II : La frontière sauvage/domestique ou comment
les habitants des villages de montagne délimitent, au niveau symbolique,
leur environnement ?
A : Évolution socio-économique des
territoires de montagne et conséquences en termes d'occupation des
espaces naturels.
Au cours du 20ème siècle, le
recul des activités traditionnelles a entraîné un exode
rural en direction des agglomérations, les villages de montagne sont
devenus beaucoup moins peuplés et les espaces naturels beaucoup
moins exploités pour l'élevage ou l'agriculture. Il y a en
quelque sorte un recul général de la présence humaine en
montagne. D'un autre côté, le
développement d'infrastructures telles que des routes
à quatre voies, des chemins forestiers ou de randonnés, des
stations de ski, etc. donnent à penser que
l'activité humaine est toujours importante, voire plus
importante et parfois préjudiciable pour les écosystèmes
de montagne.
Une mobilité pendulaire d'individus
venus d'agglomérations plus ou moins proches et plus ou moins
grandes se développe les weekends et durant les périodes
de vacances. C'est le développement de la randonnée, des sports
d'hiver et d'autres types d'activités sportives ou non, dont le
cadre est la montagne. Les villages voient le nombre de résidents
secondaires augmenter ; certains sont originaires du village, partis en ville
pour travailler tout en conservant une maison dans le village, pour les
périodes de loisirs, et reviennent y passer leur retraite.
La modification du couvert végétal autour des
villages de montagne que l'on appelle aussi la fermeture du milieu est
une conséquence directe de la déprise agricole, elle est
généralement perçue de façon négative de la
part des habitants des villages, surtout les générations
plus anciennes qui ont vu la transformation s'effectuer sous leurs yeux.
Ils l'assimilent à un ensauvagement de leur
environnement. C'est dans la zone intermédiaire que cette
évolution est la plus flagrante car ce sont des zones qui ne sont pas
mécanisables, elles étaient autrefois cultivées ou
fauchées à la main. Le paysage entretenu, propre que valorisent
ces personnes (Adel Selmi, 2007) a en grande partie disparu, ou du moins, il a
subi de profondes modifications.
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B : Découpage « traditionnel » de
l'espace
Dans la tradition occidentale, selon la typologie des
historiens des systèmes agraires, l'espace anthropisé se
structure selon une succession de cercles concentriques (hortus, ager,
saltus, sylva) gradués du plus domestique au plus sauvage
(Sophie Bobbé, 1993). Le cercle le plus proche du « domestique
» regroupe les hommes et leurs animaux ainsi que les lieux de conservation
des récoltes. Dans ce premier cercle sont également inclus les
potagers et les vergers (hortus) contigus à la
maison. Le cercle le plus éloigné, le « sauvage »
correspond aux espaces non cultivés comprenant les estives et la
forêt (sylva). C'est cette zone que l'on
considère généralement comme la juste place de la
faune sauvage. Entre ces deux pôles, un espace intermédiaire,
« l'entre-deux » rassemble les terrains
cultivés (ager) et les prés
pâturés par le bétail à la mi-saison
(saltus).
Ces différents territoires ne sont pas
cloisonnés, et leurs occupants y effectuent des va-et-vient.
Les animaux sauvages s'aventurent par moments dans l'espace domestique. Quant
aux hommes, leurs activités les amènent, selon les
saisons, à fréquenter les espaces « sauvages
». Cette typologie de l'espace anthropisé et la
valorisation du domestique par rapport au sauvage reste souvent valable
pour les acteurs du monde agro-pastoral surtout pour les anciennes
générations. Mais, du fait de la déprise agricole et de la
modification des usages selon les zones on assiste à un
déplacement des frontières entre ces différents
espaces.
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