b) Les parties en conflit : « le dos du nageur est
visible »
En Côte d`Ivoire, l`expression « voir le dos du
nageur » signifie prévoir ou connaitre les intentions de quelqu`un
en fonction de ce qu`il recherche, de son parcours, de sa position, de sa
fonction, de ses actions et de ses promesses antérieures, tenues ou non.
C`est sous ce prisme qu`on peut tenter de percer les motivations, et les
ambitions des principaux acteurs du landerneau politique ivoirien et leur
impact sur le processus de paix.
Depuis le déclenchement de la crise en septembre 2002,
les rebelles (Forces nouvelles), le pouvoir (camp présidentiel) et
l`opposition se disputent invariablement la scène, s`accusant
mutuellement de tous les maux, dans le but avoué ou non pour chacun, de
prendre le pouvoir
120. ZIPPER de FABIANI Henry, « Vers une nouvelle symbiose
entre diplomatie et défense », AFRI 2002, volume III,
p.614-629. Etablissant un rapport entre la défense et la diplomatie, il
affirme que peu importe qu`on qualifie de politique ou de stratégie leur
point de jonction dans la conduite des affaires : défense et diplomatie
sont semblablement soumises au Politique, ainsi qu`aux stratégies, par
définition globales, que celui-ci définit afin de promouvoir les
intérêts d`un Etat sur la scène internationale.
121.SEREQUEBERHAN Hewane, Op.cit., p.330
122. GALY Michel, « Qui gouverne la Côte-d`Ivoire ?
Internalisation et internationalisation d`une crise politico-militaire »,
Politique étrangère, 2005/4, Hiver, p. 806.
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s`il le faut, en éliminant politiquement ou
physiquement les autres123. Le général Gueï
disparu, les trois hommes qui se regardent très souvent en chiens de
faïence ont continué a se disputer le haut du pavé tout au
long de ces cinq années (2002-2007).Henri Konan Bédié du
PDCI et Alassane Dramane Ouattara du RDR plus deux autres partis politiques le
MFA et l`UDPCI se sont regroupés au sein du Rassemblement des
houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP).Cette
opposition non armée a à chaque fois que l`occasion s`est
présentée, fait bloc pour, soit contester une décision du
président, soit organiser des manifestations dans la rue pour protester
énergiquement en vue de renverser le rapport de force. Des
manifestations qui d`ailleurs ont été violemment
réprimées par le pouvoir en mars 2005 et en en novembre 2004
notamment faisant des centaines de morts. De par ce type d`actions ou d`autres,
visant par exemple à claquer la porte du gouvernement, cette opposition
a à sa façon contribué au blocage du processus de paix. En
rejoignant cette opposition pour former le Groupe des sept (G7), les FN vont
lui donner un surcroît de force politique radicalisant davantage les
positions. De leur côté, les partisans du président ont
créé le Congres national pour la résistance et pour la
démocratie (CNRD) pour donner le change au G7. Ce régime
d`affrontement qui fait feu de tout bois cristallise les passions des
affidés et des suiveurs des différents leaders. Malheureusement,
la compétition entre ces derniers qui devrait se dérouler autour
de projets de société fondés sur l`inclusion des divers
segments de la communauté nationale se réduit à un combat
pour l`affermissement des uns et l`exclusion des autres124.
C`est dans cette perspective qu`il faut situer les
différentes impasses dans lesquelles se sont trouvés les accords
successifs devant consacrer le retour définitif de la paix en Côte
d`Ivoire. Les deux belligérants se partagent quasiment à part
égale, la responsabilité de l`échec (jusqu`en mars 2007).
Accusant chacun l`autre de n`avoir pas tenu ses promesses, ils semblent se
plaire dans cette situation. Cette cohabitation qui fonctionne non sans heurt,
permet à ces deux partenaires-adversaires et à leurs «
hommes » respectifs, de tirer chacun profit du statu quo125.
Pour le président Gbagbo, par leur refus de désarmer, les
ex-rebelles sont la cause du blocage du processus de sortie de crise. Ceux-ci
lui retournent l`accusation, affirmant qu`il joue à un double jeu dans
lequel, par moment il donne l`impression d`être
123. Le général Robert Guéï a
payé les frais de ce manichéisme exacerbé aux
premières de la tentative du coup d`Etat. Huit ans après son
décès, ni les circonstances, ni les commanditaires, encore moins
les auteurs de son assassinat ne sont connus.
124. BAMBA Kassimi, « Les balbutiements de la
démocratie en Afrique de l`Ouest », Débats, courrier
d'Afrique de l'Ouest, No 66-67, juillet-août 2009, p.37
125.ADOU Kevin, « Côte d`Ivoire : sans
visibilité ! », Débats, courrier d'Afrique de
l'Ouest, No 64, avril 2009, p.3.
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sincère et en d`autres occasions, il fait exactement le
contraire de ce qu`il a promis, il en est par exemple du
démantèlement des milices. Renvoyant pratiquement les deux
principaux protagonistes dos-a-dos, Yann Bedzigui126 relève
que « le déroulement des conflits africains porte en germe
l`échec de toute tentative extérieure d`imposer la paix. En
l`absence d`une victoire de l`une des parties, toute sortie de crise est
vouée à être un consensus mou, préalable à de
futurs affrontements...ou à la stagnation, l`étape ultime ».
Si les deux camps continuent à se plaire dans cette situation, la sortie
de crise restera encore un lointain horizon. C`est une donnée que la
CEDEAO n`a peut-être pas intégrée dans ses plans à
court terme. Dans une approche prospective, elle doit y penser et se donner les
moyens pour.
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