III Deux portraits plutôt atypiques et
significatifs.
A : Jérôme
Agé d'environ trente-cinq ans,
Jérôme est accompagnateur en montagne et agent territorial
à mi-temps, de plus il possède des chevaux qui montent en estive
avec les autres troupeaux du village. Ayant grandi à l'autre
bout de la France, il est revenu vivre et travailler dans le village
où son grand-père avait grandi, mais qu'il avait
quitté pour faire carrière ailleurs. Ses différentes
occupations l'amène à avoir des activités quotidiennes
diversifiées et à côtoyer différents groupes
sociaux ayant chacun des sensibilités diverses. Au départ, de par
sa « sensibilité naturaliste », comme il l'exprime
lui-même, il était très favorable au projet de
restauration d'une population viable d'ours et enthousiaste de
constater que certains des ours réintroduits s'étaient
installé à proximité, dénotant par là que le
biotope leur était favorable. Il estime que l'ours ne
représente pas à priori un danger pour ceux qui
fréquentent la montagne, ce qu'il explique au gens qu'il emmène
en montagne ; et pour lui l'ours des Pyrénées n'existe pas, il y
a simplement l'espèce « ours brun », et donc les ours
réintroduits, ne sont pas différents. Mais, « en tant que
montagnard », (il appelle montagnards ceux qui vivent au-delà de
900m dans de petits villages ou bien « les ruraux de la montagne »)
il se dit désormais un peu circonspect par rapport au programme
de réintroduction. Il n'y voit pas d'avantages particuliers pour le
tourisme liés à l'attractivité ou à la
notoriété due à la présence des ours. Il
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est très critique sur la façon
dont cela a été mis en oeuvre et estime finalement que
c'est un choix politique qui a été imposé à
ceux qui vivent en montagne.
S'il ne pense pas que la présence de l'ours remette en
cause directement l'élevage, il déplore néanmoins que l'on
n'ait pas mis en place les conditions pour permettre que le
pastoralisme soit véritablement pérenne. Pour lui, la
présence des ours est très problématique pour le
pastoralisme tel qu'il est pratiqué dans les Pyrénées
centrales. Il aurait fallu selon lui que « les équilibres
de la montagne soient considérés plus globalement
», ce qui l'amène à penser que ce projet
est « une espèce de délire un peu écologiste
». Il regrette que cela n'est pas été mieux
pensé et préparé afin que la cohabitation soit possible
entre les activités d'élevage et la présence des
ours, il pense que c'est désormais trop tard, que les opposants ne
changeront plus d'avis.
Parallèlement à la question de la
biodiversité, il considère l'activité humaine dans les
zones de montagne, constate les difficultés existantes pour que
les gens continuent à y vivre, notamment les éleveurs et
en arrive finalement à dire qu'il n'a pas d'avis sur la
réintroduction, que du moins il n'est pas contre. Dans le contexte
actuel, qu'il estime aussi être du à une mauvaise
façon de procéder de la part de l'État et qui a
conduit à une sorte de « reflexe communautaire
» au sein d'une certaine population pyrénéenne, il
se demande si l'ours a encore sa place ou s'il ne l'a plus du tout. Et, pour
lui la « résistance passive » qui anime les
gens, notamment au sein de l'Aspap, il en est sympathisant même
si il n'adhère pas aux positionnements les plus «
extrêmes ». Il constate qu'avec le temps, le débat a
pris une dimension plus large, il concerne désormais ce choix, qu'il
estime imposé, de sanctuariser la montagne et de ne
plus laisser sa place à l'homme ; mais aussi la condition des
ruraux de la montagne qui fait qu'il est très difficile de
vivre au dessus de 1000m d'altitude dans les Pyrénées; la
disparition progressive des services publics, notamment les écoles, et
le fait que désormais ce soit l'axe européen qu'on
privilégie l'amène à penser qu'ils sont un peu comme
des laissés-pour-compte. Dans ce contexte, il pense que
l'ours joue effectivement le rôle du bouc-émissaire, mais
selon lui, c'est plus à raison qu'à tort.
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