B : Vers une « artificialisation » du sauvage
?
Contrairement au phénomène
d'humanisation de l'ours qui semble traverser le temps, une autre
tendance plus contemporaine a été décrite et
analysée par différents auteurs. Cette tendance porte en
elle un paradoxe car il s'agit de la volonté de l'homme, qui en
est devenu capable, de « recomposer du sauvage ». Dans cette
perspective, l'ours, animal sauvage par excellence, symbolisant une
nature également « sauvage », c'est-à-dire qui
échappe à la maîtrise de l'homme voit une nouvelle
facette apparaître, celle d'un animal qui aurait à la fois une
dimension sauvage et une dimension domestique. En effet, dans le cadre d'une
opération de réintroduction, dont le but reste
néanmoins que la population animale concernée devienne
autonome, les animaux sont l'objet d'un grand nombre de manipulations
par l'homme. On cherche notamment à contrôler leur reproduction.
D'une certaine façon, ils deviennent familiers pour
ceux qui mettent en oeuvre l'opération de réintroduction, ou qui
s'occupe du suivi de la population.
Raphaël Larrère (1994) a souligné la
contradiction qu'il y a à qualifier de sauvages des
animaux qui ont été réintroduits par la main de
l'homme et la confusion que cela peut entraîner entre les
catégories du sauvage et du domestique. Et ici nous rejoignons le point
précédent puisque bien souvent on parle de ces animaux
comme s'ils étaient domestiques, on leur donne
couramment un prénom et des métaphores anthropomorphiques sont
utilisées pour parler d'eux.
Dans les propos que j'ai pu recueillir, cette tendance est
considérée comme une volonté de l'homme de tout
contrôler, même le « sauvage ». On a
l'habitude d'entendre dire que certaines espèces d'animaux sauvages sont
les victimes de l'action humaine qui dégrade les
écosystèmes; mais ici les ours sont considérés
comme des « victimes » de ceux qui les réintroduisent. On peut
constater une certaine confusion entre les catégories du sauvage et du
domestique dans la mesure où les gens s'interrogent sur le fait
qu'on manipule les ours, qu'on les opère pour leur mettre des
émetteurs, qu'on les capture pour les relâcher à l'endroit
souhaité. Ils soupçonnent qu'ils soient nourris et
s'étonne de toute cette attention qu'on leur porte. Aussi, les
gens semblent parfois se demander dans quelle mesure ce sont encore des animaux
sauvages.
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« Quand je vois la façon dont ils ont
été ramenés, capturés...en fait il y est pour rien
quoi, on aurait mieux fait de les laisser dans les forêts
où ils étaient je pense qu'ils étaient mieux
qu'ici...opérés, équipés d'émetteurs, suivis
nuit et jour...Ce n'est pas de l'écologie ça,
c'est [...] une opération médiatique ! » (Laurent,
éleveur)
« Pourquoi y'a des secteurs il faut qu'il y soit
et des secteurs il ne faut pas qu'il y soit ? Pourquoi ce n'est pas
à lui à décider où il veut vivre ? Puisqu'il faut
le laisser en liberté...Les secteurs où ils le jugent
trop en danger [...] ils y vont, ils l'effarouchent pour le faire partir
ailleurs, ça fait que l'ours il est toujours en train de
naviguer, il n'a pas de territoire... [...] une fois de plus, l'homme il veut
tout gérer...y'a des fois ce n'est pas à lui à
gérer tout, il faut laisser la nature aller...enfin moi c'est
mon avis ». (M. Joly, éleveur)
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