b) Le quatuor (Ouattara, Bédié,
Gueï, Gbagbo) et les militaires
Pour répondre à la demande du PDCI qui
souhaitait que les civils récupèrent les emplois
réservés aux militaires, Alassane Dramane Ouattara sous sa
primature, puis Henri Konan Bédié sous sa présidence, ont
mis en oeuvre un processus de marginalisation de l`armée61.
Conte soutien qu`en ce qui concerne Alassane Dramane Ouattara, «
L`exclusion progressive des militaires de la vie civile ivoirienne au profit
des technocrates et des financiers est allée de pair avec
l`émergence d`une nouvelle vision du rôle de l`armée au
sein de l`État ivoirien. Ainsi, jusqu`à la fin du gouvernement
Ouattara, une certaine forme de consensus s`est nouée entre les
militaires et le pouvoir politique : quelques officiers supérieurs
participaient encore à la gestion de l`État, mais, en
contrepartie, l`armée acceptait de servir de force de maintien de la
paix intérieure. En d`autres termes, les militaires, dans la
dernière période du régime Houphouët- Boigny, ont
servi de supplétifs à des forces de police mal
équipées et mal entraînées pour contrôler soit
des manifestations politiques (agitation du FPI), soit des mouvements sociaux
(grèves des fonctionnaires) ou estudiantins (grève des
universités du début des années 90). Le
général Gueï, chef d`état-major depuis juin 1990, n`a
pas hésité, sous la primature Ouattara, à mettre
l`armée à la disposition du gouvernement pour réprimer
avec une particulière violence les grèves
étudiantes62 ».
60. KPATINDE Francis : « Le film du coup d`état
de noël d`heure en heure », Jeune Afrique ,
hors-série n°2, Janvier 2000. Nuit du mercredi 22
au jeudi 23 décembre. Un petit groupe de soldats s`empare, sans
difficulté, de la poudrière du camp d`Akouédo, sur la
route de Bingerville, à l`est d`Abidjan. À la tête du
commando, les sergents-chefs Souleymane Diomandé et Boka Yapi,
épaulés par les caporaux Issa Touré, Neman Gnepa, Oumar
Diarra Souba et Yves Gnanago. Les six hommes ont en commun de bien
connaître les lieux - ils appartiennent à une unité
d`élite, la Force d`intervention rapide des paras commandos (Firpac) -
et d`être des vétérans de la Minurca, la Mission des
Nations unies en République centrafricaine. Les auteurs de cette
opération spectaculaire, qui ont séjourné onze mois
à Bangui, entendent obtenir le paiement d`arriérés de
soldes et de primes et, au-delà, l`amélioration de la situation
des hommes du rang. Le caporal Issa Touré va plus loin : « Nous
entendions également profiter de l`occasion, explique-t-il dans un
français impeccable, pour protester contre les brimades et les
injustices dont nous autres, hommes du rang, sommes victimes, depuis plusieurs
années, de la part de certains de nos chefs. Par exemple, l`avancement
ne se faisait plus au mérite et à l`ancienneté, mais selon
des critères ethniques. »
61. KPATINDE Francis, Op.cit.
62. CONTE Bernard, Op.cit., p. 9
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académique 2009-2010 31
Après avoir succédé à
Houphouet-Boigny en 1993 à la tête du pays, Henri Konan
Bédié reste dans la perspective de la redéfinition du
rôle de l`armée, sans réussite. Il refuse notamment de
revaloriser la solde des militaires après la dévaluation du franc
CFA en 1994. Par ailleurs, « la poursuite de l`éviction des
militaires des derniers postes «civils» à l`occasion de la
vague de privatisation des sociétés d`État à partir
de 1994 confirmait leur marginalisation. Par ailleurs, la concurrence entre
militaires et administrateurs civils au sein de la préfectorale
était définitivement réglée au profit des seconds,
en partie sous la pression du PDCI, qui s`est toujours montré
défiant à l`égard de l`armée remarque Bernard
Conte. Ces différents facteurs ont contribué à un
changement d`attitude, et une partie de la hiérarchie militaire a alors
estimé que l`armée n`avait pas pour mission de mener des
opérations de répression intérieure. En
conséquence, lorsque le président Bédié a
demandé à l`armée d`intervenir dans le contexte
troublé de préparation des élections
générales de 1995, le général Gueï a
clairement refusé d`impliquer la troupe en déclarant:
«l`armée n`intervient que lorsque la République est en
danger [...]. Dès l`instant où la compréhension guide les
pas de chacun, qu`il soit du parti au pouvoir ou de l`opposition, je ne vois
pas pour l`armée des raisons de s`exciter dans la rue ». La rupture
était consommée. Le général Gueï est
limogé en octobre 1995 et remplacé par le général
Lassana63 ». Guy-André Kieffer en conclut qu`à
partir de cette date, le régime Bédié va s`employer
à mettre à l`écart, sans affectation valorisante, tous les
officiers supérieurs de l`entourage immédiat
d`Houphouët-Boigny. « De même, les officiers et sous-officiers
ayant été en contact direct avec Alassane Ouattara lorsque ce
dernier assumait la charge de Premier ministre seront écartés des
postes de commandement. Cette reprise en main s`est traduite par la nomination
d`officiers supérieurs baoulé à la plupart des postes
clés (notamment les régions militaires), rompant ainsi avec la
tradition d`habile dosage régional pratiqué par
Houphouët-Boigny. Les fractures avec le corps social militaire, largement
composé d`originaires de l`Ouest et du Nord, ne pouvaient dès
lors que s`accroître ».
Porté au pouvoir en décembre 1999 par les jeunes
militaires auteurs du coup d`état, le général Robert
Gueï va traiter toute la corporation aux petits soins, revalorisant les
soldes et réintégrant les officiers supérieurs à
des postes civils et dans le gouvernement. Mais, le divorce surviendra juste
après le début de la proclamation des résultats de la
présidentielle de 2000. Yéo Koré Koffi64
souligne que, lorsqu`à l`issue des élections d`octobre 2000
Guéï se proclama vainqueur, il bénéficia dans un
premier temps du soutien d`une partie importante de
63. KIEFFER Guy-André : « Armée ivoirienne :
le refus du déclassement », Politique Africaine, N0 78,
juin 2000
64. KORE KOFFI Yéo, Op.cit
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l`armée, qui n`hésita pas à tirer sur la
foule. Mais devant la détermination du peuple et la fuite de
Guéï, l`armée, menée par le général
Mathias Doué - qui était pourtant membre de la junte
dirigée par Guéï -, se rangea derrière Gbagbo qui
avait à son tour annoncé sa victoire. Doué fut
nommé chef d`état-major et l`armée conserva tous ses
avantages. Le nouveau chef de l`État promit de lui donner plus de
moyens. Mais il n`en fit rien - ou n`en eut pas le temps. Le 19 septembre 2002,
une partie des militaires que Guéï avait accusés d`avoir
attenté à sa vie et qui s`étaient réfugiés
dans les pays voisins revinrent avec des armes pour renverser Gbagbo se
rappelle Yéo Koré Koffi pour qui, l`armée loyaliste, mal
armée, mal entraînée et peu motivée, ne put, avec le
soutien de l`armée française, qu`empêcher les rebelles de
descendre sur Abidjan. Ces derniers occupèrent tout le nord de la
Côte d`Ivoire, pratiquement sans combattre ». Les observateurs
avertis estiment aujourd`hui qu`il y a au sein des FDS en Côte d`Ivoire,
quatre armées: celle de Laurent Gbagbo, celle d`Henri Konan
Bedié, celle d`Alassane Dramane Ouattara et celle de Guei. A
celles-là, il faut ajouter l`armée des Forces Nouvelles
(ex-rébellion). La question de l`armée ivoirienne se posera donc
toujours dans la perspective du retour du pays à la normale. Une
donnée inscrite en bonne place sur l`agenda des opérateurs
internationaux de la paix et plus localement, de la Communauté
Economique des Etats de l`Afrique de l`Ouest (CEDEAO)65.
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