2. Intervention du juge
judiciaire dans l'application de la loi
On va se borner ici, à l'analyse de l'intervention du
juge judiciaire en ce qui concerne l'application de la loi en matière
répressive et en matière civile.
A. En matière
répressive
a. Nécessité
de l'interprétation
Il est vrai que lorsque le législateur promulgue une
loi, il entend apporter une solution de droit à un problème. Ce
qu'il attend comme suite est que les citoyens obéissent à la loi
et qu'en cas de contestation, le juge tranche en appliquant la loi.
Mais, la réalité est autre : de nombreuses lois
ne livrent leur secret qu'au contact de la réalité, de la
contestation à apaiser et du problème à
résoudre.
Bien plus, le législateur n'utilise souvent des
concepts qu'il ne définit pas ou qu'il définit mal. Le juge est
obligé de définir, voire de suppléer aux carences
inévitables du législateur. Il doit interpréter.
Les exemples qui suivent sont une parfaite illustration de
notre pensée :
- La notion d'ordre public ;
- Le principe nullum crimen ;
- La notion de bonnes moeurs ;
- L'équité.
a. 1. Notion d'ordre
public
De manière générale, nous pouvons dire
que l'ordre public est la notion fondamentale de l'État, voire la raison
d'être de l'État et la justification de cette autre notion floue
et variable qu'on appelle raison d'État.
Et dans toutes les procédures judiciaires ou
administratives, il existe des exceptions d'ordre public, c'est-à-dire
des moyens que les parties comme le juge doivent soulever d'office à
tous les stades de la procédure et qui, s'ils sont fondés,
mettent fin au litige.
Le recours à la notion d'ordre public permet au droit
civil de limiter le champ d'application de l'autonomie de la volonté
individuelle, telle qu'elle est formulée par l'article 33, livre III :
« les conventions légalement formées tiennent lieu de loi
à ceux qui les ont faites ».
Le principe parait absolu, et pourtant il connaît des
limitations dues au respect de l'ordre public.
La loi des parties est une règle générale
en matière civile, mais l'ordre public est une règle
supérieure, parce qu'il équivaut à la finalité de
l'État, puissance publique, garante de la souveraineté nationale,
de l'intégrité du territoire et de la sécurité des
personnes et des biens.
En droit pénal, celui-ci est défini comme
l'instrument direct au service de l'ordre public et de la tranquillité
publique. C'est pourquoi, il est le sanctionnateur des autres disciplines
juridiques, lorsque celles-ci ne se suffisent plus pour la sauvegarde de
l'équilibre, de l'harmonie, de la paix dans la société.
C'est avec raison qu'on appelle le droit pénal « le gardien de tous
les autres droits ». Cependant, autant il y a unanimité pour dire
de l'ordre public qu'il est la raison d'être et la finalité de
l'État, autant rare est sa définition légale. Nous irons
même plus loin : il n'existe pas de définition constitutionnelle
ou légale de l'ordre public. Notre constitution recourt à maintes
reprises à la notion d'ordre public, qu'elle ne définit par
ailleurs nulle part.
Il en est ainsi aux articles 16 sur le droit à la vie,
20 sur la publicité des audiences des cours et tribunaux, 22 sur la
liberté de pensée, de conscience et de religion, 23 sur la
liberté d'expression, 24 sur le droit à l'information ou 26 sur
la liberté de manifestation.
De même, les lois recourent à la notion d'ordre
public sans la définir.
Pour François Rigaux, l'absence de définition a
une explication : « comme notion fonctionnelle, les tentatives de
définition sont toutes condamnées à l'échec ».
Pour le professeur Jacques Ghestin, « l'ordre public est une notion
particulièrement fuyante qui ne se laisse guère enfermer dans une
définition précise ». Il cite à ce sujet des auteurs
qui se sont avoués vaincus, comme
Pilon qui refuse de « s'aventurer sur les sables mouvants
»ou Alglave sur « un sentier bordé d'épines, tandis que
Ph. Malaurie a relevé 22 définitions dans la doctrine et la
jurisprudence.
Il parait plus adéquat de travailler sur
l'hypothèse de plusieurs notions d'ordre public, dont les contenus
respectifs varient dans des cadres distincts les uns des autres.
Mais, nous resterions sur notre soif, s'il n'existait
même pas une tentative de définition. À cet effet, nous
sollicitons Planiol qui considère qu'une disposition est d'ordre public
« toutes les fois qu'elle est inspirée par une considération
d'intérêt général qui se trouverait compromise si
les particuliers étaient libres d'empêcher l'application de la loi
».
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