Lors de prises de
participation dans des sociétés familiales, il est assez
fréquent de ne pas soumettre aux effets du pacte les cessions aux
conjoints, ascendants et descendants ainsi que les successions et liquidations
de communauté. Néanmoins, deux restrictions sont
généralement prévues à cette mise à
l'écart temporaire du pacte d'actionnaires. Les
bénéficiaires devront tout d'abord reprendre à leur charge
les obligations du pacte. Ensuite, si la transmission entraîne un
changement de contrôle, les investisseurs retrouveront la
possibilité de mettre en oeuvre les protections traditionnelles du pacte
et d'exercer leurs droits de préemption et de sortie conjointe. La
question est donc de savoir si en droit français ce type de dispositions
est compatible avec l'article L. 228-23 C. Com. Et ne constitue pas un pacte
sur succession future prohibé.
Cette question paraît
très intéressante surtout, parce qu'elle met en relation
directement les principes du droit des sociétés, avec tout son
bagage d'interprétation et d'application des règles jusqu'ici
analysées et les principes du droit civil, qui concerne plutôt le
régime des personnes physiques. Il y a là, une interception
importante entre deux disciplines qui, pour des raisons évidentes, dans
la réalité peuvent se retrouver l'une imbriquée dans
l'autre, bien que cela ne soit pas forcément facile à
envisager.
D'un côté les
actionnaires peuvent ne pas « désirer »
l'entrée dans l'actionnariat des héritiers légitimes de
l'associé décédé, car il s'agit souvent et surtout
dans le cadre des pactes extra-statutaires, de contrat intuitus
personae, qui par conséquent, se fondent sur un rapport de
connaissance et de confiance avec l'actionnaire concerné qui n'est pas
forcément possible avec ses héritiers. Cette position est
d'ailleurs la même dans le cas de liquidation de communautés, dans
lesquelles les actionnaires viendraient à perdre(ou devraient modifier)
éventuellement la participation d'un membre du pacte qui pourrait
être important, voire fondamental, pour le maintien de la
stabilité des équilibres sociétaires.
De l'autre
côté, il existe la revendication légitime des parties
extérieures au cadre sociétaire, qui normalement sont
représentées par des personnes physiques tiers par rapport
à la dimension sociétaire, qui selon la loi ont le droit de
pouvoir entrer en possession des « biens » du de cujus ou
des biens appartenant à la communauté des conjoints ou tout au
moins de pouvoir en disposer, sans devoir se soumettre à des contraintes
qui ne sont pas forcément établies par la loi.
Il s'agit d'un conflit
d'intérêts, car la personne morale d'un côté et la
personne physique de l'autre se trouvent à devoir envisager une solution
en respectant les principes d'ordre public de la loi, en essayant de limiter
les dommages possibles que de telles «mutations » pourraient
apporter aux régimes sociétaires convenus. En sachant que pour
les actionnaires le but pour eux est d'éviter des changements trop
brusques et surtout indésirés dans le cadre de la gestion de
l'organisation des équilibres sociétaires.
L'article L. 228-23 C.
Com., exclut du domaine d'application des clauses d'agrément, les
successions, liquidations de communauté et cessions à un
conjoint, descendant et ascendant. Se fondant sur cette prohibition, certains
auteurs soutiennent que les transmissions familiales ne peuvent être
soumises aux clauses de préemption. Cependant, en raison de la
jurisprudence actuelle qui distingue les clauses d'agrément des droits
de préemption, les clauses de préemption devraient normalement
être reconnue au sein des SA, milite d'ailleurs en faveur d'une telle
position. De plus, il semble difficile de pouvoir invoquer le caractère
d'ordre public de l'article L. 228-23 C. Com., au sein des SA.
En tout état de
cause, lors d'une transmission de titres par voie successorale, il y a aura
reprise automatique des engagements du pacte par les héritiers,
conformément à l'article 1122 C. Civ.. Cet article dispose que
les héritiers et légataires universels ou à titre
universel, succèdent aux droits et obligations auxquels leur auteur
avait été partie.
Si le décès
entraîne modification du contrôle et si les investisseurs
souhaitent exercer leur droit de retrait. Même en l'absence de
stipulations particulières, le pacte contiendra donc une stipulation
pour autrui faite par chacun des contractants au nom de ses héritiers.
Certains auteurs y voient une des conséquences du titre universel de la
transmission, tant à l'actif qu'au passif, le contrat étant un
élément du patrimoine. Parce que les dispositions de l'article
1122 C. Civ ne s'appliquant aux ayant cause à titre particulier, le
pacte devra prévoir expressément une reprise des engagements du
pacte pour toutes les autres transmissions familiales et ce, afin de contourner
le principe de l'effet relatif des contrats.
Le risque de qualification
du pacte d'actionnaires en pacte sur succession future existe lorsque lors du
décès d'un signataire, personne physique du pacte, les
investisseurs souhaitent exercer leur droit de préemption sur les titres
litigieux. En effet, l'héritier peut se voir
ainsi « dépossédé » d'une partie
de sa succession.
L'article 1130,
alinéa 2 C. Civ. Prohibe les pactes sur succession future en ces
termes « On ne peut faire aucune stipulation sur une succession
non ouverte même avec le consentement de celui de la succession duquel il
s'agit ». En d'autres termes l'article 1130 défend de disposer
par écrit de cette chose future que constitue une succession non
ouverte. La jurisprudence a appliqué ces principes aux promesses de
vente et a conclu à la nullité des promesses de vente dont
l'option ne pouvait être levée qu'après le
décès du promettant. Le critère retenu pour la
nullité et la requalification en pacte sur succession future
étant la volonté du promettant de ne pas se lier personnellement
et de ne vouloir lier que les héritiers. Les conventions portant sur un
bien qui ne figure pas au moment de l'acte dans le patrimoine du
débiteur ont également été qualifiées de
pactes sur succession future prohibés. Cependant, une nouvelle voie a
été ouverte qui distingue les pactes sur succession future et les
pactes post mortem, ces derniers étant
considérés comme valides.
Les pactes
post mortem, sont des stipulations par lesquelles les
parties ont voulu retarder au décès, non pas à la
naissance du droit, mais seulement son exigibilité. Ces stipulations
sont valables, car elles produisent immédiatement leur effet juridique.
Un droit est crée immédiatement contre le promettant, mais ne
pourra éventuellement être exercé qu'au jour de son
décès, c'est-à-dire contre sa succession. Il y a donc une
différence essentielle entre la stipulation post
mortem et le pacte sur succession future, car ce dernier suspend
non seulement l'exercice, mais la naissance du droit.
Ainsi, il a
été jugé que l'engagement par un associé de
céder toutes ses parts à un coassocié en cas de
départ définitif de la société et notamment en cas
de décès constituait une promesse valable.
Plus récemment, la
Chambre civile de la Cour de Cassation a jugé une promesse de vente
exécutée après le décès comme
valide « même si l'exécution de la promesse ne
pouvait être exigée que par une levée d'option
postérieure au décès ». Des
considérations ci-dessus, il ressort que les droits de préemption
des investisseurs, mis en oeuvre en cas de transfert d'actions par voie de
succession, devraient être considérés comme valides(29).
29 Cass. Civ., 13 juin 1996, in Bull. Civ. 1997