première, l'étude a cherché
à mettre en évidence les deux éléments essentiels
sous jacents aux dynamiques organisationnelles, en dissociant les pactes qui
par leur nature et leur fonction ont normalement plus d'influence dans le
domaine du capital social et ceux qui influencent prioritairement la
distribution et l'organisation du pouvoir sociétaire.
Il
est certain, que dans la pratique des affaires, il est possible d'envisager une
modulation spécifique de ces deux éléments et d'intervenir
de manière particulière dans la rédaction de ces accords
pour affiner l'un et l'autre, selon les priorités et les besoins de
l'entreprise. Bien qu'il existe des paramètres standards qui constituent
des voies obligatoires à parcourir pour leur formalisation, normalement
déterminées par un système législatif
structuré et très complexe, les parties ont la liberté
d'envisager des aménagements particuliers à leur situation.
La
loi reste la référence fondamentale pour limiter les
dérives de la pratique et essayer d'intervenir efficacement dans la
réglementation de certaines des conventions qui, selon le cas seront
soumises à des contraintes de communication ou de formalisation
prédéterminées par le cadre normatif spécifique. En
effet, les sociétés cotées sur les marchés
réglementés, se doivent de respecter des protocoles
préétablis par la commission des opérations de Bourses et
de valeurs française ou par la Co.N.Sob italienne.
De même, pour certains pactes bien qu'insérés
dans le cadre de sociétés non-cotées, au vu de leurs
conventions et du niveau d'ingérence que celles-ci présentent par
rapport aux clauses statutaires, la loi leur impose des formes de communication
ou de formalisation prédéterminées.
L'étude a relevé que les obligations imposées aux
premières peuvent avoir des conséquences directes sur la
validité du pacte, tant
est ce qu'on ne parle pas d'efficacité relative, mais
plutôt de nullité de l'acte-même. Pour les deuxièmes
l'efficacité de l'accord reste variable entre les parties et ressent
d'une nullité relative face aux tiers au pacte, à moins que
celui-ci ne soit contraire aux normes impératives et à l'ordre
public sociétaire.
Il a
été relevé en outre, que malgré les
différences d'approche tant économique, politiques, historiques
que législatives entre les deux pays pris en référence,
à l'heure actuelle, les deux ordres juridiques reconnaissent ces accords
extra-statutaires. En effet, si en France la loi a permis, par son
évolution constante, une correspondance plus importante entre la
pratique des affaires et les références juridiques, en Italie en
dépit du retard sur cet aspect, la jurisprudence et la doctrine ont
essayé de combler les manques.
Aujourd'hui surtout à cause de l'harmonisation communautaire du droit
sociétaire, bien que les juges Italiens se montrent moins disponibles
face à une reconnaissance de ces conventions par rapport à la
jurisprudence française, des avancées importantes ont
étés effectuées. En effet, la position plus en retrait de
la jurisprudence italienne relève, de nos jours, plus du poids de la
tradition, de la culture doctrinale et de la difficulté d'effectuer un
choix législatif systématique et structurel, homogène et
cohérent aux implications politiques, sociales et économiques,
fondamentales pour la restructuration globale du système
sociétaire.
Malgré les règles très rigides imposées aux
sociétés cotées, surtout pour ce qui concerne les pactes
aménageant les statuts par rapport à l'organisation et à
la gestion effective du pouvoir à l'intérieur des organes
sociétaires, dans tous les autres cas les normes et les jurisprudences
actuelles françaises et italiennes acceptent d'envisager a priori
positivement la validité des accords extra-statutaires. Cela veut dire,
que les conventions intervenant prioritairement sur les dynamiques
spécifiques concernant la gestion du capital social paraissent moins
inquiéter les législateurs et les juges.
Il paraît
acquis que des clauses afférentes aux conditions de retrait et de sortie
des actionnaires ou à la dilution du capital, ainsi que celles
concernant les droits de l'associé le plus favorisé et la clause
de préemption peuvent se définir normalement de manière
à ne pas perturber structurellement et fondamentalement les
équilibres déterminés par les statuts, surtout pour ce qui
concerne la répartition du pouvoir et l'administration de celui-ci. Ce
fait, permet à ces clauses d'être moins soumises à l'a
priori négatif de la jurisprudence, comme si les aménagements
touchant prioritairement la gestion économique de la
société, ne
pouvaient pas emporter les mêmes conséquences que
celles intervenant dans l'organisation du pouvoir.
On se rend
compte que tous les accord afférents prioritairement et plus directement
l'exercice du pouvoir, tels que les conventions de vote et les syndicats de
vote ou de bloc relatifs, créent plus de problèmes et
soulèvent plus d'inquiétude. La philosophie juridique des deux
pays paraît, de ce point de vue, homogène et uniforme et uniforme
et ce, indépendamment de certains décalages en terme concernant
les diverses formulations normatives françaises et italiennes.
Les
deux droits en présence se préoccupent plus d'envisager un cadre
normatif strict et réglementé, face à certains pactes
extra-statutaires, qui a priori sont considérés intervenir de
manière parfois trop invasive, par rapport aux normes impératives
établies dans les statuts et au principe de protection des
catégories retenues les plus faibles dans le cadre sociétaire,
dans la gestion du pouvoir. Cet élément prioritaire pourrait, par
lui même, avoir des répercutions importantes sur les
équilibres sociétaires allant jusqu'à conditionner
activement la gestion du capital social.
Cette
façon d'envisager la problématique est ressentie de
manière forte dans le régime spécifique des
sociétés cotées, dans lesquelles la
dématérialisation du capital des actions a effectivement
accentué le rôle fondamental du pouvoir sur la gestion du capital.
Prenant en compte les dynamiques présentes dans le monde des affaires,
il serait possible d'en convenir ainsi, si effectivement la puissance
financière de l'actionnariat qui détient le pouvoir pouvait
être complètement détachée de la manipulation de
celui-ci. C'est-à-dire, s'il était possible d'envisager un
pouvoir majoritaire même avec une possession minoritaire du capital
social.
Il n'est normalement pas pensable d'influencer de manière
déterminante la politique et la gestion du pouvoir sociétaire, en
détenant uniquement une cote-part minoritaire du capital social. Cela
signifie, que selon la quantité effective d'actions détenues et
selon la catégorie spécifique de celles-ci, on peut imaginer
réellement quelle sera la proportion disponible à l'actionnaire
pour intervenir dans le cadre décisionnaire de la structure sociale.
Finalement, dans la pratique des affaires le rôle et l'importance de ces
deux éléments se retrouvent inversés, par rapport à
ce que l'on retrouve comme priorités
« législatives ».
Une
conséquence évidente de cette inversion structurelle est le fait,
que les normes en la matière, dans les deux ordres juridiques
étudiés, se concentrent essentiellement sur la définition
du régime des pactes extra-statutaires gérant le pouvoir des
sociétés cotées sur les marchés
réglementées par voie déductive, en application du cadre
législatif principal. A la pratique jurisprudentielle et à
l'analyse doctrinale, le rôle d'en relever les éléments
communs et divergents. De plus, le cadre normatif ne sera fixé, par des
lois spécifiques, que pour ce qui concerne les sociétés de
capitaux.
En dehors
de ces sociétés de capitaux, les lois n'interviennent pas de
manière directe sur le régime de ces conventions, en touchant
presque exclusivement les aspects rattachés principalement à la
gestion du pouvoir à l'intérieur des organes sociétaires.
On dirait presque que les législateurs français et italiens n'ont
pas voulu se confronter directement à la question de la gestion des
équilibres financiers, en préférant intervenir sur un
autre front.
Cette
ligne directrice des normes régissant la matière, trace une
frontière qui d'un côté laisse entrevoir un domaine
très étroit et de l'autre offre d'amples marges de manoeuvre pour
toutes les autres réalités hétérogènes qui
composent le monde des affaires. Mais cela signifie aussi, que beaucoup de
choses sont laissées dans l'incertitude et que les actionnaires d'une SA
non cotée ne trouveront pas de réconfort dans les lois mais
peut-être et plutôt dans les évolutions doctrinales et
jurisprudentielles.
Il en
reste pas moins, que dans la pratique, sans capital on ne peut détenir
le pouvoir et que la typologie du capital détenu est essentielle pour
qualifier la proportion et l'influence de pouvoir qu'un actionnaire a à
l'intérieur du domaine sociétaire.
La position législative est tout à fait
compréhensible, car dans les sociétés de capitaux les
dynamiques rattachées à la gestion et l'organisation du pouvoir
sont essentielles pour arriver à déterminer qui effectivement
assume « les responsabilités » de la gestions
sociale, laquelle aura des répercussions évidentes sur le capital
et sur les choix stratégiques de la société, par rapport
à ses investisseurs.
De
là, toute la question afférente au principe de la
démocratie qui devrait régir les rapports sociétaires, en
respectant la pleine liberté d'expression du vote en assemblée.
Principe qui ne peut pas se concrétiser dans la réalité
des dynamiques sociales, car considérer le système majoritaire de
prise de décisions en assemblée, comme un mécanisme
démocratique, ne peut être qu'une illusion. Sur le même
paradigme d'interprétation, s'insère aussi toute la
problématique
concernant la protection de l'actionnaire plus faible,
normalement correspondant au minoritaire et la nécessité
d'envisager le respect fort, de l'ordre public sociétaire et des normes
impératives généralement contenues dans l'acte social
statutaire.
Par
conséquent, si le droit se préoccupe plus d'encadrer la
matière selon ces priorités, effectivement
déterminées par la forma mentis juridique, qui requière la
détermination et l'identification des sujets, dans leur rôle
sociétaire; la pratique opère selon des phrases chronologiques
nécessaires et correspondantes à la logique sociétaire. Le
législateur a une fonction institutionnelle qui lui impose de se
concentrer sur les aspects afférents les dynamiques purement juridiques
de la matière, qui demandent, entre autre, la définition des
sujets « responsables », de leurs capacités
d'intervention et surtout de déterminer les limites des accords inter
partes, par rapport au respect des principes d'ordre public sociétaire.
N'y-a-t-il pas une possibilité de rencontre entre ces deux positions
qui, bien que fondamentales dans leur cadre de référence,
paraissent parallèles et par conséquent, difficilement
joignables? Il est important de rappeler que l'évolution
législative communautaire concernant les SE, réitère cette
forma mentis, car il est possible pour les minoritaires de faire entendre leur
voix si une SA décide de créer une SE holding, au cas où
l'État membre veuille en assurer une protection majeure par rapport
à celle déjà en vigueur ou encore si une SA désire
se transformer en SE, le respect de liens nés avant le transfert doit
être en quelque sorte assuré par la société
concernée. Dans ce cadre encore le législateur se
préoccupe avant tout de la manière dont le pouvoir sera
effectivement gérer et valide ultérieurement le fait que le droit
en la matière doit se soucier avant tout de préserver les plus
faibles d'un « abus de pouvoir » de la part de ceux qui le
détiennent. Aucune mention n'est faite même indirectement de
l'évaluation éventuelle des répercussions importantes que
ces modifications peuvent générer dans le domaine des
équilibres financiers sociétaires. Peut-on alors imaginer, que si
l'on assure la protection des minoritaires en ciblant comme objet de l'action
le pouvoir, indirectement, des répercussions sur les
éléments financiers correspondant sont inévitables?
En définitive,
il s'agit de deux préoccupations différentes. Les actionnaires et
surtout les minoritaires, bien que conscients de l'importance de la
qualité de l'exercice du pouvoir, savent que la rentabilité de
leurs investissements ne peut être assurée que par un groupe
compétant, dirigeant
stratégiquement la société de façon
efficace et ce, indépendamment du niveau de protection des lois.
L'aspect législatif a pour eux son importance, car la loi
prévient les actions abusives du pouvoir, ce qui représente une
sécurité indéniable. Les actionnaires minoritaires savent
aussi que leur position les empêche de facto d'intervenir au-delà
de certaines limites.
Il s'agit donc de
choisir, si l'on veut être minoritaire tant dans les droits et les
obligations que dans les risques et enjeux financiers correspondants ou si l'on
préfère rentrer dans la « cour des grands »
et en assumer les responsabilités. Les principes légaux
impératifs jouent un rôle de support et d'aide face aux
inquiétudes des minoritaires appelés à jouer les seconds
rôles dans l'actionnariat.
Il n'y a donc aucune
opposition, mais des priorités différentes, tout à fait
légitimes d'un côté comme de l'autre et qui ne peuvent
être dissociées. On pourrait conclure alors, que le droit et la
pratique des affaires voyagent sur une même ligne, se préoccupant
l'une et l'autre d'aspects différents, mais complémentaire et
selon les circonstances hiérarchiquement différents, en assumant
des valeurs et des rôles inversés.
Ce qui reste
regrettable est le fait, que s'agissant du régime juridique des pactes
d'actionnaires, la jurisprudence, tant en droit français qu'en droit
italien, soit souvent myope, et se limite souvent aux aspects plus formels que
substantiels du rapport contractuel. Ce qui donne l'impression que la loi est
parfois très éloignée des vrais problèmes de cette
pratique des affaires, en se cantonnant à réglementer le jeu du
pouvoir, sans approcher de plus prêt les vraies questions
stratégiques. Les minoritaires désirent être
préservés des manipulations frauduleuses du pouvoir et augmenter
ainsi leur protection face aux majoritaires, mais en tenant compte du fait que
celle-ci engendre des effets bien plus génants que de limiter leur
capacité à intervenir sur la gestion sociétaire, qui est
en elle même déjà réduite par leur position
naturelle de minoritaires.
S'il est certain que
celui qui détient majoritairement des parts de capital social puisse
intervenir plus directement at aisément dans les choix
stratégiques de la gestion du pouvoir, il ne l'est pas, que celui qui
est minoritaire dans le partage de l'actionnariat puisse
récupérer une partie de son désavantage uniquement
grâce à des dispositions législatives, sans trop se soucier
des effets réels que celles-ci auront sur sa possibilité
effective d'intervenir dans l'organisation et la gestion du capital social.
Les pactes
d'actionnaires peuvent être envisagés comme des moyens
supplétifs qui, dûment aménagés et correctement
établis, peuvent concrétiser le désir légitime des
minoritaires, tout en respectant leur position et finalement sans
dénaturer le rôle spécifique de la majorité. Est-il
souhaitable que les lois aillent plus loin? Est-ce nécessaire que le
droit s'immisce dans des domaines qui, selon une vision réaliste,
devraient être laissés à la définition des
règles libérales du marché et de son organisation
structurelle, telle que nous la concevons dans nos régimes
économiques occidentaux?
Il est certain que
trop de lois, trop de réglementation peuvent amener à
l'étouffement de la liberté de choix et du désir à
l'autodétermination des parties. En revanche, il serait probablement
souhaitable que les législateurs français, italiens, mais aussi
communautaire fassent un effort de concrétisation du droit. Il est
possible d'envisager une évolution législative plus conforme aux
souhaits réels des actionnaires et pas uniquement des minoritaires, en
recadrant le système législatif de manière à
prendre en compte de façon plus tangible et directe les dynamiques
présentes dans la gestion et l'organisation du capital social. Cela
passe probablement par une définition nouvelle des modalités et
des principes afférents la gestion du pouvoir sociétaire.
En
attendant, les pactes d'actionnaires ont encore un avenir prometteur devant
eux, car leur intervention permet effectivement de mitiger ces contrastes et de
faire en sorte, que ces deux positions, apparemment inconciliables, puissent se
conjuguer et devenir complémentaires.