2.4 Le langage : outil de domination
«Si celui dont j'étudie la langue ne respecte pas
la mienne, parler sa langue cesse d'être un geste d'ouverture, il devient
un acte d'allégeance et de soumission.»79
2.5.1 Stratégie et rapports de force
D'après Bachrach et Baratz80, il y a
relation de force et domination dès lors que A est impliqué dans
la prise de décision dont dépend B, la position de pouvoir vient
donc de l'interaction entre A et B et du fait que les actions de A peuvent
influencer celles de B. Cette position de pouvoir peut même être
exercée de manière invisible, par une pression psychologique dans
le but d'influencer B à suivre les mêmes valeurs sociales par
exemple.
Cette domination sociale est particulièrement
importante dans le cadre d'échanges interculturels entre deux
sociétés.
Quand on parle de relations de pouvoir et de domination au
sein d'une entreprise, on pense spontanément à l'organisation
hiérarchique qu'il est courant de rencontrer et de ses implications sur
les rapports sociaux.
Or, avec la mondialisation et l'essor des fusions &
acquisitions et de la sous-traitance, il est de plus en plus courant
d'évoluer dans plusieurs langues dans le monde de l'entreprise.
Dans le cadre d'une domination sociale, les groupes sociaux
(B) ont tendance à adopter ou, à défaut, imiter le langage
du groupe dominant (A) selon Bourdieu. Lorsque ce n'est pas le cas, le groupe B
peut répondre à cette domination sociale par la langue en
adoptant une forme de résistance en développant leur propre
langage alternatif.
79 Maalouf, Amin, (1998), Les identités
meurtrières, Paris, Grasset
80 Bachrach, Peter, (1962), « The Faces of Power
», in The American Political Science Review, pp. 947-952
44
Concernant les personnes qui maîtrisent la langue A,
elles se retrouvent dans une position de pouvoir de facto qui n'est pas sans
risques. Nous reviendrons sur ce point dans la partie 3 de ce devoir.
2.5.2 Rapport entre les langues en présence
Tout comme il existe des langues majoritaires et minoritaires
au sein d'un même pays (cf. 1.5.1), ce constat s'applique aussi au milieu
de l'entreprise avec une dynamique de langues dominantes et langues
dominées. Cependant si la distinction entre langues majoritaires et
minoritaires résultait le plus souvent d'une supériorité
ou infériorité numérique, ce n'est pas le cas pour les
langues dominantes et dominées en entreprise : c'est la langue du
pouvoir qui prime.
Cette langue est celle qui est vraisemblablement
définie par la politique linguistique de l'entreprise.81
Aussi la maitrise de la langue du pouvoir définit la
position sociale de celui qui la parle au sein de l'entreprise.
En effet, la personne ne maitrisant pas la langue du pouvoir
ou mal va avoir tendance à utiliser de nombreux marqueurs linguistiques
trahissant sa position de faiblesse lors de contacts avec la personne parlant
la langue dominante.82
Ils auront tendance à utiliser beaucoup plus de
formules interrogatives pour chercher l'aval de leur interlocuteur, utiliser
des formules de politesses plus que de raison tout en faisant preuve
d'hésitations verbales ou non verbales.83 Cependant en
adoptant un tel comportement, cette
81 Wodak, Ruth, (2012), « Language, power and
identity », in Language Teaching, p.216
82 Areni, Charles S, et al., (2005), « Language
power and persuasion », in Psychology & Marketing
83 Vaara, Eero, et al. (2005), « Language and the
Circuits of Power in a Merging Multinational Corporation», in Journal of
Management Studies
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personne se voit obtenir un statut social diminué mais
risque également de perdre en crédibilité professionnelle
(nous reparlerons de ce phénomène plus précisément
dans la partie 3.5.3 de ce devoir). En revanche les personnes parlant la langue
A, accéderont plus facilement à des postes clefs, et seront les
garants de la transmission de l'information entre les deux entreprises. Leur
pouvoir s'en trouve donc sensiblement augmenté.84
Lors de notre étude du phénomène des
fusions et acquisitions , nous avons pu étudier les stratégies
des grands groupes pour optimiser leur performance en fusionnant avec leur
concurrents ou en délocalisant une partie de leur activité dans
des pays où les coûts seront moindres et la qualité au
rendez-vous. En sus du gain de temps et d'argent engendrés, les
entreprises « sources» ou donneurs d'ordre s'assuraient un
contrôle et un suivi optimal des opérations offshores mais
bénéficiaient aussi de plus de flexibilité et de temps
pour mener d'autres opérations en interne. Cependant, après notre
analyse de la culture d'entreprise et de son implication sur la performance il
apparaît désormais clair que celle-ci doit être pris en
compte lors d'une décision de partenariat commercial que ce soit dans le
cadre d'une fusion, acquisition ou encore de sous-traitance.
La culture d'entreprise, la culture nationale, les langues en
présence sont autant de facteurs qui doivent être
considérés avant de prendre une décision : C'est pourquoi
de plus en plus d'organisations ont adopté la solution innovante du
« in shore » qui consiste à externaliser certaines de ses
activités mais tout en restant sur le même territoire. C'est la
valeur ajoutée du centre d'appels Mars Marketing, implanté
à Marseille qui fait de sa localisation sa plus-value : un centre
d'appel marseillais, français et européen tourné vers le
monde.
84 Vaara, Eero, et al. (2005), « Language and the
Circuits of Power in a Merging Multinational Corporation», in Journal of
Management Studies
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