La CEDEAO dans la crise ivoirienne: 2002- 2007( Télécharger le fichier original )par Didier Parfait BAPIDI- MBON Université Jean Moulin Lyon 3 - Master 2 en science politique 2010 |
2- La France à la rescousse de la CEDEAO : les accords de Marcoussis et de KleberDès le 22 septembre, Paris envoie les premiers renforts français pour dit-elle assurer la sécurité de ses ressortissants et des autres étrangers occidentaux. Le dispositif français, constitué à partir du 43e Bataillon d'infanterie de marine stationné à Port Bouët, près d'Abidjan, est baptisé "Opération Licorne". 90. Site internet de Radio France Internationale [accès le 25/04/2010] COUVE Philippe, Côte d'Ivoire, Sommet de Dakar : grande ambitions, faible mobilisation, 19/12/2002, www.rfi.fr 91.GRAMIZZI Claudio et DAMIAN Mathieu, « La crise ivoirienne : de la tentative de coup d`Etat au gouvernement de réconciliation nationale, Rapport du Groupe de recherche et d`information sur la paix et la sécurité (GRIP), février 2003, p. 17 92. Extrait du communiqué final de la réunion du Conseil exécutif de l`UA le 23 décembre 2002. Reprenant pratiquement les termes de la CEDEAO, l`Union africaine insiste sur « la nécessité de rechercher une solution négociée a la crise dans le respect de la légalité constitutionnelle et exhorte les parties en conflit de coopérer pleinement avec la médiation ». Université Jean Moulin Lyon 3 Année académique 2009-2010 47 Programme d'Enseignement à Distance Master 2 Science Politique a) JustificationsOfficiellement, la France réagit sur la tentative de coup d`Etat en Côte d`Ivoire le 28 septembre. Dans un communiqué, le ministère des affaires étrangères souligne que, la France est déterminée à agir pour préserver la stabilité et l'unité de la Côte d'Ivoire et souhaite la mise en oeuvre rapide d'une force d'interposition africaine entre troupes loyalistes et rebelles. Par ailleurs, le document précise que le gouvernement français veut éviter que les troupes françaises mobilisées pour des missions d'évacuation ne se retrouvent en situation d'arbitrage, qui serait considérée comme une ingérence dans les affaires de la Côte d`Ivoire. Et finalement, Paris rappelle que « la mise en oeuvre des accords de coopération militaire entre la France et la Côte d'Ivoire et la fourniture de matériels logistiques à l'armée régulière ivoirienne, ne doivent pas être perçus comme une implication dans le conflit. ». En effet, lors d`une adresse à la nation le 8 octobre, le président ivoirien confirma ce soutien français et précisa qu`il s`agit d`un "soutien logistique" militaire, fourni sur sa demande par Paris, en véhicules, moyens de transmission et rations alimentaires. La position du juste milieu ou presque de la France avait cependant été critiquée autant par le camp présidentiel qui y voyait un refus s`appliquer (intervention armée contre les rebelles) les accords de défense avec la Côte d`Ivoire et les rebelles qui estimèrent que l`interposition de la force française les avait empêchés d`avancer sur Abidjan la principale ville du pays et siège des institutions. Suite au bocage des négociations directes entre ivoiriens au Togo, l`idée avancée quelques jours avant par Dominique de Villepin commence à prendre corps malgré les réticences du camp présidentiel. « La France maintient sa proposition d`organiser rapidement à Paris un sommet des chefs d`Etat de la région auxquels pourraient s`adjoindre le président gabonais, Omar Bongo, le Sud-Africain Thabo Mbeki, ainsi que le secrétaire général de l`ONU et le président de la Commission de l`Union africaine. Dans la foulée, la France souhaite pouvoir organiser «une table ronde des différentes forces politiques ivoiriennes». Comme lors de toutes les négociations difficiles de ce type, Paris estime que le fait de délocaliser les discussions permettra aux représentants de chaque partie d`échapper à l`emprise des plus radicaux de son camp pour parvenir à des solutions de compromis93. Dans une interview accordée le 16 décembre 2002 au quotidien La Croix, le ministre français des Affaires étrangères explicite la position de Paris. Dominique de Villepin réaffirme qu`«il n`existe pas 93. AFP, « La France pousse le Président Gbagbo à la négociation », 9 octobre 2002. Université Jean Moulin Lyon 3 Année académique 2009-2010 48 Programme d'Enseignement à Distance Master 2 Science Politique de solution militaire durable» et que «la solution ne peut être que politique». Le chef de la diplomatie française précise que l`action de la France repose sur trois principes: «le soutien aux autorités légitimes», «la préservation de l`intégrité du territoire» et «le respect des droits de l`Homme». Il séjournera de nouveau en Côte d`Ivoire du 3 au 4 janvier 2003 pour rencontrer les différents acteurs politiques devant participer à la réunion de Marcoussis. Les pourparlers se tiendront du 15 au 24 janvier 2003. La Table ronde de Linas-Marcoussis et la Conférence des chefs d`Etats africains de Paris (Kléber) ont eu lieu respectivement du 15 au 24 et du 25 au 26 janvier 2003. Le premier rendez-vous avait pour but de dégager un consensus entre les différentes forces politiques ivoiriennes et les rebelles. Le deuxième devait avaliser les accords issus de la Table ronde devant la communauté internationale. Pour Hewane Serequeberhan94 « L`engagement français ne traduit donc pas une volonté originelle d`intervention. En somme, si la France a fait le choix du réengagement en Afrique, elle le conçoit comme supplétif des solutions africaines, c`est-à-dire en tant que palliatif de ces dernières; son implication directe doit donc être envisagée comme une sorte d`ultime recours, après que toutes les autres options africaines possibles ont été épuisées et avec l`espoir qu`à terme, son intervention ne sera plus un passage obligé ». A contrario, Claudio Gramizzi et Matthieu Damian remarquent : « force est de constater que cette initiative diplomatique aura tronqué les efforts politiques qui avaient pu naître au sein de la CEDEAO et qui avaient obtenu, en un premier temps, une avancée concrète par la signature d`un accord de cessez-le-feu entre les deux parties. Ce premier résultat, qui, il est vrai, présentait une faiblesse de taille, était cependant d`autant plus positif qu`il laissait espérer une résolution à la crise par le concours des pays de la sous-région95 » Dix jours de discussions plus tard, les différentes délégations signèrent l`accord de Marcoussis et son annexe. L`accord aborde plusieurs points importants dont : la formation d`un gouvernement de réconciliation nationale qui devra être mis sur pied dès la clôture de la Conférence de Paris ; la préparation des échéances électorales et de leur calendrier ; La nomination d`un Premier ministre de consensus qui disposera des prérogatives de l`exécutif... Les annexes de l`Accord tracent quant à elles, les priorités du programme du gouvernement en question, en fixant neuf axes prioritaires : Nationalité, condition des étrangers ; Eligibilité à la présidence de la République ; Régime foncier ; Regroupement - désarmement - démobilisation entre autres. Loin s`en faut, l`Accord de Marcoussis ne fera pas
Université Jean Moulin Lyon 3 Année académique 2009-2010 49 Programme d'Enseignement à Distance Master 2 Science Politique Programme d'Enseignement à Distance Master 2 Science Politique l`unanimité. « ...Nous pouvons en tirer deux conclusions principales relèvent Claudio Gramizzi et Matthieu Damian. Premièrement, il apparaît clairement que le pouvoir présidentiel de Gbagbo en ressort fortement affaibli. Le gouvernement de réconciliation nationale qui sera nommé aura en effet des prérogatives de l`exécutif, ce qui devrait être du seul domaine du chef de l`Etat dans un tel système présidentiel. Deuxièmement, il est impossible de faire abstraction du fait que ces Accords constituent un précédent qui pourrait s`avérer particulièrement dangereux pour l`avenir. En invitant les rebelles aux négociations et en les insérant de facto dans le groupe des forces politiques qui participeront au gouvernement de réconciliation nationale, les textes de Marcoussis légitiment dans une certaine mesure le recours aux armes comme moyen de lutte politique et confient aux groupes armés insurrectionnels, par la même occasion, le statut d`interlocuteurs politiques attitrés96 ». Serge Lorougnon97 ne partage pas cet avis car pour lui, si l`on veut éviter une rébellion chez soi, il faut savoir créer les conditions d`émergence d`une démocratie véritable. Par ailleurs, il rejette l`idée selon laquelle les Accords de Marcoussis sont contre la constitution : « Qui oserait dire aux populations déplacées de l`Ouest, qui commencent à retourner chez elle grâce aux Accords de Marcoussis qu`elles n`ont pas le droit d`y retourner parce que ces accords violeraient la constitution ? » s`interroge-t-il. Légitimation de la rébellion ou soutien au pouvoir légal? S`interroge Yann Bedzigui98. Cette constante reflète dit-il, les contradictions de la société internationale, qui hésite entre soutien au pouvoir légal et légitimation de la rébellion imposée par les événements. Si la formation d`un tel gouvernement a pour objectif d`«adapter le fonctionnement des différents pouvoirs et des différentes institutions aux intérêts et aux forces en présence», elle étend d`une certaine manière la division du pays à l`appareil institutionnel, par l`inclusion en son sein d`acteurs qui tirent leur légitimité des armes. La difficulté poursuit-il de l`Accord de Linas-Marcoussis de 2002 à être appliqué par le pouvoir ivoirien s`inscrit dans cette logique. En proposant et en obtenant l`attribution du portefeuille de la défense aux mouvements rebelles sans concertation avec l`armée ivoirienne, la France a davantage donné l`impression de légitimer la rébellion tout en délégitimant le Président en exercice ». Une question qui montre à suffire qu`en Côte d`Ivoire, ces accords
Université Jean Moulin Lyon 3 Année académique 2009-2010 50 sont différemment appréciés selon que l`on est du camp présidentiel, de l`opposition ou de la société civile... |
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