2. LES MOULINS, TECHNOLOGIE NOUVELLE DE MOUTURE DES
GRAINS.
Comme connu, les moulins et les décortiqueuses sont
transférés d'Europe dans l'après deuxième guerre
mondiale (1950) vers les pays africains. Selon Treillon (1992 :13), en France,
ce matériel, oeuvre de quelques entreprises, est dans un premier temps
destiné aux exploitations agricoles pour la fabrication d'aliments pour
le bétail. « L'une de ces entreprises, Daly, a l'idée de
s'implanter sur le marché africain avec le même type de
matériel pour l'alimentation humaine. Par l'intermédiaire d'une
société d'exportation, Landes, elle diffuse son moulin à
céréales, Turbofix, vers le Sénégal ».
L'expérience étant concluante, d'autres constructeurs comme Olby
(entreprise danoise) suivront cet exemple. En présentant ce contexte
historique, notre objectif est de montrer que les moulins sont le fruit d'un
emprunt. Comment ont-ils été introduits ? Quelles marques sont
installées ? Et comment fonctionnent-ils ?
a). Présentation et répartition des moulins
dans le département de Toma.
Les modalités d'introduction des moulins dans le
département de Toma sont diverses. On note parmi ceux qui opèrent
le transfert, des acteurs privés (commerçants, anciens
combattants), l'Etat et des ONG servant de relais aux groupements et
associations.
Le premier moulin à mil fut installé à
Toma en 1962 par Joseph Korpãn Karambiri, originaire de Nimina et
premier commerçant de Toma à ouvrir une boutique. Le second sera
introduit quelques années après (2 ou 3) par Saturnin Ki, un
ancien combattant entrant en retraite. Et aujourd'hui le nombre de moulins
à grains dans la ville de Toma est de 22 dont une dizaine en panne
depuis au moins un an.
Il faut remarquer que la catégorie sociale des deux
pionniers est d'une portée significative dans l'introduction des moulins
à Toma. Ils sont, l'un commerçant et l'autre ancien
65
combattant. Ce sont des gens qui ont un statut social imposant
à cause de leurs moyens financiers, du savoir nouveau acquis en dehors
du terroir san. Tout ceci leur confère un certain pouvoir dans la
société, mais surtout leur permet d'être des
innovateurs.
Le nombre total des moulins dans le département est de
57 dont 35 dans les villages environnants, 45 moulins privés et 12
appartenant aux groupements villageois féminins (GVF). Le tableau
suivant donne une idée de la répartition par village et de leur
état actuel de fonctionnement.
Tableau 6: Répartition des moulins du
département de Toma par village.
Villages
|
Population Nombre de moulins Moulins
moulins individuels GVF
|
Etat actuel
|
Fonctionnel
|
En Panne
|
1. Goa
|
436
|
2
|
2
|
0
|
2
|
0
|
2. Goussi
|
425
|
1
|
1
|
0
|
1
|
0
|
3. Koin*
|
2 812
|
5
|
4
|
1
|
3
|
2
|
4. Kolan
|
791
|
3
|
2
|
1
|
2
|
1
|
5. Konti
|
275
|
2
|
2
|
0
|
2
|
0
|
6. Nièmè*
|
555
|
2
|
1
|
1
|
2
|
0
|
7. Nyon
|
485
|
1
|
1
|
0
|
1
|
0
|
8. Pankélé
|
1 357
|
3
|
2
|
1
|
2
|
1
|
9. Sawa*
|
710
|
2
|
1
|
1
|
2
|
0
|
10. Sien*
|
655
|
2
|
0
|
2
|
1
|
1
|
11. Sièpa
|
687
|
1
|
1
|
0
|
1
|
0
|
12. To
|
1 294
|
4
|
3
|
1
|
3
|
1
|
13. Toma*
|
8 992
|
22
|
19
|
3
|
12
|
10
|
14. Zouma*
|
2 425
|
7
|
6
|
1
|
5
|
2
|
15. Raotenga
|
219
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
16.Semba
|
368
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
17.Yayo
|
127
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
Total
|
22 613
|
57
|
45
|
12
|
39
|
18
|
*. Villages où nous avons mené nos
enquêtes.
Source : Perception de Toma.
Comme on peut le constater sur ce tableau, le nombre de
moulins serait largement suffisant dans le département de Toma n'eussent
été leurs pannes fréquentes. Toutes les femmes
interrogées se plaignent de cette situation. Lorsqu'on considère
le cas de chaque village, on constate que 11sur 17 ont plus d'un moulin alors
que la moitié atteignent à peine 600 habitants. Or selon les
études de Treillon (1992 : 18) il faudrait une population minimale de
1200 habitants
66
pour qu'un moulin soit rentable dans un village. De plus,
selon Lemonnier (1991 : 97) ces moulins motorisés (qu'ils soient
à meules ou à marteaux) ont des capacités horaires
théoriques de 100 à 150 kg. On pourrait à la limite dire,
sauf pour les plus gros villages, qu'un moulin en bon état est suffisant
par village.
L'implantation des moulins connaît un succès dans
le département pour plusieurs raisons : d'un point de vue
économique et financier (il fait l'affaire des commerçants), du
point de vue de l'allègement de la fatigue des femmes et sous
l'influence de l'Etat et des ONG.14 Cependant, les habitants de
Raotenga, Semba et Yayo n'ont pas encore accès à cette nouvelle
technologie ; et s'ils y ont accès, ils devront se rendre dans les
villages voisins pour la mouture de leurs céréales.
Quant à l'état actuel des moulins, on note que
18 sur 57 moulins (soit 31,6%) sont en panne depuis au moins un an. Sur ces 18
moulins en panne six (6), sont des moulins GVF et douze (12) des moulins
individuels. Le tiers (1/3) de l'ensemble des moulins en panne est ainsi
constitué de moulins GVF. A considérer chaque catégorie
(moulins GVF et moulins individuels) à part, on remarque que sur
l'ensemble des moulins individuels (45) douze (12) sont en panne, soit 26,67%,
tandis que la moitié (50%) des moulins GVF n'est pas fonctionnelle
depuis au moins un an. L'écart qui s'élève à 23,33%
est important et donne à réfléchir. Pourquoi la
moitié des moulins GVF sont-ils en panne ? Et pourquoi, en terme de
pourcentage, y a-t-il plus de moulins communautaires que de moulins individuels
en panne ? Nous attribuons cette situation au problème de la gestion
collective des moulins par les femmes et au sens du bien commun. Mais la marque
des moulins et des moteurs est à prendre également en compte.
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