DEUXIÈME PARTIE : ÉVOLUTION DU STATUT DE
L'OURS DANS LE TEMPS ET VARIABILITÉ DES IMAGES QU'ON LUI ASSOCIE DANS LE
CORPS SOCIAL ACTUEL
I : Du prédateur au symbole de la
biodiversité
A : L'image de l'ours autrefois et l'évolution de
son statut
Selon les époques, et les lieux dans l'histoire,
l'image de l'ours n'a pas toujours été la même. Il
a pu être valorisé ou dévalorisé selon les
contextes. Voici, en partie, comment l'historien Michel Pastoureau
(2007) retrace l'histoire symbolique de l'ours. À la fin du
8ème siècle, en terre germanique ainsi que chez
les peuples slaves et celtes, l'ours était
vénéré comme un véritable dieu et
faisait l'objet de cultes. Tout cela étant absolument effroyable aux
yeux de l'église chrétienne médiévale, elle lutta
contre cet animal jusqu'au 13ème
siècle et en fit une bête diabolique. Issu des traditions
orientales, le lion finira par s'emparer définitivement du
titre de roi des animaux jusque là dévolu à l'ours.
Privé de tout prestige, transformé en bête de foire ou de
cirque il continue néanmoins d'occuper une place de premier plan dans
l'imaginaire des hommes et prend en quelque sorte sa revanche au
20ème siècle en devenant un véritable
fétiche : l'ours en peluche.
Au niveau juridique, le statut de l'ours a largement
évolué au cours du
20ème siècle, son
image a également beaucoup changé. Autrefois c'était un
animal qui était chassé et l'on percevait une prime si on pouvait
prouver qu'on en avait abattu un. Moins d'un siècle après, l'ours
est devenu une espèce protégée et un programme de
réintroduction a été mis en place afin de
restaurer sa population sur le massif pyrénéen. Celle-ci
étant parvenue à un seuil critique, l'ours semblait
condamné à disparaître de la chaîne.
Dans le cadre pyrénéen d'une économie
très majoritairement agropastorale l'ours et les autres animaux
prédateurs représentaient une forte contrainte pour les
populations qui vivaient de cultures vivrières et
d'élevage. « Il suffisait en effet que le plantigrade tue
quelques brebis, en blesse quelques autres et terrorise tout le troupeau pour
que le fragile équilibre économique d'une exploitation
soit remis en question » (Olivier de Marliave 2008)
L'ours était perçu comme une réalité
hostile, une nuisance dont il fallait se prémunir et pour cela,
on faisait souvent appel à des chasseurs professionnels.
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Avant l'apparition des armes à feu et du poison «
armés d'un couteau et protégés par une sorte de
cuirasse en bois, ils tuaient la bête au corps à corps »
(Michel Chevalier 1952). Ces chasseurs, dont ce n'était
généralement pas l'activité principale car trop
aléatoire et dangereuse, bénéficiaient d'une
image prestigieuse et les revenus qu'ils tiraient de cette pratique provenaient
plus de la vente des différentes partie de l'animal (graisse, viande,
peau,...) que des primes allouées par les autorités.
Certains de ces chasseurs sont restés célèbres. Ainsi, en
Haute-Ariège, dans la vallée d'Aston, un chasseur d'ours
surnommé Tambel (1885-1957) aurait abattu une quinzaine de
plantigrades au cours de son existence (Olivier de Marliave 2008).
L'ours était à la fois craint et respecté
par les populations, la symbolique associée à l'ours était
très souvent empreinte d'anthropomorphisme, il apparaît comme une
sorte d'homme sauvage. Les nombreux surnoms qui lui étaient
donnés en attestent : Martin, le va-nu-pieds, le
vagabond, le déguenillé, le Maître, le type...On
l'assimilait parfois à un seigneur prélevant son
impôt, sous forme de prédations, auprès des habitants de la
montagne.
« [L'ours] est toujours plus ou moins
humanisé. Ses pas dans la neige à peine fondue
`'semblent ceux d'un homme». [...] Les montreurs d'ours [...]
savaient bien jouer de cette indétermination. La bête toujours se
dressait sur ses pattes arrières, on laissait penser qu'elle
comprenait fort bien le langage des hommes et qu'il valait
mieux ne pas médire d'elle » (Daniel Fabre,
1993)
Également en relation avec les conditions de
vie des populations des Pyrénées, l'apparition du
métier de montreur d'ours au début du
19ème siècle dans le
Couserans en Ariège représentait une activité alternative
afin de gagner sa vie en cette période de misère et de
surpopulation. Certains partirent faire carrière jusqu'en
Amérique. Il s'agissait de faire exécuter à l'ours des
tours où il était très souvent mis en scène dans
des postures habituellement dévolues aux humains (il se tient
debout, il danse, il porte un chapeau, tient un bâton, etc.).
Ici, l'ours perd en quelque sorte sa qualité d'animal sauvage puisqu'il
est maîtrisé par l'homme, « domestiqué ».
Des rituels de guérison étaient également pratiqués
pour les enfants, le montreur d'ours les faisait monter sur le dos de
l'animal dans le but de soigner certains maux.
Quant à l'aspect agressif et dangereux de l'animal il
fut largement mis en avant dans l'imagerie romantique des
Pyrénées au 19ème siècle. Les
lithographies de cette époque, le représentent le plus
souvent en position d'attaque. Cet aspect de l'animal a également
été
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abondamment relaté et exagéré
dans les récits de faits divers de la presse locale ou nationale ; ce
qui dans certains cas reste encore vrai aujourd'hui.
Au fur et à mesure que les ours se faisaient de
plus en plus rares et que la sensibilité écologique se
développait, une législation nationale s'est mise en place et,
parallèlement, une volonté internationale de
protéger l'ours brun a émergé. Cela s'est fait
très progressivement et il y a eu parfois des retours en arrière
dans la législation. Tout d'abord, les primes de destruction de l'ours,
qui était alors classé nuisible, furent définitivement
supprimées en 1947. Puis l'interdiction de la chasse
à l'ours fut mise en place, officiellement, à partir de 1962.
Enfin, en 1981, l'espèce Ursus arctos (ours brun)
devient espèce protégée sur l'ensemble du
territoire français; ce qui signifie que sa destruction, sa
naturalisation, son transport, son commerce, etc. sont interdits.
À ceci s'ajoute une volonté
internationale de protéger l'ours brun qui se manifeste
dès les années 1970, et à laquelle la France
s'engage. L'ours brun est notamment protégé par la
convention de Washington en 1973, puis en 1976, il figure sur le livre rouge,
recensant les espèces menacées de disparition, de
l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). En
1984, il est protégé en Europe par la Convention de Berne et en
1992 il est inscrit comme espèce prioritaire de l'annexe II de
la directive « habitats ». La protection de l'ours
brun s'intègre également dans l'objectif principal de la
convention sur la diversité biologique de Rio de Janeiro en
1992.
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