1.5.3. Échecs de la création d'une langue
véhiculaire européenne
Déjà en 1885, on peut constater en France une
volonté de créer une langue internationale auxiliaire pour
répondre à l'émergence du Volapük, langue
à vocation universelle inventée par l'allemand M.Schleyer et qui
permettrait « à tous les peuples de communiquer entre eux »
tout en répondant à « tous les besoins commerciaux et
intellectuels du monde entier ».
Lorsque M. Letellier met au point cette langue, il met un
point d'honneur à ne pas « sacrifier l'amour-propre de peuple
à peuple puisque c'est notre propre langue que nous parlerons »,
langue qui sera transformée grammaticalement au moyen de 25 lettres de
l'alphabet auxquelles M. Letellier a attribué certaines fonctions
convenues.
Cette langue internationale ou encore «langue maternelle
internationale » devait se plier à tous les dialectes et
s'apprendre « de façon très rapide puisque la grammaire ne
contient que 16 pages » et répondait à un besoin social
puisqu'elle permettait « de mettre à la portée de toutes les
races, par la transcription, les chefs d'oeuvre intellectuels [...] de
multiplier les relations commerciales, de faire diminuer
considérablement le prix de revient des
marchandises.»35
Bien sûr, la volonté de développer une
langue universelle qui rassemblerait les hommes ne date pas d'hier et se
rapporte au mythe biblique de la tour de Babel.
En effet, on peut lire dans l'Ancien Testament, 1er
verset du chapitre 11 de la Genèse que tous les habitants sur la terre
utilisaient la même langue et décidèrent d'ériger
une tour qui irait jusqu'aux cieux « faisons- nous un nom et ne soyons pas
dispersés sur toute la terre ». Cette
35 CHÉRIE, Alfred, La langue
internationale démontrée pratique, facile et actuellement
à la portée de chaque peuple d'Europe ou d'Asie au moyen de
l'analyse grammaticale de sa langue maternelle d'après les travaux
(1858-1886) de M. C. L. A. Letellier : comparaison avec Volapuk /
conférences faites par Alfred Chérie, de Paris à Dijon,
Lyon et Marseille, Paris, A. Chérie
volonté d'unité, cette manifestation d'orgueil
fut punie par le seigneur, qui décida de « confondre leur langage
pour qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres »
Cette parabole montre bien la puissance du langage et les jeux
de pouvoirs qu'il implique, une langue commune fait certes l'unité des
peuple mais assurerait en sus une position de pouvoir telle qu'elle pourrait
rivaliser avec la puissance divine.
Cependant une langue unique et puissante peut être
tournée en dérision comme ce fut le cas de la langue
internationale du Dr Zamenhof : L'Esperanto.
Risée par les médias et considérée
comme une solution déraisonnable par ses pairs, l'esperanto a
échoué comme langue internationale :
« Une langue, inventée, artificielle, ne peut pas
servir de langue commune. C'est pourquoi l'esperanto reste toujours une
fantaisie. »36
Tout comme le volapuk ou la langue de Mr Lettelier,
l'esperanto se voulait répondre à une grammaire et un vocabulaire
simple afin d'être accessible au plus grand nombre cependant celle -ci
était appréhendée de manière très dure par
l'opinion publique :
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36 Piron, Claude, (1987), Esperanto : l'image et la
réalité, Paris : Université de Paris VIII
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L'esperanto serait une « langue faite de bric et de broc
à partir d'éléments empruntés aux langues d'Europe
occidentale », un « code rigide, inexpressif et sans vie »
« défendu par une poignée de militants manquant de
réalisme qui s'imaginent que la paix découlerait automatiquement
de l'adoption d'une langue universelle ».37
En somme, l'esperanto serait une langue simpliste, « sans
âme » ni peuple ou territoire
La solution optimale serait d'utiliser une langue vivante qui
passerait outre les frontières, les barrières spatiales et
linguistiques comme ce fut jadis le cas du français, une lingua
franca acceptée et reconnue de tous.
Aujourd'hui cette lingua franca, s'il doit y en avoir
une, serait l'anglais.
Pour conclure cette partie sur la diversité des langues
en Europe, il faut retenir que le multilinguisme de l'Europe contribue à
sa compétitivité et qu'il est important de sauvegarder cette
particularité. C'est pour cette raison que lors du sommet de Barcelone
entre les états membres de 2002 il a été
décidé que chaque citoyen apprenne au moins deux langues
étrangères en plus de sa langue maternelle.38
Avec l'internationalisation des marchés et la
mondialisation, les langues ne sont plus seulement utilisées pour
augmenter les ventes et faire du marketing, elles sont devenues cruciales dans
le développement de relations stratégiques entre les pays et
entre les entreprises.
37 Piron, Claude, (1987), Esperanto : l'image et la
réalité, Paris : Université de Paris VIII, p. 21
38 Etienne Davignon, Viscount, (2007), «
Languages means business : Companies work better with languages », DG
Education and Culture, European Comission
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