2. LE RAPPORT TECHNOLOGIE ET SOCIÉTÉ
Un rapport intrinsèque existe entre
société et technologie. C'est pourquoi nous voulons traiter ici
de la technologie comme fait social. En effet, les procédés comme
les équipements ou outils sont des productions sociales. C'est pourquoi
Salomon (1992 : 67) ne manque pas de signaler qu'au-delà même du
savoir théorique qui a pu la produire, toute technologie renvoie aux
finalités, donc aux structures sociales (mentalités et croyances,
besoins et institutions économiques, politiques, culturels, etc.)
qu'elle a précisément pour fonctions de servir. Dans ce
deuxième point du chapitre, il sera essentiellement question de la
culture matérielle, du rapport technologie-pouvoir-société
et de l'innovation technologique.
a). Société et culture matérielle.
La question de la culture matérielle des
sociétés trouve son préalable dans celle du rapport de
l'homme à la matière. En effet, l'histoire des inventions et des
techniques nous présente l'homme au travail et nous le
révèle comme homo faber et animal technicus.
Ainsi, non seulement l'homme se sert des objets mais encore les fabrique pour
un usage durable. Présenté sous cet angle, le premier rapport de
l'homme avec la matière, et de façon générale
à son environnement physique, est celui qui consiste à le
modifier par le travail pour se réaliser, satisfaire ses besoins. Loin
d'être celui d'un seul individu, ce travail est, en définitive, un
travail social et sociétal, celui d'un groupe, d'une
société. L'accumulation des productions de cette
société forme alors, au fil du temps, sa civilisation
matérielle. D'où le paradigme du patrimoine culturel.
Selon cette théorie, toute société se
fait connaître d'abord à travers les éléments
matériels de sa culture. Les auteurs de la technologie culturelle, dont
Leroi-Gourhan, Mumford et Gille, ne manquent pas d'insister sur cette
réalité et le lien entre société et technologie.
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L'établissement d'un rapport entre
société et culture matérielle, dans le cadre de notre
étude, vise avant tout à montrer que la technologie naît et
existe par et dans la société. Michaïlof (1984 : 127) le
fait remarquer déjà lorsqu'il écrit que "toute technologie
est avant tout le produit d'une société spécifique,
c'est-à-dire d'un environnement économique, social et politique
particulier". Et bien avant lui, Leroi-Gourhan (1945 : 347) insistait sur cet
aspect en parlant de milieu et techniques. Pour lui, il existe un groupe
ethnique et un groupe technique. "le groupe ethnique existe par la
présence dans son enceinte matérielle d'un milieu
intérieur continu et ce milieu se prête à des abstractions
de commodité (...). Comme le groupe ethnique est l'expression
matérielle du milieu intérieur, le groupe technique est la
matérialisation des tendances qui traversent le milieu technique". Il
est clair pour nous que le groupe ethnique dont parle Leroi-Gourhan renvoie
à la société d'où émergent les techniques et
les outils techniques. Cette approche nous permet de dire que de même
qu'il n'existe pas de société sans technologie, de même il
n'existe pas de technologie qui ne soit pas le produit d'une
société. Mais il nous faut d'ores et déjà signaler
que les techniques diffèrent selon les groupes. Il ne faudrait donc pas
s'étonner de voir que tel ou tel outil technologique existe chez un
peuple et n'existe pas chez un autre. Car, "Conçus par une
société, dit Ecrement (1984 : 57), pour la transformation de ses
ressources en vue de la satisfaction de ses besoins, procédés,
machines, produits, modes organisationnels de la production, sont
marqués du sceau des sociétés qui les ont conçus et
sont l'expression de leur niveau technologique". Le domaine de l'architecture
est un exemple frappant de cette réalité. Besoins et niveau
technologique expliquent bien les degrés divers d'avancement
technologique des sociétés à travers le monde. Mais la
technologie s'apprend et s'emprunte parce qu'elle est de l'ordre de la culture
et non de la nature, c'est-à-dire de l'acquis et non de
l'inné.
Le second paradigme mis en relief par les auteurs,
après celui qui fait de la technologie le patrimoine culturel des
sociétés, est celui de la technologie comme culture et
apprentissage. La technologie est un élément de la culture d'un
groupe social, d'une société. Elle entre d'abord dans le
patrimoine culturel du groupe technique qui l'a produite. Ensuite par diffusion
ou emprunt elle peut devenir élément culturel d'un autre groupe
qui se l'appropriera avec le temps. Cette question de l'appropriation a fait
voir la technologie, à des auteurs tels que J.Perrin (1984 :95), comme
un apprentissage social. En effet pour cet auteur, du fait que l'appropriation
nécessite du temps, la technologie doit, pour être acquise, «
s'intégrer dans le système de représentation de
l'acquéreur ». L'acquisition dit bien ici emprunt. Il y a un
processus de transmission qui se met en place. Et de fait, les technologies
modernes connaissent une plus
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grande et rapide diffusion grâce aux progrès
techniques surtout dans le domaine de la communication et des transports.
Cette diffusion est en même temps diffusion de culture,
car les technologies renvoient aux sociétés qui les ont
produites. C'est pourquoi, diffusée dans une société autre
que la sienne, la technologie nécessite apprentissage et adoption. (Ce
disant, nous n'excluons pas le fait que la technologie s'apprend même au
sein de « sa » société d'origine). Ainsi en est-il des
moulins à grains importés. En outre, nous pouvons ajouter que la
technologie devient communication dans la mesure où, empruntée,
elle relie des sociétés différentes. Georges Balandier
(1971 :146) considère d'ailleurs la transmission des techniques comme un
problème de communication. En effet, pour lui, « il s'agit de faire
`passer' un complexe de techniques d'un système qui l'a conçu
à un système pour lequel il est, au départ, radicalement
étranger ». Ce processus implique nécessairement que soit
trouvé un langage qui établisse le lien entre les deux
systèmes et qui puisse être décodé ou traduisible
par les deux. Point n'est besoin d'insister ici sur l'importance de la
communication dans le processus d'apprentissage.
Les technologies circulent donc tout en diffusant les valeurs
et idées des sociétés qui les ont produites. Les
transferts de technologies de l'Europe qu'ont connus les différents pays
africains (sous forme d'emprunt et d'imposition) depuis la période
coloniale témoignent de cette réalité. C'est au regard de
cette réalité transactionnelle que des auteurs ont
appréhendé la technologie comme un instrument de pouvoir et de
domination. Mais la technologie n'est-elle pas neutre en soi ?
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