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Les technologies appropriées en zone rurale : cas du moulin à  grains dans le département de Toma au Burkina Faso.

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par Jean Paulin KI
Université catholique d'Afrique Centrale Yaoundé - Maà®trise en sciences sociales 2000
  

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Conclusion partielle.

Tel se présente le site de notre étude : un milieu essentiellement rural. Les conditions climatiques défavorables influent sur la végétation et la pluviométrie, rendant ainsi le milieu naturel rude pour la population dont l'activité est totalement agricole. En effet, les habitants du département de Toma luttent pour produire, conserver et transformer les produits de leurs champs avec des moyens technologiques assez rudimentaires. L'apport de certaines technologies appropriées (charrettes, culture attelée, moulins...) et d'infrastructures de développement reste un appui important pour les populations.

La problématique sous-jacente à ce chapitre est celle du rapport entre milieu et technique ou entre milieu et innovation technologique. Toute innovation technologique est fonction du milieu géographique comme du milieu social. Et tout apport de technologies nouvelles dans un milieu vise à opérer un changement significatif. Dans la mesure où notre étude s'inscrit dans cette ligne, il importe d'abord de tenir compte de ce milieu pour mieux évaluer les incidences de l'innovation en matière de moulins à grains. Comme le fait remarquer Guy Rocher (1968 : 57), « On ne peut apprécier l'influence réelle de la technologie sans tenir compte du contexte culturel où elle se trouve...elle (la technologie) relève en même temps du monde des choses et de l'univers de la pensée, des attitudes et des valeurs ».

La présentation de la société san, dans le contexte de l'étude des technologies appropriées, a son intérêt dans la dynamique du rapport technologie et société. Les technologies importées trouvent en place une structuration sociale sur laquelle elles auront un impact :

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l'organisation économique et politique, les rapports de parenté, les rapports de genre en lien avec la division sexuelle du travail, les places et les rôles sociaux en seront affectés. La technologie nouvelle ne sera appropriée que lorsqu'elle aura pris place au coeur de cette structuration sociale.

Le prochain chapitre nous présente les différentes techniques et technologies de mouture des céréales du département de Toma.

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CHAPITRE 3 : TECHNIQUES ET TECHNOLOGIES DE
MOUTURE DES CEREALES

Le présent chapitre analyse le passage d'une technologie à une autre dans le département de Toma. Il s'agit de la technique de mouture traditionnelle à la meule dormante, puis de celle avec le moulin motorisé. Nous accordons une importance particulière à cette évolution, car elle nous permet de comprendre, à travers une analyse dynamique, les changements intervenus. Cette présentation s'articule autour de quatre points : Les techniques et technologies anciennes, les moulins comme technologies nouvelles, le système de mouture et les représentations sociales autour du moulin.

1. LES TECHNIQUES ET TECHNOLOGIES ANCIENNES DE MOUTURE.

La mouture des céréales en pays san, comme chez beaucoup de peuples dans le monde, s'est faite bien longtemps avant l'arrivée du moulin grâce à des outils technologiques tirés de l'environnement immédiat et du génie créateur du peuple san. Chez les Sanan on trouve la meule en pierre accompagnée d'autres instruments ménagers destinés aux transformations alimentaires tels que le pilon, le mortier et le tamis. Ces instruments sont surtout maniés par les femmes à qui revient l'art de la préparation alimentaire. L'intérêt de ce chapitre par rapport à notre problématique, c'est de nous permettre de mieux évaluer l'impact du moulin dans la condition de vie des femmes du département de Toma. Nous pensons en effet que c'est en partant des technologies existantes que nous pouvons mieux évaluer l'apport de celles qui sont importées.

a). Les origines de la technique de mouture des grains chez les Sanan.

L'usage de la pierre par l'homme remonte à l'antiquité. Première trouvaille technologique de l'homme, la pierre, surtout le silex et le granite, s'est montrée depuis lors efficace. "Il semble, dit l'historien et archéologue Posnansky (1987 : 507), que les minerais extraits étaient broyés au moyen de pilons de pierre". Il serait très difficile de dresser un listing des différents usages de la pierre. Mais pour le sujet qui nous concerne, il reste clair toujours selon le même archéologue

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que "la pierre était presque certainement extraite à des fins variées, la plus importante étant la fabrication d'outils de pierre polie et de meules. De nombreuses sociétés utilisaient des meules dormantes et portaient leurs graines jusqu'à un affleurement rocheux où elles pouvaient à la fois faire sécher leurs provisions et moudre des graines ou broyer des aliments végétaux". La pierre est donc très importante dans l'histoire alimentaire des hommes.

A la suite des historiens de la technologie qui ont tenté de trouver les origines de la technologie dans les mythes des divinités grecques, nous nous sommes intéressé aux mythes sur la mouture des grains chez les Sanan. Deux récits existent.

+ Premier récit.

Le récit suivant nous a été livré par une femme de Koin.

"Un jour, un chasseur alla trouver un génie en train de moudre du grain sur du granite. Il resta à l'observer. A son retour au village, il en parla à son père. Celui-ci lui dit de prendre prochainement son courage à deux mains pour mieux l'observer. Le lendemain, le chasseur s'enquit de la mouture et de ses raisons auprès du génie. Le génie lui posa alors cette question : "Vous les Sanan, vous ne connaissez pas cela ? Et il lui expliqua : "Quand on pile le mil, on l'écrase pour pouvoir le préparer en pâte". De retour à la maison, le chasseur raconta à son père tout ce qu'il avait vu et ce que le génie lui avait dit. Ils décidèrent alors d'en faire pareillement. Depuis ce temps, les Sanan savent moudre et préparer la pâte de mil."10

+ Deuxième récit.

Ce récit nous a été fourni par un homme de Toma. Il commence ainsi :

"Autrefois les Sanan ne connaissaient pas le wu (pâte à base de farine de mil) et mangeaient le mil bouilli. Un jour, une femme partit en brousse pour chercher des légumes. Elle eut soif. Elle entra chez des génies et en trouva un. Elle lui demanda de l'eau à boire. Le génie lui dit de s'asseoir. Elle s'assit. Entre temps arrivèrent de leur promenade les enfants du génie qui trouvèrent la femme. Ceux-ci demandèrent à leur mère de leur donner à manger. Elle leur dit de patienter le temps d'écraser des grains de mil. Alors elle prit les grains, les déposa entre deux pierres et les écrasa. Elle ramassa la farine obtenue, fit du feu et versa la farine dans la marmite quand l'eau bouillit. Elle malaxa ensuite la farine avec une spatule pour obtenir une

10 Récit recueilli le 3/01/00 à Koin.

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pâte. Lorsque la pâte atteignit un degré suffisant de cuisson, elle l'enleva et fit des parts qu'elle donna à ses enfants et à la femme san qui en mangea. Celle-ci trouva que c'était bon. De retour à la maison, la femme imita le génie en écrasant le mil et en le préparant. Depuis ce temps, les Sanan connaissent la pâte de mil"11.

Si l'origine de la technologie ne se trouve pas dans la mythologie mais plutôt les besoins de l'homme en face d'un environnement à transformer, le mythe peut au moins aider à comprendre comment les hommes et les sociétés se représentent la technologie à travers leurs systèmes de valeurs et l'intègrent dans leurs comportements et leurs attitudes. L'analyse de ces deux récits semblables et dissemblables en quelques aspects nous conduit à dire que si la source de certains savoirs peut se trouver en dehors du groupe social, ici le groupe san, ces mêmes savoirs techniques peuvent faire l'objet d'un apprentissage et surtout d'un emprunt, selon la théorie diffusionniste. A travers ces deux mythes, il nous apparaît clairement que les Sanan tentent d'expliquer non seulement l'origine de la mouture des grains et de leur préparation en pâte, mais encore comment se fonde leur culture technologique. Dans ces récits, les instruments techniques sont la pierre, le feu, la marmite (ou le canari), le mortier et le pilon. Les acteurs sont les génies et les humains représentés par le chasseur, son père et la femme. Le cadre de la rencontre entre ces acteurs est le cadre familial des génies si on fait référence aux enfants du génie dont le second récit parle. La communication et l'observation semblent être la base de l'apprentissage et de l'imitation a posteriori. Enfin, l'adoption et l'appropriation sont la phase finale du processus d'apprentissage de l'art de la mouture et de la préparation culinaire, disons de toute innovation technologique : "Depuis ce temps" (sous-entendu jusqu'à nos jours) les Sanan savent faire... En définitive, ces mythes posent le problème de l'innovation technologique en pays san. La forme de l'innovation ici n'est pas l'invention du nouveau au sein du milieu social technique lui-même, mais l'adoption d'un élément nouveau pris ailleurs, à un autre milieu technique. En cela l'innovation consiste en un enrichissement d'un savoir-faire culturel existant : le passage du mil bouilli à sa transformation en farine puis en pâte cuite avant de le manger.

Ces deux mythes ont une grande portée pour notre sujet. Ils s'appliquent très bien au contexte de l'introduction et de l'adoption des moulins comme processus d'emprunt d'une technologie nouvelle. Une analyse comparative des deux contextes nous permet de faire

11 Récit selon Sô Benoît Kossonguin né en 1931, recueilli le 12/01/2000.

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l'interprétation suivante : à l'instar du chasseur du premier mythe, quelqu'un est allé à l'aventure et a découvert une nouvelle technologie : le moulin. Beaucoup d'innovateurs sont, certes, ceux qui sont sortis de leur milieu quotidien de vie. Mais la découverte seule ne suffit pas. Pour que le moulin soit une technologie appropriée, adoptée dans la culture san, il faut bien observer et apprendre ; au besoin, retourner comme ce chasseur sur les lieux une seconde fois. C'est pourquoi le processus de l'innovation technologique, processus de diffusion et d'emprunt culturel, demande du temps et de la persévérance. Le moulin est venu. Les Sanan l'ont préféré à la meule de pierre. Depuis lors, les Sanan écrasent leurs grains au moulin pour la préparation des repas.

Mais le moulin n'est pas sans impact sur les femmes sanan (traditionnellement attelées à la mouture manuelle sur la pierre) ni même sur l'ensemble de leur région. C'est cet impact et le changement social apportés que ce travail veut étudier

Ces mythes nous invitent à présent à la présentation des technologies et techniques de mouture des grains dans le département de Toma.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard