Le pouvoir judiciaire dans l'application et la protection des lois en droit positif congolaispar Chris INGAU SOMBOLA - Licence en droit public 2018 |
Paragraphe premier : état de la question relative à l'indépendance du pouvoir judiciaireD'entrée de jeux, il est important de souligner que la question concernant l'indépendance du pouvoir judiciaire a toujours été au coeur des débats surtout dans des pays ayant en commun la langue française. Nous allons donc analyser l'état de cette question de façon générale c'est-à-dire scruter la quintessence de l'indépendance du pouvoir judiciaire de façon globale en cherchant savoir quelle est la perception du monde ou de sa grande partie sur l'indépendance du pouvoir judiciaire ou indépendance de la justice et analyser aussi l'état de ladite question en République Démocratique du Congo. 1. Etat de la question de façon générale La question de l'indépendance du pouvoir judiciaire comme nous l'avions souligné ci-haut, a toujours été au coeur des débats particulièrement dans les pays ayant la langue française en commun, dont la République Démocratique du Congo. Lors du deuxième congrès organisé par l'Association des Hautes Juridictions de Cassation des pays ayant en partage l'Usage du Français, tenu à Dakar le 7 et 8 novembre 2007 et qui a eu pour thème ; « l'indépendance de la justice », le professeur Guy CARCASSONNE a eu à révéler les résultats d'une enquête réalisée dans quelques-uns de ces pays en des termes suivants : « En Albanie, «selon l'opinion publique, les juges ne sont pas indépendants». Au Burkina-Faso, «l'opinion publique n'a pas le sentiment que les juges sont indépendants». En France, 54% des sondés considèrent que le fonctionnement de la justice est Plutôt dépendant du pouvoir politique. En Guinée, «il faut reconnaître que l'opinion publique n'a pas le sentiment que Les juges sont indépendants». En Haïti, «l'opinion publique, par la faute de certains juges véreux, a collé à la Justice haïtienne une épithète de corrompue, cela suppose qu'elle est partiale, elle ne Saurait donc, dans l'esprit du public, être indépendante». Au Mali, « si l'opinion publique pense que les juges ne sont pas aux ordres du pouvoir, il n'en demeure pas moins qu'ils sont sous l'influence de l'argent». En Mauritanie, l'opinion publique «est plutôt convaincue que les juges sont sous l'influence des pouvoirs politiques ou des puissances financières». 38,7% des sondés en Moldavie ne font pas trop confiance à leur justice, contre seulement 27,6% qui nourrissent le sentiment inverse. Au Tchad l'opinion publique a le sentiment que les juges ne sont pas indépendants», Tout comme au Togo où «elle ne semble pas être convaincue de l'indépendance des juges»196(*) A cette cruelle question, la palme de la franchise et du laconisme revient à nos amis du Niger : l'opinion publique a-t-elle le sentiment que les juges sont indépendants? La réponse tombe, simple, nette et brutale, non. Cette enquête quoique antérieure à notre étude sur l'indépendance du pouvoir judiciaire ou indépendance de la justice, il est évident que dans la vie pratique des Etats du monde de tous les continents, les pouvoirs politiques (législatif et exécutif), semblent fonctionner en présentant une sorte de supériorité à l'égard du pouvoir judiciaire qui est en quelque sorte le pouvoir contrôleur des autres pouvoirs de l'Etat, en ce qu'il est le garant de l'application des lois et l'organe ayant la charge de sanctionner la non-application de la loi ou le non-respect à la loi. L'indépendance du pouvoir judiciaire est donc au coeur des débats dans le monde entier. 2. De façon particulière en République Démocratique du Congo Une constitution a été adoptée par référendum en République Démocratique du Congo en 2006. La question relative à l'indépendance du pouvoir judiciaire sera donc examinée ici sur base des dispositions de cette constitution. Le constituant de 2006, détaille de façon claire dans l'exposé des motifs de ladite constitution, les raisons ayant justifié l'adoption ou la prise de cette constitution. L'exposé des motifs est ainsi repris : « Nous, Peuple congolais, Uni par le destin et par l'histoire autour de nobles idéaux de liberté, de fraternité, de solidarité, de justice, de paix et de travail ; Animé par notre volonté commune de bâtir, au coeur de l'Afrique, un Etat de droit et une Nation puissante et prospère, fondée sur une véritable démocratie politique, économique, sociale et culturelle ; Considérant que l'injustice avec ses corollaires, l'impunité, le népotisme, le régionalisme, le tribalisme, le clanisme et le clientélisme, par leurs multiples vicissitudes, sont à l'origine de l'inversion générale des valeurs et de la ruine du pays(...) ; Conscients de nos responsabilités devant Dieu, la Nation, l'Afrique et le Monde ; Déclarons solennellement adopter la présente Constitution».197(*) La prise de cette constitution était justifiée donc par le désir de rompre avec le passé sombre qu'a traversé la République Démocratique du Congo en ce qui concerne son organisation politique interne comme externe et en ce qui concerne les droits et libertés fondamentaux garantis à ses citoyens, ainsi que les mécanismes de sauvegarde et de protection de ces droits et libertés fondamentaux. En ce qui concerne l'indépendance du pouvoir judiciaire, cette constitution a le mérite d'innover en ce sens qu'elle va doter à la République Démocratique du Congo un Conseil supérieur de la magistrature purgé de toute participation des membres des autres pouvoirs principaux de l'Etat à savoir : le Législatif et l'Exécutif. Désormais depuis la prise de la constitution du 18 février 2006, le Conseil Supérieur de la Magistrature est composé seulement des membres de ce pouvoir donc des magistrats Comme nous pouvons le constater, la constitution actuelle vise à détacher pleinement le pouvoir judiciaire de cette emprise de l'exécutif dans laquelle il était soumis autres fois comme nous l'avons démontré dans la partie relative à l'évolution législative de la question liée à l'indépendance du pouvoir judiciaire en République Démocratique du Congo. La même constitution dispose en son article 149 ce qui suit : Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il est dévolu aux cours et tribunaux qui sont : la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation, le Conseil d'Etat, la Haute Cour militaire ainsi que les Cours et Tribunaux civils et militaires. La justice est rendue sur l'ensemble du territoire national au nom du peuple. Cette disposition constitutionnelle est un peut plus claire. Elle affirme sans équivoque l'indépendance du Pouvoir judiciaire vis-à-vis des Pouvoirs législatif et exécutif, elle nomme les autorités chargées d'exercer ce pouvoir et le souverain au nom de qui il est exercé. En conséquence, l'unique instance au-dessus du Pouvoir judiciaire est le peuple et non pas un membre d'un autre pouvoir. L'article 150 renchérit en des termes suivants : « Le pouvoir judiciaire est le garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens. Les juges ne sont soumis dans l'exercice de leur fonction qu'à l'autorité de la loi. Une loi organique fixe le statut des magistrats ». L'analyse de ces deux dispositions constitutionnelles démontre combien le pouvoir judiciaire a un rôle majeur à jouer dans la vie quotidienne d'un Etat, car garant des droits et libertés fondamentaux des citoyens et que dans cette logique il n'y a rien de plus normal que la raison ou le devoir de garantir son indépendance. Toujours dans l'optique de l'analyse des dispositions constitutionnelle relatives à l'indépendance du pouvoir judiciaire, l'article 151 de la constitution sous examen dispose ce qui suit : Le pouvoir exécutif ne peut donner d'injonction au juge dans l'exercice de sa juridiction, ni statuer sur les différends, ni entraver le cours de la justice, ni s'opposer à l'exécution d'une décision de justice. Le pouvoir législatif ne peut ni statuer sur des différends juridictionnels, ni modifier une décision de justice, ni s'opposer à son exécution. Toute loi dont l'objectif est manifestement de fournir une solution à un procès en cours est nulle et de nul effet.198(*) L'examen de toutes ces dispositions permet à ce que nous pouvons déduire l'état actuel du principe de l'indépendance du pouvoir judiciaire en République Démocratique du Congo. Disons quant à ce, que la principe de l'indépendance du pouvoir en République Démocratique du Congo est bel et bien consacré et garanti dans la mesure où la constitution interdit expressis verbis au pouvoir législatif d'intervenir dans le domaine judiciaire par la prise d'une loi (sa mission constitutionnelle) de nature à donner une solution dans un procès en cours devant une juridiction et au pouvoir exécutif d'interférer dans les attributions du pouvoir judiciaire. Ne perdons pas de vue cependant qu'en pratique les choses se passent autrement c'est-à dire en marge des dispositions constitutionnelles et légales en ce qui concerne le fonctionnement du pouvoir judiciaire et de surcroit son indépendance. A. L'indépendance du pouvoir judiciaire en pratique en République Démocratique du Congo Au Congo-Kinshasa on assiste à des interférences des autorités politiques et militaires sur la fonction de dire le droit avec pour effets : une sorte de déni de justice formel, des jugements iniques et arbitraires... Il suffit, pour s'en rendre compte, de se reporter sur le rapport d'un expert onusien dont voici la teneur : « L'article 151 de la Constitution prescrit que le Pouvoir exécutif ne peut donner d'injonction au magistrat dans l'exercice de sa juridiction, ni entraver le cours de la justice, ni s'opposer à l'exécution d'une décision de justice. Cette disposition n'est pas mise en oeuvre: le pouvoir exécutif continue de donner des injonctions aux juges et s'oppose à l'exécution de certaines décisions de justice. Des magistrats, notamment militaires, ont indiqué avoir été informés par leur hiérarchie qu'ils devaient prendre une certaine décision pour pouvoir aspirer à une promotion. Dans plusieurs procès pour crimes graves... des magistrats ayant entamé des actions ou pris des décisions défavorables à un membre du commandement militaire ont été déplacés et que, suite à ce déplacement, les décisions adoptées par leur successeur ont abouti à l'acquittement de l'accusé. Dans de nombreux cas, le commandement militaire ne remet pas aux magistrats les militaires inculpés, afin qu'ils puissent être interrogés ou arrêtés. La même chose se passe au niveau de la police: l'inspectorat ne remet pas les policiers inculpés, en expliquant parfois qu'ils sont « appuyés par la capitale », même quand il s'agit de faits graves, tels que des viols. Les magistrats décrivent une situation intenable dans laquelle il est souvent impossible de travailler. Le pouvoir que l'Exécutif continue d'avoir sur le transfert et la promotion des juges, en violation des dispositions de la Constitution qui attribue ces fonctions au Conseil supérieur de la magistrature, reste l'une des causes principales du manque d'indépendance du Pouvoir judiciaire et donc de la persistance de l'impunité dans le pays. »199(*) En changeant ce qui doit l'être, ce rapport accablant qui concerne surtout la justice militaire vaut également pour la justice civile et se passe de tout commentaire. Il est une véritable photographie du fonctionnement de la Justice en République Démocratique du Congo dans ce qu'elle a de visible. Mais en coulisse, il y aurait pire. Il suffit de discuter avec les magistrats et les avocats de cette partie de l'Afrique centrale pour se laisser emparer par le découragement d'y pratiquer le droit. Le téléphone constitue un moyen très efficace de pression sur les magistrats qui sont obligés de rendre des décisions illégales et contraires à leur intime conviction, soit pour sauvegarder leur vie et celle de leur famille, soit pour se maintenir au poste, soit pour recevoir une promotion. Les magistrats exercent à leur tour des pressions sur les avocats afin qu'ils leur offrent des avantages matériels, et les avocats se rabattent sur leurs clients en des termes similaires : « il faut donner une somme conséquente au juge afin que votre affaire soit tranchée ». À la clé, c'est l'avocat le plus offrant qui gagne le procès et non celui qui a le mieux plaidé. Ainsi donc, la vérité judiciaire est mercantilisée en République Démocratique du Congo.200(*) Ainsi on peut le remarquer la différence entre les textes et la pratique est énorme en ce sens que les dispositions textuelles ne sont pas toujours pas en harmonie avec le résultat de la pratique. Nous avons eu l'honneur d'interviewer certains magistrats lors de notre période de stage et la question sur l'indépendance du pouvoir judiciaire a donné lieu à une réflexion basée sur une maxime sortie de la bouche d'un magistrat qui a dit : « lorsque la politique entre dans le palais, le droit s'enfuit par la fenêtre. Nous avons pris le soin d'analyser cette maxime de façon approfondie et notre conclusion était la suivante ; : déjà sur le plan personnel, le magistrat censé assuré la protection et l'application de la loi est en état de faiblesse en ce qui concerne son indépendance. * 196 Guy carcassonne, Deuxième acte de congrès de l'AHJUCAF, Dakar, 2007, p.31 * 197 Exposé des motifs de la constitution du 18 février 2006, JORDC, N° spécial 52 * 198 Article 151 de la constitution du 18 février 2006, JORDC, N° spécial 52. * 199 §§ 39 et 40 du Rapport du Rapporteur spécial de l'ONU sur l'indépendance des juges et des avocats, Leandro Despouy, sur sa mission en République démocratique du Congo (15-21 avril 2007), présenté devant le Conseil des droits de l'homme, le 11 avril 2008, à la huitième session consacrée à « la promotion et protection de tous les droits de l'homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement ». On peut trouver l'entièreté de ce rapport sur : http://daccessdds.un.org/doc/UNDOC/GEN/G08/128/50/PDF/G0812850.pdf?OpenElement. * 200 C Yatala Nsomwe Ntambue, indépendance du pouvoir judiciaire à l'égard du pouvoir exécutif au Congo Kinshasa, article en ligne, p.9 |
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