II.4.6. Interprétation politique
Les destinateurs ou les lecteurs de cette forme de
communication l'interprète politiquement en y trouvant des
représentations des appartenances dont ils sont porteurs ou dont ils ont
le projet. La communication est, ce sens, véritablement une
sécularité politique, interpréter la communication, et, en
ce sens la communication politique est bien articulée au réel,
c'est l'inscrire dans son expérience politique, situer par rapport
à elle les stratégies et les choix qui fondent notre
identité d'acteur. Par ailleurs, l'écriture politique peut se
lire et se comprendre comme représentation symbolique du pouvoir : on
peut y lire une mise en scène rhétorique de l'exercice du
pouvoir, et, dans ces conditions, l'interprétation politique du discours
consiste à en reconnaître la légitimité, ou, au
contraire, à ignorer ou à s'en distancier :
interprété, c'est adopter une posture d'acteur dans l'espace
public. L'interprétation politique de cette communication est donc,
finalement, le choix d'une pratique par rapport à elle.
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C'est que l'interprétation de la communication
articule entre eux le fait symbolique et le fait institutionnel : il s'agit,
pour ses destinataires ou pour ceux qui l'analysent, de comprendre comment la
communication engage une dynamique institutionnelle. Interpréter une
proclamation électorale, c'est, ainsi, choisir, par rapport à
elle, le choix électoral que l'on va faire ce décider quelle
pratique politique on va adopter en tant qu'électeur. De la même
manière, avoir une interprétation politique d'un livre ou d'un
film, c'est comprendre quelle pratique, voire quel militarisme, il peut
inspirer ou représenter.
Mais l'interprétation politique consiste
surtout à identifier la représentation des choix et des
orientations idéologiques et politiques : il s'agit, en fin de compte,
de penser le discours comme mise en scène symbolique d'un engagement,
c'est-à-dire de connaître l'identité politique du discours,
et, en en prenant connaissance, de ce situer politiquement par rapport à
lui, de formuler par rapport à lui l'identité politique dont on
est porteur, soit qu'on le rejette. L'interprétation politique consiste,
finalement, à se faire soi-même acteur politique à partir
de la rencontre d'un discours ou d'une représentation.
II.4.7. Interprétation historique
L'interprétation historique de la communication
politique engage un autre type d'identité que les autres : elle institue
les identités symboliques dans le temps. Cela signifie qu'au lieu de
situer la communication politique dans l'action, comme l'interprétation
politique, elle la situe à une certaine distance par rapport au
présent, elle mesure le regard éloigné dans l'histoire,
en, en connaissant les différences qui fondent la singularité
historique d'une situation politique et qui empêche toute identification
de cette situation à une autre.
L'interprétation du discours politique fait le
signifiant d'une temps, d'un moment, ou d'une situation : elle en
définit les références (en l'occurrence
l'après-guerre et le temps de la reconstruction politique de la RDC), en
rendant intelligibles les faits qui les séparent des engagements de
discours d'une époque différente. L'interprétation
historique du discours de
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L. D. KABILA consiste en ce sens, à le penser
par rapport aux enjeux de la libération, pour montrer en quoi,
justement, un tel discours n'est pas pensable aujourd'hui.
L'interprétation historique de la communication politique montre que
celle-ci est nécessairement située, qu'il n'est de discours
politique que dans une situation particulière, et qu'un discours lu
à une autre époque que celle pour laquelle il a été
écrit ne peut plus être lu comme un discours politique. Il y a une
historicité du discours politique, qui empêche qu'il puisse
changer de situation, changer d'enjeux, changer d'époque.
En effet, les identités politiques qui
s'expriment dans le discours sont elles-mêmes construites dans
l'histoire. Dialectisation symbolique de la relation entre la
vérité d'un sujet singulier et la dimension politique de l'espace
public dans lequel il se situe, l'identité est nécessairement
ancrée dans l'histoire : l'identité politique ne peut se anser en
dehors des engagements réels, présents, dont elle se
soutient.
En effet, le discours politique est
nécessairement un discours d'acteur. On peut s'identifier symboliquement
à un personnage de roman quel que soit l'époque et le lieu
où il a été écrit, car c'est l'affaire de chaque
lecteur, en fonction des désirs dont il est porteur, de construire
symboliquement son identité par rapport à celle qui sont
construites dans l'écriture. En revanche, les identités en cause
dans la communication sont des identités d'acteurs, des identités
d'engagement, et, par conséquent, elles n'ont des pertinence qu'hic et
nuc : elle ne peuvent se penser que par rapport aux enjeux de
réalité qui les fondent, qui sont, eux comme toute
réalité, situés dans le temps et dans
l'espace.
L'histoire est dans ces conditions, une
référence explicative du discours politique : elle n'est pas
seulement une donnée qui permet de le situer, de le dater, elle
identifie aussi les enjeux et les orientations qui lui confèrent sa
légitimité. Toute forme de communication politique répond
à une certaine urgence, c'est-à-dire à une historique qui
fonde le droit dont elle se soutient, et qui permet de penser l'adhésion
aux idées et aux engagements q'elle propose. L'urgence de la
communication politique tient à ce qu'elle somme ses destinataires de
prendre parti par rapport à elle dans le
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moment même où elle est
énoncée, dans l'hic et nunc qui la définit, elle, comme
forme significative de communication, et qui les définissent, eux, comme
acteurs politiques. Pour que puisse s'instaurer le miroir symbolique fondateur
des identités politiques, encore faut-il que les identités qu'il
construit puissent se situer par rapport à la vérité et
à l'enjeu d'une référence construite dans
l'histoire.
L'histoire, pour la communication politique, en ce
sens, n'a sans doute qu'un temps : le présent. C'est toujours dans le
présent d'une situation réelle que l'on se situe dans la
communication politique ; son enjeu ne saurait être un simple savoir sur
un monde ou sur une subjectivité, comme c'est le cas de la communication
historique ou de la communication littéraire. L'enjeu de la
communication politique ne saurait être que la relation au pouvoir et au
lien social de ceux qui la conçoivent ou de ceux qui à qui elle
est destinée. C'est pourquoi la communication politique se pense
forcément pour des destinataires, eux-mêmes situés dans
l'histoire : elle ne se conçoit pas pour des destinataires
idéaux, puisqu'elle est toujours conçue, pour des destinataires
engagés dans l'histoire par des énonciateurs qui s'y pensent
eux-mêmes engagés. C'est le sens de l'idée selon laquelle
le miroir du politique est nécessairement un miroir
d'acteurs.
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