4.2- la barriere
« culturelle »
Probablement la barrière
« patient » ne doit pas être exagérée.
La grande majorité des patients référés respectent
la référence. Le non-respect est le plus souvent lié
à des obstacles en dehors de leur pouvoir tels que le transport et
l'argent nécessaire pour entamer un tel voyage. En même temps il
faut relativiser ce constat puisqu'il pourrait exister un biais de
sélection : les infirmiers ne proposent la référence
qu'aux patients qui ne la refuseront pas. Les autres ne reçoivent
simplement pas la proposition.
Cette logique, que les patients veulent toutefois utiliser les
services semble trouver une confirmation dans le livre de J.P. Olivier de
Sardan qui explique la situation paradoxale de la médecine occidentale
dans les campagnes africaines : « très demandée
comme itinéraire thérapeutique , elle ne constitue pas encore un
`système de sens' alternatif aux systèmes de sens `traditionnels'
qui se situent pour une part dans un registre de `l'imputation', à
connotations `magico-religieuses', peuplé de génies et de
sorciers, et pour une autre part dans un univers plus prosaïque de la
`nomination'. » (de Sardan, 1995). En d'autres mots, bien que le
patient ne se retrouve pas dans le cadre explicatif des maladies dans la
médecine occidentale, il veut bien tenter sa chance si cela rapporte une
amélioration de sa situation.
Plusieurs indices existent et prouvent que les patients ne
comprennent que partiellement le système de référence. Ils
n'auraient pas bien compris la hiérarchie qui devrait exister entre
l'hôpital et les CSI. Ils estiment que la référence
représente un échec au niveau de l'infirmier, échec
ressenti comme tout naturel parce que l'être humain est limité de
toute façon. Il n'y a aucun indice que la population reproche quoi que
ce soit aux agents de santé si ces derniers avouent qu'ils n'arrivent
pas à soigner la maladie et qu'aux yeux des patients, le prestige des
infirmiers serait en jeu. Mais cette notion de voir la référence
comme une suite logique après un échec, expliquerait
partiellement pourquoi les patients insistent d'être pris en charge
d'abord au niveau du CSI et qu'une référence immédiate est
peu acceptable sans les explications des infirmiers sur la probabilité
de recevoir une réponse favorable à leur problème. Ils
pensent aussi que souvent les moyens manquent, mais qu'ils devraient être
disponibles au niveau du CSI et que peut-être s'ils insistent,
l'infirmier sortira quand même ses derniers médicaments de quelque
part. Ceci est peu étonnant en perspective de la situation historique
où les CSI, jusqu'à récemment, ne disposaient que de
très peu de médicaments et que les médicaments
étaient nécessairement dispensés à compte
goutte.
Une autre barrière est constituée par l'angoisse
du patient. Au niveau individuel mais aussi dans les focus groups, l'angoisse a
été mentionnée comme une émotion forte qui pourrait
émerger lors d'une référence. La peur peut jouer un
rôle différent selon les circonstances et la personnalité
du patient. Une personne peut utiliser son angoisse comme moteur pour agir, par
contre, pour d'autres, il s'agit plutôt d'un facteur qui paralyse. Cette
angoisse ne se trouve pas seulement au niveau du patient mais aussi au niveau
de son entourage. L'angoisse est nécessairement subjective. Elle peut
pousser les gens à réfuter la référence tandis que
la situation n'est peut-être pas si désespérée que
ça.
La plupart des patients mentionnent ne pas savoir pourquoi ils
ont été référés. Les patients et la
population en général indiquent qu'il faut
« obéir » à l'agent de santé
et que « c'est le papier qui parle ». Il
s'agit d'une relation de soumission, plutôt que d'une relation qui permet
la discussion et donc la compréhension. Les enquêtes n'ont pas pu
dévoiler si la communauté ressent cette situation comme
embarrassante ou pas.
La barrière de croyances traditionnelles est
étroitement liée aux incompréhensions des maladies
déjà mentionnées. Beaucoup de maladies sont dites
`traditionnelles' et les gens consulteraient d'abord le guérisseur pour
ces maladies. Mais même s'ils ne comprennent pas tout ce qui se passe au
niveau de la médecine moderne, les gens tentent leur chance. Thierry
Berche donne l'exemple de l'épilepsie pour expliquer que si l'offre est
là, les patients utiliseront les services :
« Ces maladies (épilepsie, folie,
lèpre, maladies dites traditionnelles) devraient donc
théoriquement être prises en charge exclusivement par les
guérisseurs spécialisés. Or, depuis fin 1988, un programme
de prise en charge des malades épileptiques a été
lancé par le service de santé (...), et très vite,
« la demande a dépassé l'offre » et de
nombreux malades ont afflué vers les centres de santé où
ils suivent encore régulièrement un traitement
chimiothérapeutique simple qui fait disparaître les crises en
quelques mois, alors que le traitement « traditionnel » n'y
parvenait pas... » ( Berche, 1998, p 113).
De nouveau, le cadre explicatif des maladies n'empêche
pas aux patients d'utiliser les services.
L'étude a mis en exergue le recours des populations et
des patients aux guérisseurs traditionnels. Non seulement, ceci peut
constituer un retard important avant que le patient ne se présente au
niveau du CSI, mais les patients y dépensent des sommes exorbitantes qui
augmentent la barrière financière. Les patients ont
mentionné des sommes comme 50.000 f CFA ou encore « 7
chèvres ». Pourtant, au regard des coûts secondaires
élevés (pour le patient et pour la société),
liés au système de santé moderne, il n'est pas si
sûr que le guérisseur soit plus cher que l'hôpital.
Mais ces croyances traditionnelles n'empêchent pas
réellement l'utilisation des services si les soins traditionnels n'ont
pas donné de résultats satisfaisants.
Devisch (Devish,1993) écrit que `l'hospitalisation' au
niveau d'un guérisseur symbolise le retrait du patient et une
régression dans un état prénatal (la case du
guérisseur est comparée à un utérus). La
période de la maladie doit permettre au patient de se rétablir
complètement sur tous les domaines, psychique, social et existentiel,
avant de quitter la case et de renaître dans le monde. Est-ce à
cause de cela que les patients ne voient pas clairement la différence
qualitative entre une hospitalisation au niveau du CSI et au niveau d'un
hôpital ? Ceci mériterait une étude anthropologique
approfondie qui dépasse ce mémoire. Toutefois, on peut retenir
que l'utilité de l'hôpital dans l'opinion de la population, et
donc son utilisation, dépend de plusieurs facteurs culturels complexes
et que notre compréhension reste sûrement incomplète.
D'autres barrières culturelles identifiées sont
la tendance nette de la société à négliger
relativement les maladies des petits enfants et l'obligation morale des
villageois de visiter le malade hospitalisé. Le poids qui repose sur la
population de visiter les malades hospitalisés rentre comme un des
arguments réels dans la dynamique de la prise de décision par
rapport au respect de la référence.
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