IV- DISCUSSION
Dans la discussion, il s'agit de confronter les concepts sur
le système de référence, développés dans les
généralités, avec les résultats de l'enquête
et observations. Les résultats seront donc discutés dans leur
ensemble. Ceci permet de développer une vue d'ensemble et de
dépasser les observations fractionnées dans les chapitres
précédents.
La présente étude a pu démontrer que le
système de référence est très complexe, avec un
nombre important de déterminants qui interfèrent les uns avec les
autres. Les barrières liées au système de
référence au Niger sont sans doute très fortes et sont
à la base d'un taux de référence extrêmement bas
pour la plupart des départements. D'autres études faites au Niger
ont également constaté que les taux de référence
sont très bas et souvent non conformes à une application correcte
des instructions transmises aux agents de santé. Ainsi,
« l'enquête nationale sur la prise en charge des cas
d'infections respiratoires aiguës et la référence des cas
graves de diarrhée chez les enfants de moins de 5 ans »
(Anonymous, 2000), n'a pas pu observer un cas de référence entre
les CSI ruraux et l'hôpital de district.
Déjà la mise en place d'un système
d'ambulance - radiophonie change sensiblement le taux de
référence. A Tahoua, le taux de référence a
augmenté d'un facteur 7 environ, suite à l'introduction du
service (de 2,4 en 1998 à 16,4 en 2001). Cette augmentation
spectaculaire a été possible parce que le taux de
référence de départ était extrêmement bas. Ce
taux de référence constaté à Tahoua en comparaison
avec d'autres districts sanitaires est fortement influencé par le milieu
urbain où les taux de référence sont toujours beaucoup
plus élevés. Malgré cette hausse, le système de
référence comporte beaucoup de lacunes surtout pour les
`références à froid'.
Pour mieux structurer les discussions, les difficultés
autour du système de référence seront réparties en
trois types de barrières. Il est évident que ces barrières
montreront encore des interactions entre elles rendant la réalité
toujours plus complexe. Le fait que peu de données de la présente
étude sont quantifiables, ne facilite pas la tâche.
Les barrières retenues sont:
v La barrière « physique » qui
comporte les facteurs géographiques, les difficultés autour du
transport, les coûts.
v La barrière « culturelle » qui
comporte les facteurs dépendant du patient ou de son entourage :
les facteurs dans le domaine de l'anthropologie de la santé et de la
maladie, les croyances traditionnelles, la crédibilité des
institutions sanitaires (CSI et CHD), la qualité de la relation entre
l'agent de santé, le patient et sa famille, du point de vue du
patient.
v La barrière « du système de
santé » qui englobe les attitudes et le comportement des
agents de santé, leur relation avec la société et le
patient en particulier, la crédibilité et la qualité des
soins au CHD (du point de vue de l'infirmier), la gamme de soins offerts et la
politique nationale en la matière.
4.1- les barrieres physiques
Les infirmiers, la population et les patients ont
indiqué tous que les barrières physiques par rapport au
système de référence sont très importantes. Les
moyens de transport des villages vers la ville de Tahoua sont rares, à
l'exception des jours du marché. En plus, le prix du transport joue
beaucoup.
Le prix du transport, souvent plus élevé que les
frais de l'hospitalisation, combiné avec les dépenses secondaires
(nourriture, surtout des accompagnants, leur logement, la corruption, le retour
au village) constituent une véritable barrière financière,
au-delà des frais de l'hospitalisation. La location d'un véhicule
pour un malade coûte environ 35.000 f CFA pour 56 km (distance CSI de
Edir vers le CHR de Tahoua). L'ambulance (à un taux fixe de 85 f CFA par
km, à payer aller retour) coûterait à peu près
10.000 f CFA, l'équivalent du prix d'une césarienne au CHD. Pour
les patients qui viennent des CSI les plus éloignés, le
coût de l'ambulance vaut 3 fois l'intervention et jusqu'à 6 fois
s'il s'agit d'un véhicule privé. Les mêmes constats ont
été faits au Burkina Faso et Sierra Léone (Coulybali et
al. , 2000; Samai and Sengeh, 1997). Le coût élevé du
transport s'explique aussi par des distances énormes qui existent entre
les CSI et le CHD et le mauvais état des pistes, comme cela a
été décrit aussi par exemple au Kenya (Macyntyre and
Hotchkiss, 1999).
Des dépenses importantes sont souvent oubliées
dans les discussions sur le système de référence,
notamment le transport des corps des patients décédés de
l'hôpital vers le village. Ce transport coûte excessivement cher
à la famille et là où la famille ou l'entourage du patient
ne sont pas vraiment convaincus de la grande chance du patient de s'en tirer,
l'entourage forme un obstacle très important pour la
référence, avec plus de `pouvoir' que le patient même.
L'interview des patients référés a pu
démontrer que 17% des malades à Tahoua arrivent à pieds,
31 % utilisent la charrette 39 % ont accès à un véhicule
moderne, souvent à des coûts financiers énormes. La simple
disponibilité des moyens de transport reste encore un problème
sérieux à Tahoua. Cinquante-deux pour cent des patients
référés ont eu des problèmes financiers pour
respecter la référence et 39 % ont dû s'endetter.
La corruption était mentionnée plusieurs fois
dans les discussions avec la population. Elle pose une barrière
financière réelle pour les patients, plus qu'une barrière
culturelle apparemment, puisque la population n'a presque jamais attaqué
le principe de la corruption même. Cependant, il faut souligner que la
corruption n'a pas fait l'objet de l'étude et qu'il faudrait une
enquête en profondeur pour en dire quelque chose avec plus de
certitude.
La nourriture, pour le patient et pour les accompagnants
constitue aussi un frein pour l'utilisation des services hospitaliers.
Pour améliorer l'accessibilité de
l'hôpital de district, les dépenses `secondaires' devraient
être considérées et pas seulement les dépenses pour
se faire soigner. Mais les marges de manoeuvre à ce niveau sont
limitées. Un CHR est sensiblement plus coûteux qu'un hôpital
de district bien que la plupart des soins soient les mêmes.
Dans certains pays (Magassa et al. , 1996), le transport pour
les références d'urgence est partiellement pris en charge par le
centre de santé qui réfère le patient. Le recouvrement de
coûts permet aux CSI de disposer d'un fonds qui finance le transport des
patients référés d'urgence. Puisqu'il n'y a que peu
d'urgences parmi tous les nouveaux consultants au niveau d'un CSI, il ne s'agit
que d'une petite marge du bénéfice du recouvrement de coûts
qu'il faut investir pour le transport de ces cas. Pour ne pas tomber dans le
piège de sur-référence non plus, une contribution de la
part du patient devrait demeurer.
Pour les références à froid, la question
est plus difficile. Comment subventionner les frais de transport ? Est-ce
que ceci faciliterait vraiment la référence ? Est-ce que le
nombre de patients référés par les CSI permet d'organiser
leur transport de façon viable à partir d'un hôpital ?
Dans certains pays, ceci se fait déjà, mais le service est
partiellement subventionné et les taux de référence sont
beaucoup plus élevés. Les taux s'adapteraient probablement assez
vite dès que certaines barrières seraient levées.
Et quoi faire avec le transport des patients
décédés ? Leur transport constituerait quelle charge
au système de santé et quel serait l'impact sur
l'acceptabilité de la référence et donc sur l'utilisation
de l'hôpital ? Si l'utilisation de l'hôpital devenant ainsi
plus importante, les dépenses par rapport au transport pourraient
être considérées comme un investissement nécessaire
pour améliorer la viabilité de l'hôpital et pour
améliorer la santé de la population.
La présente étude ne peut pas répondre
à ces interrogations. Elle a permis en revanche de soulever ces
questions importantes qui pourraient être à la base d'un
changement au niveau de l'organisation du système de santé.
Surtout pour les références à froid, plusieurs
scénario de recherche action pour les faciliter pourraient être
entamés. Il existe déjà certaines expériences dans
d'autres pays comme par exemple au Kenya, où des assurances à
base communautaire facilitent le transport des patients (Macyntyre and
Hotchkiss, 1999).
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