B. Bilan et Perspectives...
Que retenir de l`implication de la CEDEAO dans la crise
ivoirienne? Les avis sont tellement divergents que répondre
objectivement à cette question impose d`examiner cette intervention
à la lumière des faits et des aspirations de l`organisation
sous-régionale auprès du patient ivoirien. Cependant, il faut
garder à l`esprit que le médiateur doit être capable
d`éviter l`escalade, amener les parties en conflit à abandonner
toute velléité ou tout acte de provocation afin de s`assurer non
seulement que le conflit est interrompu mais qu`il ne resurgira plus. En fait,
le médiateur est aussi un participant, un distributeur de pouvoir qui
oblige une partie récalcitrante à faire un compromis qu`il ne
veut pas. Il poursuit en soulignant que dans un effort d`identification des
compromis et des compensations, le processus de médiation doit faire
attention aux griefs fondés sur les besoins matériels et les
obédiences culturo-religieuses des protagonistes. La médiation de
la CEDEAO dans la crise ivoirienne (2002-2007) s`est confrontée à
ces exigences. Nous verrons comment elle s`en est sortie (1), qu`y a-t-il lieu
de faire (perspectives) en terme d`amélioration (2) et quelle place pour
les partenaires extérieurs dans la sécurité internationale
en rapport avec l`Afrique (3) ?
1-Bilan dans la gestion de la crise entre 2002 et 2007
Dans un entretien que nous accordé le chargé
principal des Affaires Politiques de la représentation de la CEDEAO
à Abidjan, le bilan de l`organisation dans la période
indiquée est positif. Selon l`ambassadeur Abraham Doukoure, la mission
principale de la CEDEAO, tout au moins jusqu`en 2005, était
d`éviter la reprise des hostilités entre les belligérants.
Malgré des actes hautement bellicistes (comme le bombardement des zones
FN en novembre 2004 par le pouvoir), cet objectif a été atteint
premièrement avec la signature de cessez-le-feu le 17 octobre 2002 par
le principal mouvement rebelle et début juillet 2003, la
déclaration de cessation des hostilités conjointe des FANCI et
des forces rebelles réglant ainsi la composante militaire de la crise
bien plus rapidement que le volet politique. Deux principaux groupes d`acteurs
sont comptables de ce bilan : la communauté internationale (CEDEAO, UA,
ONU) et bien évidemment les parties en conflit.
a) La CEDEAO : comptes et mécomptes
Des petits problèmes d`ego (problèmes
crypto-personnels pour reprendre l`expression du président Abdoulaye
Wade, indexé par certains de ses homologues) entre certains chefs
d`Etat
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de la CEDEAO sont apparus au début de la
médiation de l`organisation. Heureusement ces détails
émotifs ont très tôt disparu. On a justement noté
dès Accra II, un regain d`union et à chaque sommet des chefs
d`Etat, les efforts des uns et des autres ont été salués.
Les incompréhensions de départ sont surtout à mettre sur
le plan de leur mauvaise coordination et d`une envie égoïste pour
certains, de paraître comme des deus ex machina. Une trajectoire
aléatoire et laborieuse estime Hugo Sada119 sans toute fois
faire abstraction du bien fondé de cet intervention qui selon lui
comporte trois aspects positifs : le premier est la rapidité de
mobilisation politique en dépit des réticences ivoiriennes ; le
2e est celui de l`accord des pays membres pour mettre a la
disposition de la force armée régionale des unités de leur
propres forces et enfin, le soutien unanime des pays occidentaux en particulier
de la France, et de l`Union européenne, des Nations unies, de l`Union
africaine pour que la CEDEAO par ses interventions politiques et militaires,
devienne un élément central du dispositif de gestion de la sortie
de crise. La coopération avec l`UA a aussi bien fonctionné,
l`organisation panafricaine laissant libre cours à la
sous-régionale et n`intervenant que dans des situations de blocage
extrême.
Au passif de la CEDEAO, il y a surtout le retard de plus de
six mois qu`elle a accusé pour envoyer effectivement ses troupes sur le
terrain en Côte d`Ivoire. En effet les premiers éléments de
sa force, la Mission de la CECEAO en Côte d`Ivoire (MICECI),
baptisée ECOFORCE, composée de 1200 hommes venant de cinq pays
(Benin, Ghana, Niger, Sénégal, Togo) n`ont été
déployés qu`en mars 2003. Sur le terrain donc, cette force n`a
pas joué son rôle avant cette date, laissant la mission de
surveillance du cessez-le-feu à la Licorne. Le retard du
déploiement de l`ECOFORCE s`explique principalement par le manque de
financement promis entre autres par la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni
et l`Allemagne, soit 18.5 millions de dollars. A cet effet, en novembre 2003,
le président de la CEDEAO, a invoqué la faiblesse des moyens
financiers dont dispose sa Communauté pour contraindre les parties
à respecter leurs engagements. Il a donc demandé au Conseil de
sécurité d`envisager la possibilité de créer une
force de maintien de la paix et d`y intégrer la mission de la CEDEAO qui
opère aux côtés des Forces françaises (3 800). Cette
présence des forces françaises, bien que demandée par la
CEDEAO et autorisée par la résolution 1464 a été
qualifiée de partiale par le pouvoir et la rébellion. La
proposition d`organiser des négociations inter ivoiriennes à
Paris lui a aussi été reprochée à la France,
certains estimant que c`est à cause en partie de cette annonce que les
ivoiriens réunis (depuis le 30 octobre) au Togo n`ont
119 - SADA Hugo, Op.cit., p.327
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pas pu s`entendre. D`autres ont simplement vu dans cette
combinaison de diplomatie et de défense120, la poursuite des
intérêts français. Une vision partagée par Herwane
Serequeberhan : « la France est incontestablement intervenue en Côte
d`Ivoire pour protéger ses nombreux intérêts
(investissements, ressortissants...), mais également dans le cadre d`une
logique de puissance visant à affirmer son rang sur la scène
internationale en démontrant sa capacité à intervenir et
résoudre les conflits qui relèvent de sa sphère
d`influence : or, sur ce dernier point, l`image de son intervention au niveau
international n`est pas celle d`une réussite121 »,
d`où peut-être, la déduction de Michel Galy122
« De l`imbroglio ivoirien où s`est piégée
l`ex-puissance coloniale, une vérité fragmentaire se fait jour :
on ne gouverne plus - par prétoriens, diplomates ou relais locaux - un
pays africain comme dans le demi-siècle précédent : des
forces politiques autochtones se sont affirmées contradictoirement, sans
que l`on sache qui, des rébellions périphériques ou de
l`étatisme néonationaliste, l`emportera ». Depuis
février 2003, les forces françaises agissent pourtant au nom des
Nations unies.
Le bilan de la CEDEAO doit aussi s`établir en fonction,
et des problèmes et des acteurs en présence.
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