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Les technologies appropriées en zone rurale : cas du moulin à  grains dans le département de Toma au Burkina Faso.

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par Jean Paulin KI
Université catholique d'Afrique Centrale Yaoundé - Maà®trise en sciences sociales 2000
  

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b). Instruments et techniques de mouture.

Dans le département de Toma, comme dans tout le pays san, ce sont les femmes qui ont la maîtrise des techniques et technologies de mouture. La mouture des grains s'insère dans la grande chaîne de transformation alimentaire qui commence par la séparation des graines des épis, se poursuit par le décorticage, le séchage, la mouture et se termine par la préparation de la pâte de mil. Au pays san, broyer le grain est l'une des tâches principales assignées à la femme dans sa fonction de ménagère chargée de la cuisine. La meule est l'outil principal auquel est associé le mortier à pilon. Divers instruments sont utilisés à chacune des étapes de la transformation alimentaire.

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+ Le mortier et le pilon (cf. photo n°2)

Le mortier et le pilon sont des instruments en bois taillé fabriqués et vendus généralement par des artisans du village. Mortiers et pilons sont de tailles variables en pays san pour des questions de commodité. Mais leur usage exige de la femme, comme première technique, la stature droite du corps. Il faut remarquer que si ces instruments servent essentiellement pour le décorticage et le pilage chez les femmes sanan, ils sont très rarement utilisés pour la mouture du mil. Les femmes font le broyage des céréales au mortier lorsqu'elles ont du maïs ou lorsqu'elles veulent préparer des galettes de mil. La technique de mouture au mortier est utilisée surtout par les Peuls dans le département de Toma.

Comment se passe généralement l'opération de pilage ? Bien souvent les femmes se mettent en groupe pour le pilage et le décorticage. A tour de rôle et selon une certaine cadence, rythmant et accélérant ainsi l'action de piler, chaque femme lève et fait descendre son pilon dans le mortier. Parfois des claquements de doigts au contact du pilon accompagnent cette activité. De temps en temps une femme lance son pilon en l'air et le rattrape sans casser le rythme de pilage.

Mais, le pilon et le mortier exigent de la femme, pour leur maniement, de l'énergie et ont une incidence sur son physique. Ces outils de travail laissent leur marque sur les paumes des femmes qui se durcissent et forment des cals.

Signalons enfin que dans la culture san, le pilon remplit d'autres fonctions que celle de piler. Nous savons par exemple qu'en cas de profanation de la brousse12 par un acte sexuel, dont le manque prolongé de pluies est supposé en être la conséquence, les rites religieux de réparation nécessitent une reprise symbolique et publique de l'acte sexuel par les coupables qu'on fouette. A défaut des intéressés, les Sanan juxtaposent deux pilons. Ceci explique que les Sanan attribuent un symbolisme au pilon à partir de sa forme qui renvoie au phallus.

12 Les Sanan considèrent que la brousse est sacrée.

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Photo 2: Pilon et mortier

Photo Jn. P. Ki. Toma, le 21/8/1999

+ La meule en pierre. (cf. photos N°3 et 4)

Du point de vue des femmes lors de nos enquêtes, la meule en granite telle qu'elle existe de nos jours encore dans le département, fait elle-même l'objet d'une importation depuis les régions de Kiembara (environ 60 km au nord de Toma) et de Dédougou (90 km à l'ouest de Toma). Avant la pierre en granite, existait la latérite taillée. Celle-ci avait pour inconvénient majeur de s'effriter rapidement et de rougir la farine de mil. On trouve encore des restes de ces pierres taillées dans certaines concessions. L'avantage du granite c'est sa résistance.

La meule de granite se compose de deux éléments : une partie principale, gii dan, la "meule-mère", de forme rectangulaire (environ 45 cm sur 30 à 35 cm) fixée à peu près à hauteur de 80 à 90 cm du sol sur une élévation en terre battue, et une partie secondaire, gii né, la "meule-fille", (une barre de granite de longueur à peu près égale à la largeur de la meule-mère)

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que la femme promène à la surface de la « meule-mère » dans un mouvement de va-et-vient en exerçant une pression sur les grains pour les écraser. Disons qu'il s'agit d'une meule et d'un broyeur.

Ici, la femme adopte une position courbée et appuie de toutes ses forces sur la "meule-fille". De temps en temps elle dépose sur la « meule-mère » quelques grains à l'aide d'une main pendant que l'autre continue de remuer la « meule-fille ». Le broyage des céréales est une opération longue et pénible durant laquelle la femme fait des pauses pour reprendre son souffle.

Photo 3: Meules « mère » et « fille » Photo 4: Mouture du mil.

Photos Jn. P. Ki. Toma, le 13/1/2000.

Les Sanan établissent un rapport de filiation entre la meule et le broyeur. D'où les termes « meule-mère » et « meule-fille » qui ont une signification symbolique. Ce symbolisme est celui de la reproduction. En san, le mot gii donné à la meule signifie aussi « multiplier, devenir beaucoup, germer ». En outre, la position du broyeur par rapport à la meule rappelle l'enfant au dos de sa mère.

+ Le balai et le tamis

A proprement parler, le tamis, tèmè, n'est pas un instrument de mouture, mais il intervient aussitôt après la mouture pour tamiser la farine obtenue et la débarrasser de la balle ou d'éventuelles fourmis attirées par la farine et le mil. Pendant et à la fin de la mouture, la femme utilise régulièrement un petit balai, gii mèsè, pour rassembler les grains dispersés et le restant de farine.

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+ Le totoarè, instrument d'habillage de la meule.

Le totoarè est une sorte de poinçon emmanchée servant à donner à la meule et à la meulette une surface rugueuse afin de faciliter l'écrasement des grains. Le totoarè est un instrument indispensable à toute femme qui dispose d'une meule, car son utilisation est régulière. De plus, la femme se repose mieux si la meule est bien poinçonnée. L'usage du totoarè exige une grande adresse et un savoir-faire. En effet si la surface de la meule devient trop granuleuse, elle n'écrase pas bien ; de même que si elle est trop lisse. L'habillage des meules métalliques des moulins, qui consiste à entailler leurs surfaces travaillantes d'une série de rayons, peut être rapproché de cette technique locale du pays san.

Photo 5. Femme san poinçonnant la meulette avec un totoarè

Photo Jn. P. Ki, Toma, le 13/1/2000

Ces instruments et ces techniques qui constituent une partie de la culture matérielle des Sanan se trouvent aujourd'hui sanctionnés par la révolution du moulin, et sont mis au rebut en l'espace de dix ans. Dans certaines familles, on n'y recourt que quand le moulin est en panne ; mais dans d'autres familles, les meules n'existent plus. L'usage optimal de tous ces instruments nécessite certaines techniques du corps auxquelles le socio-anthropologue doit s'intéresser.

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+ Des techniques du corps

Nous limiter à une classification des formes d'outils n'aurait pas une pertinence anthropologique. Car comme le dit Leroi-Gourhan (1965 : 35) « l'outil n'est réellement que dans le geste qui le rend efficace ». Les méthodes de transformation alimentaire relèvent de tout un art chez les femmes sanan. Autrefois, dans certaines concessions, un grand vestibule (à l'entrée) servait d'espace commun à l'édification des meules individuelles des femmes desdites concessions. Selon le nombre de femmes, on trouvait (même aujourd'hui encore) un alignement de meules allant parfois jusqu'à huit (Cf. Annexe 4.2). Ces vestibules étaient le lieu par excellence où les femmes fredonnaient seules quelques chansons populaires et où les cantatrices pouvaient avoir quelque inspiration pour des prestations publiques ultérieures. Lorsque les femmes se retrouvaient nombreuses au même moment, on assistait parfois à un véritable concert composé de chants, scandés de "yililili"13, traitant directement ou indirectement d'actualité, de la condition féminine ou visant une personne particulière. Nous pensons que ce plaisir lié au travail de mouture soulageait, comme pour le pilage, la peine y afférant. En effet malgré l'humeur joyeuse des femmes, toute l'activité s'accompagne de grosses gouttes de sueur et se solde avec le temps par le durcissement des paumes en une forme de cancérisation.

Dans cette activité de mouture, langage et geste s'harmonisent pour créer un rythme rendant l'exercice agréable. Les reprises de refrains en choeur par les femmes donnent à cette activité toute sa dimension sociale. Il y a lieu de rappeler ici avec Mauss (1950 :372) que « le corps est le premier et le plus naturel instrument de l'homme. Ou plus exactement, sans parler d'instrument, le premier et le plus naturel objet technique, et en même temps moyen technique, de l'homme, c'est son corps ». Le corps humain est la mesure de tout, c'est pourquoi nous lui accorderons une place dans l'analyse de l'impact du moulin sur les femmes au chapitre 4.

Nous récapitulons ces quelques indications en précisant que la présentation des technologies locales de mouture des céréales trouve son intérêt dans la problématique de la technologie culturelle. Chaque société fabrique les instruments en fonction de ses besoins et de son environnement. Les formes, les modes d'utilisations et les symbolismes de ces instruments sont l'expression de la culture de cette société.

13 Au pays san le yililili est un cri d'acclamation que seul les femmes poussent à certaines occasions pour encourager l'auteur d'une action, d'un discours, d'un chant, etc. pour manifester leur satisfaction. Le yililili est une technique de remuement de la langue dans le sens transversal (de gauche à droite) de la bouche. Un yililili bien prononcé s'entend au moins à 200 mètres.

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Cette section nous a permis de mettre en relief la catégorie sociale qui, dès les origines mythiques, fait de la mouture des céréales, sa part dans la division sociale et sexuelle du travail. Les techniques du corps accompagnant le maniement des outils montrent l'importance de la dimension corporelle dans toute activité humaine. Loin d'être figées, ces techniques changent et s'adaptent à l'environnement technologique. Ainsi en sera-t-il au sujet des moulins dans le département de Toma.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery