b). Accès au moulin et appropriation par les
femmes.
Les modes d'introduction du moulin dans le département
tels que vus au Chapitre 3 nous ont révélé les
différents acteurs ou porteurs sociaux : commerçants, Etat et
ONG. Par ailleurs, la
101
faible rémunération des AGR face au coût
des moulins pose le problème de l'accès des femmes au moulin et
de son appropriation par celles-ci.
+ Un accès quasi limité
La situation financière des femmes par rapport au prix
de revient des moulins rend difficile leur accès au moulin et favorise
le monopole de cette technologie par les hommes. Lorsqu'on pose la question de
savoir pourquoi la totalité des propriétaires de moulins sont des
hommes, les femmes répondent : « Est-ce que nous avons de
l'argent ? Nous n'avons pas d'argent comme les hommes ». Et lorsqu'on
s'intéresse aux raisons de leur manque d'argent et à celles de la
richesse des hommes, on obtient les réponses suivantes : « Les
hommes ont des animaux, ils travaillent », « Nous n'avons que nos
jardins de piment » ou encore « Qu'avons-nous à part
la préparation de la bière de mil ? Rien. »
Parallèlement, certains hommes répondent aux mêmes
questions en ces termes : « La femme ne peut pas se débrouiller
de la même manière que l'homme ». « Nous faisons
l'élevage. C'est cela qui fait la richesse de l'homme au village, sinon
nous ne sommes pas salariés ». D'autres disent encore : «
Certaines femmes ont de l'argent mais pas toutes ».
Ces différentes réponses reflètent
certainement une réalité sociale : celle de l'inégale
situation économique et financière des deux sexes. Au regard des
sources de revenus dont nous avons parlés plus haut, le sexe
féminin semble être la catégorie la plus
défavorisée et la plus vulnérable. Nous hésitons
ici à parler de situation de pauvreté car cette notion est
beaucoup plus complexe et pourrait englober la situation des deux sexes en zone
rurale. En effet, dans Société civile et réduction de
la pauvreté, Abega (1999 : 107) écrit : « En termes
purement socio-économiques on peut parler de la pauvreté comme
l'impossibilité de satisfaire ses besoins fondamentaux (nourriture,
vêtement, logement, soins médicaux, éducation), approche
opposée à la relation entre les revenus d'un individu par rapport
à un autre ». Ou d'une catégorie par rapport à une
autre.
Il reste cependant vrai ici que les femmes rurales ont,
à cause de certaines conditions sociales (domination masculine), un
accès difficile à l'argent. Un discours tel que « La
femme ne peut pas se débrouiller de la même manière que
l'homme » révèle clairement les représentations
sociales sur les femmes et traduit la domination masculine existante.
Autrement, les femmes s'en sortent aussi bien que les hommes si les conditions
leur sont offertes. La
102
situation actuelle des femmes les exclut d'office du groupe de
ceux qui peuvent prétendre acheter un moulin. En effet, les principales
sources de revenus des femmes dans les villages san sont le petit commerce et
le jardin de piment. Cultivé autour des concessions sur de petites
parcelles que les hommes accordent aux femmes, le piment rapporte rarement 50
000 francs à une femme. La vente de la bière de mil comme
d'ailleurs tout ce qui est petit commerce sert aux dépenses quotidiennes
des femmes.
L'accès restreint au moulin provient surtout de son
coût sur le marché. Le moulin accompagné du moteur
coûte très cher selon les marques. Nous présentons dans le
tableau ci-dessous les prix des marques Diamant et Lister (qui sont fiables)
installés par l'ADRTOM.
Tableau 11: Tarifs des moulins installés par
l'ADRTOM.
Année d'installation
|
Villages
|
Montant du crédit (F.CFA)
|
Prix net du moulin (F. CFA)
|
1990
|
Koin
|
1 528 652
|
1 290 740
|
1993
|
Kolan
|
1 769 645
|
1 643 000
|
1994
|
Gossina
|
1 095 838
|
800 000
|
Source: ADRTOM (Toma).
Les moulins de l'année 1994 étaient des dons du
gouvernement burkinabè dans le cadre de l'opération Mille
moulins. Ceci explique la baisse du prix de revient à 800 000 francs.
Les tarifs actuels (juin 2000) des moulins à la CICA (Commerce
International pour le Continent Africain) se présentent comme suit selon
leurs puissances :
- Moulin Diamant : De 600 000 à 800 000 F CFA.
- Fabrication locale : De 300 000 à 400 000 F CFA.
- Moteur Diesel monocylindrique :
· 8 CV : 450 000 F CFA.
· 10 CV : 500 000 F CFA.
· 16 CV : 800 000 F CFA.
L'unique femme du département (Mme Awa PARE) à
acheter un ensemble neuf moulin-moteur en 1999, avoue l'avoir acheté au
prix d'un million deux cents mille (1 200 000) francs à la CICA à
Ouagadougou. Complétant ses économies faites en Côte
d'Ivoire avec un emprunt, elle a pu créer cette micro entreprise.
103
En somme, toutes ces données montrent une fois de plus
combien il est difficile pour une femme non sortie du milieu rural, ou
n'exerçant pas un métier bien rémunérateur, de
s'octroyer un moulin. La question de l'accès des femmes au moulin se
présente alors dans une première conclusion comme un
problème financier, en termes de manque de moyens. Mais nous verrons au
chapitre 5 que la cause profonde se trouve dans les rapports de force des deux
sexes où les femmes sont exclues des circuits économiques. Les
femmes ayant compris cela, tentent d'accéder au moulin en groupe.
+ Un accès par groupes
Face à la cherté des moulins et la
nécessité obligeant, les femmes sont obligées de passer
par d'autres relais pour obtenir des moulins. Ces relais sont les
différentes associations de ressortissants des villages se trouvant en
ville et les organismes d'aide au développement tels que l'ADRTOM,
l'UGPN qui s'adressent à leur tour à des bailleurs de fonds ou
à l'Etat. Tous les villages possèdent des groupements de femmes
dont certains existent depuis bien longtemps mais la plupart depuis 1990,
constitués avec l'appui des animateurs de l'ADRTOM.
L'accès par groupes aide les femmes à se
procurer et à installer le moulin mais les tarifs ne sont pas pour
autant diminués et le remboursement, bien qu'étalé
généralement sur une période de trois à cinq ans,
connaît des difficultés. Cette situation ne dit-elle pas non plus
la difficulté d'appropriation du moulin par les femmes ?
+ Difficile appropriation.
Les statistiques du chapitre 3 nous ont
révélé que les moulins des groupements de femmes
connaissent plus de problèmes que ceux des commerçants. Cela
montre que la gestion communautaire des moulins motorisés pose de
nombreux et divers problèmes techniques et sociaux rendant difficile
leur appropriation.
Du point de vue des aspects techniques, on peut relever,
primo, que le débit théorique de fonctionnement (120 à 350
kg/h) n'est jamais atteint à cause de la discontinuité dans la
mouture occasionnée par le remplissage de la trémie, les palabres
pendant lesquelles le moulin tourne à vide. Secundo, l'insuffisance ou
le manque de formation des meuniers fait que la manipulation
104
et le réglage empirique de l'appareil créent des
problèmes. Les meuniers, choisis au gré des commerçants et
selon des critères établis par les membres des GVF, ont pour la
plupart fait un apprentissage sur le tas, les uns auprès des autres.
Pour certains, cette formation a duré un ou deux jours mais n'a jamais
atteint une semaine. Quatre sur cinq des 10 meuniers contactés sont dans
cette situation et affirment ne rien connaître en mécanique bien
qu'ils tentent de réparer le moteur en cas de panne. Appel est fait
à un mécanicien en cas de panne grave. En outre, les meuniers
sont changés régulièrement dans les groupements. Certains
se sont à peine familiarisés avec l'outil de travail qu'ils
doivent partir soit à cause des exigences des femmes soit parce qu'ils
doivent aller en ville.
Tertio, la mauvaise installation de certains moulins (moteur
non ajusté au moulin), entraîne des pannes
régulières (la courroie quitte la poulie) et des pertes de temps.
Le moulin GVF de Nièmè est l'exemple type en l'occurrence. Les
moulins sont installés de façon empirique sans véritable
calcul d'ajustement.
Enfin, les oublis de pièces d'argent ou d'autres
pièces métalliques dans le mil à moudre occasionnent
également des pannes. Certaines femmes, ou bien les enfants qu'elles
envoient moudre, déposent leur argent ou la clé de leur porte sur
le grain. Une fois au moulin, elles oublient de les retirer. Ces pièces
créent le blocage du moulin, dès qu'elles passent entre les
meules. Ces cas, selon les femmes, sont fréquents. Tout ceci nous fait
dire que bien que la technologie soit appropriée au milieu et à
la mouture des céréales, sa maîtrise pose encore de
nombreux problèmes techniques.
Du point de vue des problèmes sociaux, nos recherches
ont révélé que leurs causes sont de plusieurs ordres.
D'abord elles sont structurelles. Sauf à Toma et à Sien (qui a
changé de système après une première
expérience non concluante), le local du moulin communautaire se trouve
être, dans la plupart des villages, le domicile de la présidente
du groupement. Avec le temps et les difficultés de gestion, les femmes
finissent par considérer le moulin comme l'affaire de la
présidente et se désengagent. Une telle situation crée un
blocage et pose un problème de fond, celui de la participation des
femmes à leurs propres projets de développement. Selon les
animatrices de l'ADRTOM, il arrive que dans certains villages « les
femmes ne sortent pas pour les réunions mensuelles, même les
membres du comité de gestion ». Signalons ici que si quelques
membres des comités de gestion ont reçu une formation en gestion
de moulin, les membres des groupements restent sans formation se contentant des
réunions
105
mensuelles qui ne connaissent que des résolutions de
problèmes du moulin. Le manque de dynamisme des membres de certains
comités nous fut signalé aussi par les femmes.
Ensuite ces causes sont liées à la mauvaise
gestion qui résulte elle-même du manque de maîtrise des
outils de gestion (système de comptabilité par exemple) ou de
stratégies d'exploitation profitant à quelques personnes. Ainsi,
« le montant sur le cahier ne correspond pas à l'avoir en
caisse », disent les animatrices. « Parfois, il y a plus de
dépenses que de recettes. Et pourtant elles affirment n'avoir pas
emprunté de l'argent; il y a eu donc des recettes qui n'ont pas
été inscrites ». A cela s'ajoute le fait, selon les
animatrices, que les femmes changent difficilement de comportements et
n'écoutent pas leurs conseils ou font semblant d'écouter. La
vérité d'une telle affirmation reste à démontrer,
dans la mesure où elle tente de montrer que les femmes, finalement, ne
savent pas ce qu'elles veulent ou ne mettent pas de la volonté dans ce
qui fait leur intérêt. Nous pensons que le manque d'écoute
des femmes est surtout lié à la pédagogie utilisée
par les animatrices pour se faire comprendre. Car la bonne gestion des moulins
relève plus d'une question de méthode que de volonté.
Enfin, la situation des moulins comme biens communs est aussi
cause de la difficulté d'appropriation par les femmes. La gestion
collective des moulins pèse sur les femmes. Tout cela nous introduit
dans les aspects sociaux de l'impact du moulin.
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