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Contribution à  l'étude des origines de la poésie mallarméenne

( Télécharger le fichier original )
par Mohamed Dr Sellam
Université de Bordeaux - Doctorat 1981
  

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XI

Les sentiments de la nature.

Plus que la pénétration et l'exploitation profonde du subconscient de l'être,plus que les préoccupations métaphysiques ou les recherches épuisantes d'un idéal impossible,l'attachement au mystère de la nature est un des principaux objectifs de la poésie mallarméenne.

La nature au sein de laquelle se baigne l'individu,se révéla pour Mallarmé dès son enfance comme le thème essentiel et réel autour duquel s'est élevée la conception poétique mallarméenne..Car,il n'y a que dans la nature que l'on puisse chercher et trouver l'extase et la béatitude,si nécessaire à l'inspiration poétique..

Ce sentiment de béatitude,d'épanouissement psychique et d'enthousiasme exubérant s'affirme et ne se réalise en profondeur qu'au sein de la vraie nature.

Emplis ton esprit d'azur..

Cette injonction hardie de Th.de Banville traduit nécessairement l'ivresse et la griserie que l'on éprouve au sepectacle de la nature,qui est le réceptacle de nos sentiments et de nos aspirations,provoquant ainsi l'éclosion du génie et nul poéte,quelle qu'en soit sa tendance,ne peut rester insensible à l'envoûtement de la belle nature ,comme A..Breton le souligne encore avec beaucoup d'assurance et de fermeté:

C'est l'azur.Tu n'as rien à craindre de l'azur.

La magie secrète qui se fait lentement dans les entrailles de la nature..cette exaltation infinie,ce débordement euphorique que nul n'ose arrêter:tout cela est accompli par la volonté divine,par cette puissance céleste que l'on entrevoit à travers chaque souffle de vent,chaque bestiole infime,chaque brindille et chaque chétive plante..

A l'heure oû ce bois d'or et de cendres se teinte

Une fête s'exalte en la feuillée éteinte!

Etna!c'est parmi toi visité de Venus

Sur ta lave posant ses pieds ingénus,

Quand comme un somme triste oû s'épuise la flamme;

La nature ne s'éteint pas...elle n'expire jamais..elle renaît perpétuellement de ses cendres,plus vivace et plus ardente encore..La nature,pour le poéte de «L'après-midi d'un Faune » est la source authentique de toute ardeur et de toute effervescence juvénile..C'est de la nature qu'émane notre allégresse ou notre chagrin..

Les tilleuls sentent bon s dans les bons bois de juin

L'air est parfois est si doux,qu'on ferme la paupière.

C'est le parfum de la douce,de l'agréable nature..et Rimbaud,peut-être plus que Mallarmé,avait savouré,durant ses longues randonnées nocturnes et forestières,ce charme émouvant de la nature embaumée..Tout s'épanouit,tout s'exulte et tout s'arrache à son inertie,lorsque la nature,émue et émouvante,se répand dans l'espace infini.

La bête épanouie et la vivante flore.

Ainsi,à la fois par son influence impérieuse et impérative,par ses profondeurs insondables et infiniment grandioses,la nature s'impose de force,au point que tout jeune poéte ,même dés le commencement de sa vie,tel que Mallarmé,se sentait charmé,attiré et séduit malgré lui par le sortilège de la nature..son attachement précoce pour cette dernière s'expliquerait alors par les phénomènes d'ordre et de désordre,inhérents au prestige et à la grandeur immense de la nature..

  Rameaux!Forêts!Silence,

O mes amours d'enfance!

..............................

O champs pleins de silence

O mon heureuse enfance

Avait des jours encor

Tout filés d'or!

L'enfance s'inquiéte et se réjouit en face de la nature...le spectacle qui s'offrirait à elle s'incruste tout à fait dans sa mémoire pour émerger plus tard ,en pleine période de maturité et de profonde conscience..

De fait le charme de la nature ,sa magie majestueuse,bouleversent et émeuvent prématurément l'esprit d'un enfant..

J'ai embrassé l'aube d'été.

De plus,la nature exerce des effets profonds et inépuisables sur l'esprit,elle suscite de nouvelles visions des choses et provoque même des délires exaltants,dus peut-être à ce désordre impénétrable ou bien même encore à cette beauté harmonieuse et éblouissante que l'on est amené parfois à découvrir dans la nature..

Le ciel creuse des trous entre les feuilles d'or.

Et cependant,la nature-à n'en pas douter-fait partie de notre propre être:Nous réunissons en notre sein un amalgame de tous les éléments de la nature,les plus neutres comme les plus bouleversants.Or l'association à ces éléments,leur rapprochement avec nos propres sentiments et même leur participation directe ou indirecte à l'épanouissement ou à l'extinction de ces sentiments est un fait réel et indubitable..

Mallarmé se sentait à l'aise,lorsque,de son appartement de la rue de Rome,il pouvait apercevoir des gens affairés,en débandade,et le soleil inondant sa chambre d'une clarté joyeuse,avec l'air qui charriait un effluve d'été,s'épanouissant avec une gaîté indescriptible..Mais en revanche,il se sentirait extrêmement mal à l'aise,comme pris sous l'empire du chagrin et de la morosité,si jamais il voyait que quelque chose dehors le contrariait:tels la pluie inopportune,un vent poussiéreux et un ciel sombre,accompagné d'une série d'éclats de tonnerre et d'orage,tout cela était de nature à offusquer la pensée du poète de « Divagations »,comme Leconte de Lisle semblait interpréter la portée dans cette belle strophe:

O mers,Ô bois songeurs,voix pieuse du monde

Vous m'avez répondu durant mes jours mauvais;

Vous avez apaisé ma tristesse inféconde

Et dans mon coeur aussi vous chantez à jamais.

Leconte de Lisle trouve la paix dans les profondeurs obscures de la forêt,fuyant le monde corrompu de la société moderne.Son exaltation est plus intense,plus profondes que celle des romantiques,qui avaient pourtant eu le don et le génie de fureter,de fouiller inlassablement dans le sein de la nature et d'en déceler les secrets les plus profonds..

Ainsi la nature apaise ou aggrave l'inquiétude du poéte et elle pourrait lui inspirer le calme,la pondération et la sagesse,comme elle pourrait aussi provoquer son indignation et son angoisse comme le disait déjà Baudelaire:

le ciel était charmant,la mer était unie;

Pour moi tout était noir et sanglant désormais..

Ce contraste frappant entre la nature joyeeuse et la douleur du poéte s'intensifie de plus en plus au contact de la réalité,d'une réalité implacable,enflammant à la fois son courroux et sa verve,à la vue de quelque spectacle de la nature meurtrie ou ravagée par la main de l'homme:paradoxalement,P.Reverdy en a été le seul témoin et le seul interpréte de cette nature qui avait longtemps enchanté le poéte de Hérodiade:

Rien derrière moi et rien devant

Dans ce vide oû je deescends

Quelques vifs courants d'air

Vont autour de moi

cruel et froids

Ce sont des portes qu'on a fermées

Sur des souvenirs encore inoubliés.

L'enfance ne garde plus rien des beaux souvenirs de cette nature décapitée et assassinée..Il n'en reste plus que le vide,le vide effroyable,et pourtant elle reste toujours sensible au parfum de ces lointains souvenirs si adorables.

La nature amputée,tourmentée cruellement par l'homme,avait déjà inspiré plus d'un poéte.

De nos jours la protection de la flore et de la faune,les mesures repressives,prises à l'encontre des destructeurs de la nature,jointes à la propagation des idées écologistes,pour la sauvegarder de toutes sortes de pollution :tout cela pourtant n'a rien donné et l'on est en droit de dire que la nature est en état d'agonie,premièrement sous l'effet d'une population toujours en croissance vertigineuse,deuxièmement suite à l'incurie et à l'indifférence de cette même population,qui ignore encore les bienfaits sur la santé des espaces propres,sains et verts;;

Nous n'irons plus au bois,les lauriers sont coupés.

Le départ de l'été et l'apparition de l'automne et de l'hiver,s'accompagnent parfois de l'angoisse métaphysique du poéte,qui aspire souvent à l'éden,à la joie terrestre et à la plénitude..Celui qui a exprimé le mieux ce désarroi psychique,c'est Baudelaire lui-même :

Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres

Adieu,vives clartés de nos étés trop courts!

................................

Tout l'hiver va rentrer dans mon être:colère,

haine,frisson,horreur,labeur dur et forcé!

La misère de l'âme,la terreur insidieuse et la mortelle anxiété,tout s'infiltre lentement dans les fibres du coeur du poéte..pour se laisser ensuite bercer mollement par le flux et reflux d'une nature en pleine fluctuation..Et Verlaine donna libre cours à son exaltation énivrante ,emporté sur les ailes de la volupté vers un univers inattendu :

Et je m'en vais

Au vent mauvais

qui m'emporte

Deci-delà

Pareil à la

feuille morte.

Le coeur meurtri et l'âme affligée de remords ,le poéte s'engage à la recherche d'une issue;il s'accroche à cette étincelle salvatrice qui commence déjà à poindre aux horizons lointains d'une autre vie:

Je partirai!Steamer balançant la mature

Lève l'ancre pour une exotique nature .

La quête d'un au-delà idéal,d'un paradis qui échappe toujours,d'un refuge de paix et de quiétude,cette quête,en dépit des poursuites acharnées,s'est avérée en fin de compte impossible...Et Mallarmé,face au problème de la vie,avait cependant redoublé d'efforts,pour saisir l'insaisissable et pénétrer l'impénétrable,et libérer des entraves du temps l'âme humaine,pour instaurer un climat d'optimisme et d'espérance infinie;

Mais morne et tourmentée,la nature,qui réflète les sentiments du poéte,enveloppe l'unviers d'un suaire de mélancolie et de deuil:

L'aube d'un jour sinistre a blanchi les hauteurs.!

Plus la nature est souriante,gaie,saine et transparente,plus le poéte se sent comme affranchi du poids des soucis de la vie et s'adonne plus passionément à l'amour et à l'exaltation des sens.Mais par contre,plus la nature est sombre,plus le poéte est triste:tel que ce poéte- enfant qui,dans sa désolation,égaré dans les méandres de la vie,lance son dernier cri à la nature lugubre:

Mais,vrai,j'ai trop pleuré.Les aubes sont navrantes

Toute lune est atroce et tout soleil est amer.

Or,Mallarmé,poéte avant tout visionnaire,avait pénétré dans les profondeurs intimes de la nature et il en avait plus qu'aucun autre compris les mystères..alors que ses contemporains ne se sont penchés sur la nature que pour l'associer à leurs sentiments..

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"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite