Conclusion partielle
Dans ce chapitre il a essentiellement été
question de l'impact des moulins sur la vie des femmes dans le
département de Toma. Partie centrale de notre travail, cette section
nous a permis de faire ressortir que le moulin libère pour les femmes un
temps supplémentaire de travail et leur permet de s'occuper d'autres
activités ménagères ou commerciales en vue de leur
indépendance économique vis à vis des hommes. Toutefois,
la différenciation et les conflits sociaux ont vite fait d'accompagner
le moulin qui met à l'épreuve la capacité de chaque femme
de passer de la mouture individuelle avec sa meule de pierre à la
mouture collective. D'impact multidimensionnel, le moulin fait apparaître
de nouvelles socialités en réorganisant les rapports sociaux ;
tandis qu'il restructure la société à travers de nouveaux
rôles.
Par ailleurs, la question de l'accès des femmes
à l'argent vient conditionner également leur accès au
moulin qui n'est possible qu'en s'associant. Cette gestion communautaire ne va
pas non plus sans impact sur l'appropriation par les femmes. Finalement, le
moulin aura été un vrai facteur de changement social, comme il
arrive pour toute innovation technologique. C'est ce changement que nous
analyserons au prochain chapitre.
114
CHAPITRE 5 : TECHNOLOGIES APPROPRIÉES
POUR FEMMES ET CHANGEMENT SOCIAL
Suite à tout ce qui précède dans les
chapitres antérieurs, ce chapitre voudrait s'appuyer sur quelques
théories socio-anthropologiques pour approfondir la problématique
du moulin et des technologies appropriées pour femmes. Quelle approche
sociologique peut-on faire finalement du moulin à grains dans l'objectif
de la promotion des femmes rurales ? Les technologies appropriées pour
femmes leur profitent-elles ? Dans le contexte actuel des
sociétés en mutation que faut-il faire pour améliorer la
condition des femmes rurales ? Voilà autant de questions auxquelles ce
chapitre tente d'apporter des esquisses de réponses. Trois approches
théoriques, à savoir les théories fonctionnaliste,
dynamique et celle du gender, nous permettront d'analyser la
réalité du moulin dans le contexte actuel du département
de Toma. Les conclusions de cette analyse nous permettront de répondre
à la deuxième question et de donner des perspectives sur les
technologies appropriées pour femmes.
1. LES FONCTIONS SOCIALES DU MOULIN.
Partant des données présentées au
chapitre IV, l'analyse de l'impact du moulin sur les femmes peut se faire
à partir de sa fonction sociale. Pour ce faire, la théorie
fonctionnaliste de Malinowski nous servira comme grille d'analyse. En effet le
fonctionnalisme permet de saisir une réalité sociale par rapport
à sa fonction ou à son utilité. L'idée de fonction
a une importance dans la mesure où elle permet de constater comment une
institution fonctionne au sein du système social où elle joue un
rôle et par-là se rend indispensable. « Dans tous les types
de civilisation, chaque coutume, chaque objet, chaque idée, chaque
croyance remplit une fonction vitale, a une tâche à accomplir,
représente une partie indispensable d'une totalité organique
» (Malinowski, 1926, « Anthropoly » in Encyclopedie
Britanica, p.132, Cité par Descola, 1988 : 99).
L'intérêt de cette théorie est de permettre de tenir compte
des interdépendances entre éléments à
l'intérieur d'un système.
115
a). Le moulin comme outil
Nous appréhendons le moulin dans ses fonctions, d'abord
comme un outil. Un outil selon le dictionnaire Robert (1988), est un
« objet fabriqué qui sert à agir sur la matière,
à faire un travail ». Nous disions au premier chapitre de ce
travail que la problématique de la technologie culturelle nous situait
au coeur du rapport de l'homme à la matière et de l'homme au
travail. Dans cette ligne de compréhension, l'outil a pour but de
permettre l'action. Il joue un rôle intermédiaire entre l'homme et
la chose sur quoi porte l'action. En ce sens l'outil « n'est ni cause ni
effet et dans la chaîne : force-outil-matière, il n'est que le
témoin de l'extériorisation d'un geste efficace »
(Leroi-Gourhan, 1971 : 318). Ceci sous-entend bien que c'est l'homme qui anime
l'outil. Le moulin actionné par le meunier sert à la production
de la farine des céréales. Son rôle comme outil de travail
est de permettre cette obtention de la farine.
Comme intermédiaire, l'outil a un rôle de
prolongement de la main de l'homme qui cherche à satisfaire ses besoins.
La théorie des besoins, développée par Malinowski (1944),
nous permet de comprendre les raisons de la fabrication, de l'usage et de
l'adoption de tel ou tel outil. Les membres de l'homme ne lui suffisent pas
à la satisfaction de tous ses besoins dans un milieu naturel parfois
contraignant. L'outil joue ainsi un rôle de suppléance aux
carences humaines. D'où la nécessité de la technologie et
des techniques. En réalité, la question du rôle du moulin
renvoie, d'une façon plus générale, à celle du
rôle de la technologie dans la société. Ainsi, dans la
culture san l'acquisition de la meule en silex est un premier degré de
technologie permettant de ne plus se nourrir de grains à l'état
non transformé, tandis que l'acquisition du moulin vient rendre optimale
la satisfaction de ce besoin. La recherche de satisfaction du besoin
crée une interdépendance entre l'homme et l'outil. C'est pourquoi
Abe'ele (1999 : 92), écrit : « Au-delà des
propriétés physiques les outils entretiennent des rapports
spécifiques avec leurs usagers ».
Ces rapports varient avec la nature de l'outil. Ainsi, le
rapport des usagers du moulin sera différent de celui qu'ils
entretenaient avec la meule en pierre en raison de leur différence de
nature. En effet, comparativement à la meule de pierre que nous appelons
« technologie froide », le moulin est une machine et peut être
appelé « technologie chaude » parce que
génératrice d'énergie, d'une énergie
supérieure même à celle de l'homme. Faut-il en
déduire que les « technologies chaudes » satisfont mieux les
besoins humains que les « technologies froides » ? En tout cas le
moulin à grains économise l'énergie des femmes qui jadis
s'épuisaient
116
sur la meule de pierre. Les technologies chaudes ont une
fonction d'économie d'énergie humaine plus grande que les
technologies froides. C'est en cela que se trouve vérifiée notre
deuxième hypothèse qui consiste à affirmer que « le
moulin introduit une certaine qualité et une rapidité dans la
chaîne de transformation alimentaire : il libère du temps et
amène les femmes à une autre gestion de leur temps ».
En conclusion à ce rôle d'outil du moulin nous
nous résumons en ces termes : le moulin comme machine (ayant aussi ses
contraintes) est un outil de libération de la femme d'une corvée
qui la rendait esclave dans l'exercice d'une fonction sociale (celle de la
mouture des grains). Mais le moulin n'est pas qu'un outil ; sociologiquement,
il est bien plus.
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