Conclusion
« Si tu diffères de moi, mon frère, loin
de me léser, tu m'enrichis » Antoine de
Saint-Exupéry.
A titre de conclusion de ce mémoire, force est de
constater que la réponse à la question du fait religieux en
entreprise n'est pas des plus simples, ou tout du moins, qu'elle n'est pas
unique.
Alors que dans les services publics le principe de
neutralité prévaut, aussi bien pour les fonctionnaires et
contractuels que les usagers, il ne trouve pas son équivalent en
entreprise. La jurisprudence a pu, au fil de ses arrêts, dégager
le principe selon lequel la laïcité n'a pas lieu de s'appliquer
dans les entreprises privées. Un principe conforté tant par les
normes internationales et communautaires qu'en droit interne, qui placent de
fait la liberté religieuse au rang des libertés fondamentales.
Mais comme à chaque principe, il existe une, voire, plusieurs
exceptions. Et c'est là toute la subtilité du droit, cette
matière vivante et évolutive que certains considèrent,
à tort, comme figée dans le temps.
Loin de méconnaître la liberté propre
à l'employeur, notamment dans l'organisation de son activité, la
jurisprudence a, en même temps qu'elle consacre le principe de
liberté religieuse du salarié, admis certaines limites à
celle-ci fondées sur l'article L.1121-1 du Code du travail. Ainsi,
l'employeur peut restreindre certaines libertés religieuses du
salarié dès lors qu'elles portent atteinte à des
règles d'hygiène et de sécurité, ou encore,
à l'image de marque de l'entreprise. Cependant, la frontière
peut-être mince quelques fois.
Et, s'il existe en la matière assez peu de contentieux,
il arrive que certaines affaires soient portées jusqu'à la Cour
de cassation. A l'instar du feuilleton épisodique de la crèche
Baby-Loup, qui a également marqué un tournant sur la question du
fait religieux en entreprise. La Haute juridiction avait en effet admis, au
terme d'une longue bataille judiciaire très médiatisée,
qu'une personne morale de droit privé - une crèche en
l'espèce - pouvait exiger la neutralité de ses salariées
eu égard à sa mission d'accueil
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de jeunes enfants. Insidieusement, cela revient à
envisager une extension de la laïcité dans un espace, par
définition, privé. Et plutôt que de simplifier la
tâche aux juges, la portée de cette décision n'en a
ajouté, en définitive, que davantage de complexité.
D'autant que la couverture surmédiatisée de cette affaire n'y est
certainement pas étrangère, car ce qui n'était
censé être à la base qu'un simple cas d'espèce
opposant un employeur à sa salariée a donné naissance
à une véritable vindicte nationale. Preuve en est avec les
nombreux soutiens - politiques, médiatiques - apportés à
la directrice de la crèche, érigée en une «
héroïne de la laïcité » face à «
l'obscurantisme de l'islam » cristallisé par le voile islamique que
portait la salariée.
La question du fait religieux de façon
générale, mais en entreprise plus particulièrement, divise
plus qu'elle ne fait l'unanimité. De fait, la doctrine s'accorde
à dire majoritairement qu'il convient de privilégier la voie
conventionnelle plutôt que de légiférer en la
matière, qui ne serait pas pertinent. A l'instar du conseiller à
la Cour de cassation M. Philippe Waquet, qui affirmait : « on voit mal
pourquoi le législateur dépasserait le niveau des règles
de sécurité et de salubrité qu'il peut imposer aux
entreprises, pour règlementer la manière dont les salariés
doivent être vêtus ou des signes qu'ils peuvent porter
»141. En effet, l'entreprise dispose d'un certain nombre
d'instruments juridiques qui doivent lui permettre, en principe, de trouver un
équilibre satisfaisant.
Et face à la recrudescence du religieux en France ces
dernières décennies, on peut se demander si la solution ne serait
pas finalement d'adopter la même position que certains pays de l'Union
Européenne. Comme le Royaume-Uni à titre d'exemple, qui
prône la neutralité vis-à-vis des religions ; autrement
dit, chacune d'elles peut s'exprimer librement tant qu'elle ne nuit pas aux
autres. Evidemment, il ne s'agit pas non plus de remettre en question le
modèle français de laïcité, mais de l'appliquer
à l'Etat seulement - comme c'était censé être le cas
à l'origine de son instauration - plutôt que d'envisager son
extension à l'espace privé.
141 WAQUET Philippe, « Convient-il d'interdire le port de
signes religieux dans l'entreprise ? », in Dalloz Revue de droit du
travail, Rev. trav. 2009, 485 pp.
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Malheureusement, la laïcité fait
régulièrement l'objet de récupérations politiques
de tous bords, entretenant ainsi l'amalgame dans l'esprit des uns et des
autres. Et dans un climat « post-Charlie » particulièrement
hostile à l'expression du fait religieux de façon
générale, mais musulman plus spécifiquement, il convient
de rappeler à tout un chacun la quintessence même de la
laïcité. A savoir, la garantie du vivre-ensemble dans le respect de
toutes les croyances et non-croyances de l'ensemble des individus en France.
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