WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Les technologies appropriées en zone rurale : cas du moulin à  grains dans le département de Toma au Burkina Faso.

( Télécharger le fichier original )
par Jean Paulin KI
Université catholique d'Afrique Centrale Yaoundé - Maà®trise en sciences sociales 2000
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Conclusion partielle

Dans ce chapitre il a essentiellement été question des techniques et des technologies de mouture des céréales. Nous avons vu que les technologies anciennes propres au pays san remplissaient des fonctions techniques et symboliques en lien avec les besoins et les représentations sociales. Ceci révèle que la technologie n'est pas en dehors de la culture que nous définissons comme l'ensemble des représentations et des manières de faire d'une société. Au contraire, elle prend corps dans la société et devient son expression culturelle. Ainsi, le mortier, le pilon, la meule de pierre sont des éléments de la culture matérielle des Sanan. Mais les sociétés évoluent dans le temps avec leurs cultures. C'est pourquoi la culture matérielle des Sanan s'est enrichie à un moment de son histoire par d'autres éléments culturels étrangers que sont les moulins.

Ce passage d'une technologie à une autre constitue un progrès et une innovation technologiques. A la lumière de la théorie de la diffusion, selon laquelle un fait culturel caractéristique d'une société donnée pénètre dans une autre qui l'emprunte et l'adopte, nous pouvons comprendre comment progressivement les moulins ont été introduits et se sont répandus dans le département de Toma grâce à des pionniers, des porteurs sociaux externes et internes. Comme processus dynamique, l'innovation technologique a une profonde influence sur la culture. Si le moulin remplit de manière rapide et efficace la même fonction technique que les anciennes technologies de mouture du pays san, il supprime cependant les fonctions symboliques et crée d'autres représentations sociales. En outre il remet en cause l'ancienne

83

division sociale du travail. Ce faisant, il réorganise les rapports sociaux. Les rôles et les places des femmes s'en trouvent modifiés.

Le rapport de l'homme avec l'outil a été également mis en relief dans ce chapitre à travers la question des techniques du corps. Les techniques s'adaptent aux différents outils. Le passage de la meule de pierre au moulin motorisé implique un changement de technique et de logique. Tout cela révèle finalement que l'être humain est un ensemble de possibilités, capable de s'adapter et d'apprendre de nouvelles techniques.

Il importe cependant, par rapport aux différentes couches sociales, d'étudier les incidences de l'innovation technologique. C'est l'objectif du prochain chapitre consacré à l'impact du moulin sur la vie des femmes du département de Toma.

84

CHAPITRE 4 : IMPACT DU MOULIN SUR LA VIE DES
FEMMES DANS LE DEPARTEMENT DE TOMA.

Si dans le chapitre précédent nous nous sommes intéressé aux technologies de mouture, il convient dans le présent chapitre de présenter et d'analyser leur impact. Par impact, nous entendons l'influence qu'exercent les technologies sur la vie des populations qui les utilisent. Cette influence naît de la relation dynamique entre l'homme et l'outil. Les effets des moulins, dans le département de Toma, se manifestent au niveau de toutes les couches sociales d'une manière ou d'une autre. Tout en ne négligeant pas les autres composantes de la société, nous avons choisi d'étudier l'impact sur les femmes à qui revient, à plein temps, l'activité de transformation des aliments dans leur rôle de ménagères. Procédant par la méthode comparative, nous présentons ici les différents points de vue des femmes pour mieux mettre en évidence l'impact du moulin par rapport à la meule en silex. Notre présentation s'articule autour de quatre axes : L'impact d'ordre physico-biologique, le temps de travail féminin, l'impact sur la vie économique et l'impact sur la vie sociale. Les données présentées ici sont celles de nos enquêtes et observations de terrain.

1. IMPACT D'ORDRE PHYSICO-BIOLOGIQUE.

La culture a une composante biologique dans la mesure où les activités sociales réagissent sur l'organisme humain. C'est pourquoi, le sociologue et l'anthropologue ont aussi pour objet l'étude des phénomènes physico-organiques car ceux-ci concernent l'homme et son environnement. La prise en considération de ces phénomènes, à travers une analyse croisée, leur permet de comprendre certains comportements et institutions sociaux et de rendre les interprétations pertinentes. L'impact physico-biologique du moulin intègre les dimensions sanitaire et nutritionnelle.

D'un point de vue sanitaire, le repos et l'absence de fatigue physique constituent les premières réponses de la totalité des femmes à la question « quels sont, selon vous, les avantages du moulin ? ». Les femmes disaient : « A na da susui ko wo la » (« Il est venu nous donner le repos ») ou encore « A na da noma bo wo mii ni » (« Il est venu enlever de notre tête

85

la fatigue »). Littéralement rapportées ainsi, ces expressions mettent bien en relief un rapport entre la présence du moulin et le corps humain. Comparativement au mortier et à la meule, le moulin présente des avantages pour l'organisme humain. L'expression « enlever de la tête » présente la fatigue occasionnée par la meule ou le mortier comme un fardeau dont le moulin décharge les femmes. C'est bien d'ailleurs dans ce sens que la plupart des études de cas sur les moulins signalent que le moulin « allège » la fatigue des femmes dans leurs travaux ménagers. A titre d'exemple, Marie-Christine Gueneau (1986 : 61) écrit : « Le moulin prend en charge la phase de préparation du mil la plus pénible, celle de la mouture des grains, traditionnellement effectuée par écrasement entre deux pierres. Le moulin est donc l'instrument d'une moindre pénibilité de travail des femmes ». Les femmes interrogées ne manquent pas d'exprimer leur douleur : « Le jour où tu écrases sur la meule, nous dit une femme, elle te fatigue ; le lendemain tu ne peux plus rien faire. Ta poitrine se contracte, ton cou se raidit, tu as mal aux bras et aux épaules ; tes paumes chauffent ». Comme travail manuel, la mouture à la meule demande une dépense énergétique à tout l'organisme humain. Un effort excessif demandé aux muscles finit par les endolorir. Il convient en effet de signaler que dans l'ordre des étapes des travaux de la préparation du mil en pâte, la mouture intervient en cinquième position, soit en avant-dernière position, après la séparation du grain de l'épi, le vannage, le nettoyage et le décorticage. Cette chaîne d'activités occupe les femmes pendant toute la journée de cuisine. Selon Sautier et Odéyé (1989 : 51), « le rendement horaire moyen du décorticage au pilon a été calculé au Sénégal : de 9,3 à 13kg/h/femme (...). Le CRDI17 (1983) donne un temps de pilonnage de 11à 21 minutes pour 3kg de grains (...). Le décorticage manuel est donc une opération longue et pénible (dépense énergétique de 20à 62kJ/kg) ». En outre, signalons qu'il n'est pas évident que les dépenses énergétiques des femmes sont proportionnellement compensées en calories et vitamines.

Si la pénibilité du travail de mouture doit être mise en rapport avec la nature même de l'activité, elle doit être également évaluée par rapport au nombre de personnes à la charge de chaque femme par famille. Mahaman (1990 : 27), étudiant le cas des femmes nigériennes, écrit à ce propos : « Il est important de signaler à titre d'exemple que pour nourrir une famille moyenne de cinq (5) personnes travaillant aux champs, il faudrait moudre par jour environ 15 kilogrammes de grains, et dire que ces 15 kilos doivent être travaillés par une seule personne serait vraiment une corvée ». Certes, la quantité de 15 kilogrammes pour 5 personnes nous

17 CRDI : Centre de Recherche pour le Développement International (Canada).

86

paraît une exagération. On imagine mal une personne consommant 3 kilogrammes de nourriture par jour. Mais la taille des familles est ici une donnée importante pour comprendre la souffrance des femmes dans leurs activités ménagères. Les résultats de notre enquête montrent, sur 20 familles, un effectif moyen de 9 personnes à charge par femme. Il faudrait, pour la ration journalière de 9 personnes, doubler la mesure d'une boîte de 3,5 kilogrammes de grains (soit 7 kilogrammes). Or, piler et moudre une telle quantité de grains n'est pas une tâche facile pour une seule femme. Nous convenons donc que la taille des familles, la quantité de grains à travailler, la nature même de l'activité, le temps de travail et l'état rudimentaire des outils concourent conjointement à la pénibilité de la transformation des céréales chez les femmes.

Par ailleurs, outre la question du repos et de l'allégement de la fatigue, beaucoup de femmes à Toma, (où il y a déjà une longue expérience du moulin), nous montraient leurs paumes devenues lisses depuis qu'elles ne se servent plus de la meule. La présence du moulin diminue les risques de courbatures, de contraction de la poitrine et de cancérisation des mains. Cependant chez certaines personnes, le pilon laisse encore une grosse croûte sur le pouce (Cf. Photo n°9). Si, comme exercice physique, la mouture des grains sur la meule peut constituer un sport, elle détériore plus vite la santé des femmes de constitution fragile. Ce qui peut avoir des répercussions sur leur vivre en société. Déjà, la fatigue de la journée peut, à elle seule, être cause d'incompréhension entre la femme et son mari face à certaines exigences de ce dernier.

La prise de conscience de la pénibilité de l'écrasement manuel des grains fait que, de nos jours, le moulin devienne une exigence de mariage dans les villages du département de Toma : « Par crainte de la souffrance et de la fatigue, dit un jeune homme de Sawa, certaines filles te demandent d'abord si un moulin existe dans votre village avant d'accepter de devenir ta femme. Toutes nos filles vont se marier à Toma à cause du moulin ». Comme pour attester cet état de fait, les femmes âgées, que leurs brus ont relayées au foyer et qui n'ont connu que la mouture à la meule, trouvent que le moulin est venu rendre les femmes paresseuses. « Wosèn woa wara, dié ne n yiri kwè mãsin gana ? Ma n boé do n da wosa mièn nè n wudi lè ko nla , aa miè, n bii n ton woatan » (« De notre temps, qui pensait au moulin ? Lorsque tu reviens du champ le soir, on te donne le mil et le repas est prêt avant que les gens ne dorment »). On note une certaine fierté chez ces femmes à raconter leur passé. Ces propos nous semblent relever du phénomène de conflit de générations. Car les femmes qui ont fait l'expérience de la meule puis du moulin trouvent que leur situation était proche de l'esclavage. « Nous nous tuions » disent-elles (« wo wo gwan ndini dii »).

87

A ce niveau, nous pouvons pour l'instant conclure que le moulin permet aux femmes de conserver leur santé, en leur épargnant la dure corvée de la mouture manuelle.

Du point de vue de la consommation, les femmes signalent la finesse de la farine obtenue au moulin par rapport à la meule. Elles évaluent cette qualité en fonction de l'absence des grains de pierre dans la farine. Cette absence de grains de pierre est un avantage dans la mesure où elle concourt à diminuer le taux de maladies de ventre ou d'appendicite. De plus, le moulin sort une farine hygiéniquement propre et dispense de l'usage d'un tamis pour éliminer les saletés.

Au total, le moulin présente pour l'organisme humain des avantages importants pour la santé, en lien direct ou indirect avec la vie sociale. Tandis que la meule participe à la réduction progressive et rapide de la force de travail, le moulin conserve l'individu. Un homme de Toma nous disait : « Depuis que le moulin est là, nos femmes sont regardables ; elles ont belle apparence ». Outre son impact physico-biologique, le moulin garde une place importante dans le temps de travail des femmes.

88

Photo 9: Marques laissées par le pilon sur la main.

Photo Jn. P. Ki, Toma, le 27/8/1999.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry