B : Vers l'avènement d'un statut patrimonial dans un
contexte de mondialisation de la thématique environnementale et de
patrimonialisation de la nature.
D'un point de vue général, on assiste depuis
plusieurs décennies à un renversement de l'image
de l'ours comme c'est également le cas pour d'autres animaux sauvages
prédateurs tel que le lynx ou le loup12, anciennement
classés nuisibles. Certains sont désormais classés
comme espèces protégées et l'objet d'une
politique de protection spécifique voire d'une opération
de réintroduction ou de renforcement de population, ce qui
n'est pas sans soulever des oppositions de la part du monde
agro-pastoral. Cette évolution est concomitante de la montée de
la sensibilité écologiste qui a lieu à partir des
années 1970 d'une part, et d'autre part, des grands bouleversements qu'a
connu notre société qui, de très rurale et paysanne est
devenue plutôt citadine et industrielle. On abouti aujourd'hui à
un phénomène de
12 Un numéro complet de la revue Le
Monde Alpin et Rhodanien est consacré à l'image du loup :
« Le fait du loup, de la peur à la passion. Le renversement d'une
image », 1er-3ème trimestre 2002.
mondialisation de la thématique
environnementale. Face au constat des effets néfastes de certaines
activités humaines, ayant entraîné pollutions et
réchauffement climatique, la nature et la protection dont elle
doit être l'objet sont désormais omniprésentes.
En France, les dispositifs relatifs à la
protection des espaces (et donc des espèces
végétales et animales qui s'y trouvent) sont apparus
relativement tard. Aux États-Unis le parc de Yellowstone fut
institué en 1872 alors que le premier parc national français fut
crée en 1960 (Pierre Merlin, 2002 p.234). Il s'agit, selon la
définition de l'UICN, d'un « territoire relativement
étendu, qui présente un ou plusieurs écosystèmes,
généralement pas ou peu transformé par
l'exploitation et l'occupation humaines, où les espèces
végétale ou animales, offrent un intérêt
spécial du point de vue scientifique et récréatif, dans
lequel ont été prises des mesures pour y empêcher
l'exploitation et l'occupation et pour y faire respecter les entités
écologiques, géomorphologiques ou esthétiques
ayant justifié sa création, à des fins
récréatives, éducatives ou culturelles ».
« L'apparition du terme de
patrimoine naturel dans un document officiel date de 1967.
Il s'agit du décret instituant les parcs naturels
régionaux et spécifiant qu'un territoire peut être
classé dans cette catégorie en raison de `'la
qualité de son patrimoine naturel et culturel» »
(Jean-Claude Lefeuvre, 1990). La nature, et certains de ses
éléments plus particulièrement, prennent alors la
valeur d'un héritage, d'un capital à transmettre aux
générations futures. Dans ce contexte, l'ours des
Pyrénées en tant qu'élément incontournable de la
faune pyrénéenne se trouve élevé au
rang d'élément capital du patrimoine naturel
pyrénéen, d'autant plus que sa valeur identitaire est
également très forte.
Au vu de la baisse très inquiétante de
ses effectifs et de la disparition certaine de sa population qui
allait en découler, l'idée d'un projet de
réintroduction est initiée dans les années 1980.
Déjà l'objet d'une protection, il est décidé sous
l'impulsion des associations de défense de l'environnement de
procéder au renforcement de sa population par l'introduction d'ours
venant de Slovénie. Le noyau résiduel qui se trouvait
dans le secteur du parc national des Pyrénées
était déjà l'objet d'une attention
particulière13 de la part des
gestionnaires du parc. Mais c'est dans les Pyrénées
centrales que furent finalement réintroduits les ours
slovènes, en 1996 pour la première phase et en 2006 pour
la seconde.
Le but de cette opération de réintroduction, la
restauration d'une population d'ours viable à long terme, constitue dans
cette logique un objectif d'intérêt général et,
à ce titre, est accueilli favorablement par la majorité
de la population française. Mais, pour d'autres et ce
13
13 C'est toujours le cas actuellement.
14
principalement dans le monde agro-pastoral
confronté aux prédations de l'ours, son image est
restée assez proche de celle qui prévalait autrefois et
qui avait amené à le classer en tant que nuisible. Pour eux
« le projet de réintroduction est vécu comme une
négation de leur présence en montagne, de leur activité en
montagne et de leur avenir, car au-delà des risques de pertes
d'animaux c'est l'atteinte à leur identité, à
leur fierté et à leur honneur qui révolte les
éleveurs » (Corinne Eychenne, 2006).
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