TROISIEME PARTIE : QUELLE PLACE POUR L'OURS DANS LE
TERRITOIRE ?
I : L'impossible cantonnement strict d'une
espèce sauvage
A : « Le plan de restauration et de conservation de
l'ours brun dans les Pyrénées françaises ».
Le « plan de restauration et de
conservation de l'ours brun dans les Pyrénées
françaises » est une politique « azonale » (Johan Milian,
2006) de protection de la nature. La mise en place et la gestion d'un
espace naturel protégé, comme un parc national, s'effectue
sur une portion de territoire précisément balisée.
Il existe même plusieurs zones ayant des degrés de protection
différents. Une politique de protection de la nature qui
s'applique à une espèce que l'on protège ou
réintroduit s'inscrit dans un rapport à l'espace totalement
différent, puisque l'objet de la protection est mobile. On met donc en
place son suivi, effectué par une équipe de techniciens
et de scientifiques.
Dans le cas de l'ours des Pyrénées, il s'agit de
l'Équipe Technique du suivi de l'Ours (ETO) qui dépend à
la fois de l'ONCFS20 et de la
Fédération départementale de la chasse. Elle assure le
suivi de toute la population ursine des Pyrénées. Il y a la
partie technique du suivi qui s'effectue sur le terrain, et
ensuite la partie scientifique de traitement des données
recueillies. Grace aux émetteurs dont certains ours sont
équipés, on réalise ensuite une cartographie de leurs
déplacements sur le territoire. La récolte
d'éléments matériaux (poils, empreintes,
excréments, etc.) permet de réaliser des analyses
génétiques et de reconstituer les lignées
d'individus.
Si dans le cas d'un parc on fait en sorte que les
activités humaines ne perturbent pas les
écosystèmes à protéger, dans le cas de la
réintroduction ou de la protection d'un prédateur, ce sont les
activités humaines, en particulier l'élevage, qui doivent
être l'objet de mesures de protections. Les ours sont des animaux
sauvages, par définition, ils vivent et « doivent » vivre en
liberté dans la nature.
Néanmoins, il semble qu'il y ait une certaine
volonté de cantonner l'ours dans l'espace montagnard, qui
apparait comme un des espaces privilégiés du
sauvage21. Cela peut
20 Office National de la Chasse et de la Faune
Sauvage.
21 La revue de géographie alpine a
consacrée un numéro spécial autour de cette
problématique. « La montagne comme ménagerie », 2006,
Tome 94, n°4.
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s'expliquer par la structuration traditionnelle, en occident,
de l'espace anthropisée dont les historiens agraires ont
proposé une typologie (Sophie Bobbé, 1993)22. Au
moment de la deuxième phase de lâchers en 2006, un des ours est
parti en direction de la plaine et au bout de quelques jours, il était
à une trentaine de kilomètres de Toulouse. Il aurait
été recapturé pour être relâché en
altitude. On assigne donc une place particulière au sauvage dans notre
environnement, ce qui amène certains montagnards à se poser des
questions sur la place de l'ours dans le territoire mais aussi sur
leur propre place.
« Nous, on a l'ours qui manifestement
passe dans le village au printemps, il est passé dans la
rivière devant chez moi, ça c'est pas des trucs qu'on
invente...les gens du suivi technique de l'ours nous l'ont
dit...et quand l'ours s'approche à 35 km de Toulouse, y'a la
gendarmerie qui sort, y'a les avions, tout le tralala pour le
faire remonter en montagne alors que nous dans le village l'ours passe
quasiment dans le village, le village d'en haut c'est sûr... et bon
quelque part nous y'a pas de gendarmes qui viennent, donc les gens ils
réagissent mal aussi...y'a un sentiment par rapport à
nous...nous...je parle des montagnards ou des ruraux de la montagne, y'a
toujours un peu deux poids deux mesures... ce qui n'est pas consenti pour la
banlieue toulousaine lorsqu'il arrive...pour nous est tout à fait
acceptable et pourquoi c'est acceptable ?...en plus c'est
assez réjouissant de savoir qu'il est ici aussi quoi...mais bon il s'est
fait éclater lors d'une battue de chasse, un autre sur la
route23... et moi en même temps avec
ma sensibilité de naturaliste j'arrive à me poser la
question de...est ce qu'il a encore sa place... ou est-ce
qu'il l'a plus du tout ? » (Jérôme, accompagnateur en
montagne et agent territorial)
« Dans la haute-Ariège y'a
personne qui les voulait, c'est la Haute-Garonne qui l'a
voulu...et quand l'ours descend dans les habitations de la
Haute-Garonne, vite vite ! il faut se dépêcher de
le remettre dans l'Ariège. Pourquoi ils ne se le garde pas à
Toulouse ? Il y était l'an dernier, ils ont fait des
pieds et des mains pour le remonter [...] Pourquoi y'a des secteurs il faut
qu'il y soit et des secteurs il ne faut pas qu'il y soit ? Où alors ils
ont qu'à nous dire : vous gênez, on vous expulse
et c'est toute la place à l'ours... » (un
éleveur)
D'autres types de mesures tendent à vouloir cantonner
ou repousser les animaux sauvages dans certaines zones en particulier.
Ainsi, en 1969, au début de la mise en place du Parc National des
Pyrénées, une battue fut autorisée par une commune
voisine, pour repousser un ours, qui avait causé des dégâts
sur un troupeau, dans les limites du parc (Gérard Caussimont, 1981).
À la suite des réintroductions, des effarouchements ont
également eu lieu en Haute-Ariège, soit par
l'Équipe technique du suivi de l'ours (ETO) soit par des groupes
22 Ce point sera abordé plus
précisément un peu plus loin dans le texte.
23 Au cours de l'été 2008, un ours a
été percuté par un minibus a proximité du village
de Mérens, il serait mort des suites de cet accident.
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d'éleveurs, lorsque certains ours ont eu tendance
à rester prés des villages ou des
exploitations.
« En 2008, vu que personne ne se
bougeait quand on a eu l'ours pendant quatre jours, on a
essayé de faire du bruit dans la montagne pour le faire partir
[...] avec des casseroles et puis en faisant du bruit, en sifflant, on
était une quinzaine ou vingt...(Un éleveur)
« Ils (l'ETO) l'ont
localisé parce qu'il avait l'émetteur, quand ils ont vu qu'il se
rapprochait trop des habitations de nouveau, qu'ils avaient affaire à
une autre attaque [...] et que j'allais me mettre en colère plus
sérieusement...là ils ont fait partir une fusée
éclairante et deux pétards...bon...il est parti l'ours... (Un
éleveur)
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