b). La différenciation sociale.
Quels que soient les porteurs sociaux par qui la technologie
du moulin a été introduite (commerçants, Etat, ONG), nous
avons pu constater sur le terrain que le moulin crée une
différenciation sociale entre les femmes et les hommes et entre les
femmes elles-mêmes. Le point de départ de la
différenciation se trouve déjà même dans le fait
d'introduire cette technologie dans un milieu. Car tout le monde
n'achète pas un moulin et le mari de toute femme n'en possède
pas. Différence est faite sur cette base entre ceux qui ont les moyens
financiers et par conséquent un certain pouvoir et ceux qui n'ont pas
ces moyens ni ce pouvoir. Dans le département de Toma ce sont les
hommes, à l'exception d'une femme, qui sont des propriétaires de
moulins.
Entre femmes la différenciation se remarque au niveau
des quantités de grains qu'elles apportent à moudre. A la
question de savoir de quoi parlent les femmes au moulin, nous avons reçu
les réponses suivantes : « Nous comparons la quantité de
nos céréales », « Nous félicitons
celles dont la ration familiale est abondante », « Nous
parlons des problèmes de femmes, de nos soucis et nous critiquons nos
maris qui ne paient pas l'argent de mouture ». La
différenciation sociale entre les femmes s'étend sur leur avoir
(vêtements, argent,...) et leurs comportements. Il est clair que tout le
monde ne peut pas se payer le luxe d'aller au moulin chaque jour. C'est
pourquoi lorsque nous posons la question : combien de fois allez-vous au moulin
par semaine ? Certaines femmes disent que le manque d'argent les oblige
à alterner les jours, tantôt elles utilisent la meule,
tantôt le moulin. Le commerce d'une partie de la ration familiale au
moulin est aussi un indicateur de différenciation sociale. La vente de
la ration familiale au moulin est une pratique courante chez les femmes qui
n'ont pas l'argent de la mouture. Cette différenciation entre les femmes
avait été relevée par Herzog (cité par Treillon,
1992 : 18) qui l'exprimait en ces termes : « Etant donné la faible
disponibilité monétaire des femmes rurales, d'une part, et les
nombreuses obligations familiales qui leur incombent, d'autre part, la plupart
d'entre elles éprouvent des difficultés à trouver les
moyens financiers pour le paiement de l'usinage. Du coup, dans la plupart des
cas, la mouture mécanique n'est accessible qu'à un nombre
très restreint de femmes ».
Disons donc qu'au village toutes les femmes n'ont pas un
accès facile à cette nouvelle technologie dont les objectifs sont
pourtant connus de tous : alléger le travail, augmenter la production
des femmes, améliorer la qualité alimentaire, sauvegarder les
forces physiques et la
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santé des femmes, etc. La différenciation
déborde le niveau individuel et s'étend à des groupes et
ensembles tels que la famille, le couple conjugal, les femmes de tel village,
etc. Néanmoins la différenciation créée par le
moulin ne doit pas nous empêcher d'observer l'apparition de nouvelles
socialités.
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