II.4.2. L'interprétation et la reconnaissance du
discours politique
L'élucidation de la signification du discours
politique consiste, ainsi, à établir le rapport entre sa lettre,
les signifiants dont il est et le réel de la situation dans lequel il
est énoncé. Interpréter le discours politique, en ce sens,
c'est le situer, c'est faire apparaître les stratégies d'acteurs
et les stratégies institutionnelles qui lui donnent sa consistance. En
ce sens, la rationalisation de ce discours consiste dans l'évaluation de
la prise qu'il peut avoir sur le réel, c'est-à-dire de sa
capacité à en susciter le fait institutionnel : à susciter
l'émergence du réel d'une sociabilité (adhésion,
par
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exemple, de ses destinataires à une forme
nouvelle d'appartenance politique).
C'est, par ailleurs, toute interprétation
politique d'un discours ou d'un événement qui fait de lui un
discours ou un acte politique. Tout discours, tout geste, peut devenir
politique, s'il suscite de l'adhésion ou s'il est à l'origine
d'un processus de constitution ou de transformation des identités
politiques. C'est ainsi que l'on peut reconnaître, après coup,
comme politique à une manifestation ou à une activité
collective qui a pour conséquence un changement de régime, une
évolution des formes de la sociabilité ou encore l'expression
d'une opinion collective sur la société, même sans qu'elle
l'ait recherché explicitement.
II.4.3. Les dimensions du discours politique
La communication politique consiste donc d'abord dans
l'incitation à un faire collectif : il s'agit, à la fois, de
proposer une action, c'est-à-dire d'articuler le discours à une
transformation ou à une évolution du réel, et de susciter
un fait collectif, c'est-à-dire de donner à ses auditeurs,
à ses spectateurs ou à ses lecteurs la dimension collective d'une
appartenance commune, de les inscrire dans ce que l'on peut appeler une
institutionnalité, c'est-à-dire dans un mouvement social qui
engage ceux qui en font partie dans une action collective commune. En appelant,
ainsi, à l'action collective, la communication politique donne à
ses destinataires une identité collective commune en fondant cette
identité sur des enjeux en lesquels ils puissent reconnaître une
solidarité et des enjeux communs de nature à susciter une
appartenance et à construire un fait institutionnel.
La communication politique vise la construction
symbolique d'une identité politique collective : cela par le fait
d'apprendre à ses destinataires à reconnaître les enjeux et
les intérêts communs qui peuvent pour eux, fonder une
identité collective et une appartenance sociale. Pour appeler à
une action commune, encore faut-il donner le sentiment de logiques communes,
encore faut-il donner quelque chose à partager, pour qu'à partir
de là, se forme une conscience sociale et une identité commune et
pour que se formule un commun idéal politique à rechercher dans
l'action collective. Pas
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d'action politique collective qui ne se soutienne
d'une identité commune, qui, elle-même, ne peut se fonder que sur
un horizon à partager. Là réside, sans doute, la
différence majeure qui sépare la communication intersubjective et
la communication politique, qui ne consiste pas seulement dans une
identification symbolique, dans la formation de l'image de l'autre dans le
miroir symbolique, mais qui repose aussi sur la formation d'une identité
collective partagée avec l'autre, fondée sur le réel d'une
situation commune. En ce sens, la communication politique se fonde toujours,
nécessairement, sur un engagement effectif, et les identités
politiques toujours sur des pratiques réelles, et ne saurait, par
conséquent, se limiter à un miroir.
Si l'interprétation du discours politique
consiste à faire apparaître le réel dont il se soutient,
l'interprétation politique des actes et des stratégies des
acteurs sociaux consiste à faire apparaître l'articulation qu'ils
proposent entre le réel et le symbolique. Ainsi, avec l'importance
grandissante qu'a prise l'information audiovisuelle dans la communication
politique, les gestes les plus insignifiants des hommes politiques ou leur
« petites phrases » ont fini par prendre une consistance importante,
en ce qu'ils sont toujours articulé à leurs orientations,
à leurs pratiques, à leurs choix et, de façon
générale, à leur activité institutionnelle. La
communication politique articule les discours des acteurs à leurs
stratégies, pour construire leur signification et la faire
apparaître dans l'information qu'elle diffuse. Mais élaborer
des
stratégies politiques, c'est justement donner
aux actes et aux décisions eux-mêmes, en dehors de leur effet
sur le réel et sur les situations, une dimension symbolique qui les rend
interprétables. L'essor récent de la communication politique est
lié au développement de l'audiovisuel et, par conséquent,
à la visibilité de la politique par l'image, qui lui donne la
consistance d'un spectacle, ce qui d'ailleurs, ne fait que prolonger une
situation ancienne qui, auparavant en Europe, n'était pas liée
à l'audiovisuel mais à l'image (gravures et images) ou, plus
simplement à l'existence des foules entières qui venaient
assister au spectacle. Mais cette importance de la visibilité du geste
dans la communication politique tien, justement, au fait qu'elle met en
évidence la relation nécessaire entre l'acte et
l'interprétation politique l'on peut lui donner.
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