b). Le moulin, moyen de la rencontre
Le second rôle social important que joue le moulin dans
les villages est sa fonction de rassemblement, de communication. Le moulin est
comme le puits. Au moulin les femmes du village se rencontrent, communiquent
entre elles en se donnant les nouvelles des unes et des autres, commentent les
derniers événements du village et de leur vie : vie familiale,
expériences personnelles, etc. En somme le moulin est un lieu
d'interactions.
Au coeur de ces rencontres se produit également un
certain apprentissage social que nous désignons par le terme de
socialisation, s'il est vrai que le processus de socialisation est toujours
continu dans la société et que ses lieux de réalisation
sont multiples (famille, quartier, équipe de football, tontine,...). Guy
Rocher (1968 :132) nous donne une définition complète de la
socialisation comme « le processus par lequel la personne humaine apprend
et intériorise tout au cours de sa vie les éléments
socio-culturels de son milieu, les intègre à la structure de sa
personnalité sous l'influence d'expériences et d'agents sociaux
significatifs et par là s'adapte à l'environnement social
où elle doit vivre ». L'apprentissage social ici a pour but «
d'augmenter la solidarité entre les membres du groupe » (Boudon R.,
1990 : 181). Auparavant, il suppose une intériorisation de normes et de
valeurs culturelles, grâce à laquelle l'individu a obligation et
droit d'attente envers les autres. L'exemple de la pratique du rang au moulin
rend bien compte de cette théorie de la socialisation. Il en est de
même des différents services de suivi de la mouture que les femmes
se rendent en l'absence de leurs camarades. Même s'ils engendrent la
réciprocité, ces services prônent la serviabilité,
la charité et la solidarité comme étant des valeurs.
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Dans les groupements villageois féminins (GVF), les
moulins exercent une fonction de regroupement permettant ainsi aux femmes de
vivre une certaine solidarité. La fonction de rencontre du moulin y est
encore plus explicite. Certains groupements féminins comme ceux de Sawa
et de Zouma se sont donnés des noms tels que : « kukon'a pan
» « la calebasse commune »24 et « Ta
konli a koonè » « Il est bon d'être ensemble
». La constitution du groupement ou de l'association est même un
critère important sur lequel s'appuient les ONG pour l'octroi des
moulins aux femmes. La promotion de l'idéal communautaire se situe au
coeur même de la vie des villages dont le mode d'organisation se calque
sur ce que Durkheim (1893) a appelé sociétés
traditionnelles où la conscience collective est très forte ; ce
qui vaut à ces sociétés le nom de sociétés
à solidarité mécanique. Les groupements villageois «
redynamisent » et tentent de pérenniser cette conscience collective
dans un contexte de mutations socioculturelles où l'individualisme tend
à prendre le dessus. L'observation d'une telle réalité
fait dire à Buijsrogge (1989 : 105) au sujet de la dynamique paysanne au
Sahel : « La dynamique des populations rurales et paysannes veut
préserver et privilégier son caractère villageois, donc
communautaire...Pour le moment, le paysan des savanes ne se voit pas en dehors
des dynamiques villageoises ». Le même constat fait par Georges
Kossi Kenkou (1994 : 751) dans la région nord du Togo et sud du Burkina
Faso au sujet des coopératives de pêche l'amène aux
conclusions suivantes : « Elles (les communautés rurales
africaines) favorisent la conscience de l'intérêt communautaire au
détriment de l'égoïsme lié à
l'évolution des intérêts individuels et particularistes.
Dans cette optique, elles entretiennent un ensemble de réseaux
d'obligations sociales, chargées d'amener l'individu ou les groupes
d'individus à matérialiser les formes de solidarité
requises par les coutumes locales ». La gestion communautaire de moulins
se présente bien comme un domaine de réseaux d'obligations en vue
de la bonne marche du projet.
A la fonction de rencontre s'ajoute celle de réaliser
une interdépendance entre les villages qui finit par s'étendre
à la ville.
24 L'expression « kukon'a pan » est une
abréviation du proverbe san « kukon'a pan ma'a tii, ma'a nyan yu wa
» qui se traduit par « La calebasse commune peut se salir mais ne
doit pas se briser ». Ce proverbe traduit le souci de l'entretien et de la
protection du bien commun entendu comme objet matériel (ex. le moulin)
ou valeur (la solidarité, l'unité...). La calebasse symbolise la
fragilité du bien commun qui nécessite protection.
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