XI
Les sentiments de la nature.
Plus que la pénétration et l'exploitation profonde
du subconscient de l'être,plus que les préoccupations
métaphysiques ou les recherches épuisantes d'un idéal
impossible,l'attachement au mystère de la nature est un des principaux
objectifs de la poésie mallarméenne.
La nature au sein de laquelle se baigne l'individu,se
révéla pour Mallarmé dès son enfance comme le
thème essentiel et réel autour duquel s'est
élevée la conception poétique mallarméenne..Car,il
n'y a que dans la nature que l'on puisse chercher et trouver l'extase et la
béatitude,si nécessaire à l'inspiration
poétique..
Ce sentiment de béatitude,d'épanouissement
psychique et d'enthousiasme exubérant s'affirme et ne se
réalise en profondeur qu'au sein de la vraie nature.
Emplis ton esprit d'azur..
Cette injonction hardie de Th.de Banville traduit
nécessairement l'ivresse et la griserie que l'on éprouve au
sepectacle de la nature,qui est le réceptacle de nos sentiments et de
nos aspirations,provoquant ainsi l'éclosion du génie et nul
poéte,quelle qu'en soit sa tendance,ne peut rester insensible à
l'envoûtement de la belle nature ,comme A..Breton le souligne encore
avec beaucoup d'assurance et de fermeté:
C'est l'azur.Tu n'as rien à craindre de
l'azur.
La magie secrète qui se fait lentement dans les entrailles
de la nature..cette exaltation infinie,ce débordement euphorique que
nul n'ose arrêter:tout cela est accompli par la volonté divine,par
cette puissance céleste que l'on entrevoit à travers chaque
souffle de vent,chaque bestiole infime,chaque brindille et chaque
chétive plante..
A l'heure oû ce bois d'or et de cendres se
teinte
Une fête s'exalte en la feuillée
éteinte!
Etna!c'est parmi toi visité de Venus
Sur ta lave posant ses pieds ingénus,
Quand comme un somme triste oû s'épuise la
flamme;
La nature ne s'éteint pas...elle n'expire jamais..elle
renaît perpétuellement de ses cendres,plus vivace et plus ardente
encore..La nature,pour le poéte de «L'après-midi d'un
Faune » est la source authentique de toute ardeur et de toute
effervescence juvénile..C'est de la nature qu'émane notre
allégresse ou notre chagrin..
Les tilleuls sentent bon s dans les bons bois de
juin
L'air est parfois est si doux,qu'on ferme la
paupière.
C'est le parfum de la douce,de l'agréable nature..et
Rimbaud,peut-être plus que Mallarmé,avait savouré,durant
ses longues randonnées nocturnes et forestières,ce charme
émouvant de la nature embaumée..Tout s'épanouit,tout
s'exulte et tout s'arrache à son inertie,lorsque la nature,émue
et émouvante,se répand dans l'espace infini.
La bête épanouie et la vivante flore.
Ainsi,à la fois par son influence impérieuse et
impérative,par ses profondeurs insondables et infiniment grandioses,la
nature s'impose de force,au point que tout jeune poéte ,même
dés le commencement de sa vie,tel que Mallarmé,se sentait
charmé,attiré et séduit malgré lui par le
sortilège de la nature..son attachement précoce pour cette
dernière s'expliquerait alors par les phénomènes d'ordre
et de désordre,inhérents au prestige et à la grandeur
immense de la nature..
Rameaux!Forêts!Silence,
O mes amours d'enfance!
..............................
O champs pleins de silence
O mon heureuse enfance
Avait des jours encor
Tout filés d'or!
L'enfance s'inquiéte et se réjouit en face de la
nature...le spectacle qui s'offrirait à elle s'incruste tout à
fait dans sa mémoire pour émerger plus tard ,en pleine
période de maturité et de profonde conscience..
De fait le charme de la nature ,sa magie majestueuse,bouleversent
et émeuvent prématurément l'esprit d'un enfant..
J'ai embrassé l'aube d'été.
De plus,la nature exerce des effets profonds et
inépuisables sur l'esprit,elle suscite de nouvelles visions des choses
et provoque même des délires exaltants,dus peut-être
à ce désordre impénétrable ou bien même
encore à cette beauté harmonieuse et éblouissante que
l'on est amené parfois à découvrir dans la nature..
Le ciel creuse des trous entre les feuilles d'or.
Et cependant,la nature-à n'en pas douter-fait partie de
notre propre être:Nous réunissons en notre sein un amalgame de
tous les éléments de la nature,les plus neutres comme les plus
bouleversants.Or l'association à ces éléments,leur
rapprochement avec nos propres sentiments et même leur participation
directe ou indirecte à l'épanouissement ou à l'extinction
de ces sentiments est un fait réel et indubitable..
Mallarmé se sentait à l'aise,lorsque,de son
appartement de la rue de Rome,il pouvait apercevoir des gens affairés,en
débandade,et le soleil inondant sa chambre d'une clarté
joyeuse,avec l'air qui charriait un effluve
d'été,s'épanouissant avec une gaîté
indescriptible..Mais en revanche,il se sentirait extrêmement mal à
l'aise,comme pris sous l'empire du chagrin et de la morosité,si jamais
il voyait que quelque chose dehors le contrariait:tels la pluie inopportune,un
vent poussiéreux et un ciel sombre,accompagné d'une série
d'éclats de tonnerre et d'orage,tout cela était de nature
à offusquer la pensée du poète de
« Divagations »,comme Leconte de Lisle semblait
interpréter la portée dans cette belle strophe:
O mers,Ô bois songeurs,voix pieuse du monde
Vous m'avez répondu durant mes jours
mauvais;
Vous avez apaisé ma tristesse
inféconde
Et dans mon coeur aussi vous chantez à
jamais.
Leconte de Lisle trouve la paix dans les profondeurs obscures de
la forêt,fuyant le monde corrompu de la société
moderne.Son exaltation est plus intense,plus profondes que celle des
romantiques,qui avaient pourtant eu le don et le génie de fureter,de
fouiller inlassablement dans le sein de la nature et d'en déceler les
secrets les plus profonds..
Ainsi la nature apaise ou aggrave l'inquiétude du
poéte et elle pourrait lui inspirer le calme,la pondération et la
sagesse,comme elle pourrait aussi provoquer son indignation et son angoisse
comme le disait déjà Baudelaire:
le ciel était charmant,la mer était
unie;
Pour moi tout était noir et sanglant
désormais..
Ce contraste frappant entre la nature joyeeuse et la douleur du
poéte s'intensifie de plus en plus au contact de la
réalité,d'une réalité implacable,enflammant
à la fois son courroux et sa verve,à la vue de quelque spectacle
de la nature meurtrie ou ravagée par la main de
l'homme:paradoxalement,P.Reverdy en a été le seul témoin
et le seul interpréte de cette nature qui avait longtemps
enchanté le poéte de Hérodiade:
Rien derrière moi et rien devant
Dans ce vide oû je deescends
Quelques vifs courants d'air
Vont autour de moi
cruel et froids
Ce sont des portes qu'on a fermées
Sur des souvenirs encore inoubliés.
L'enfance ne garde plus rien des beaux souvenirs de cette nature
décapitée et assassinée..Il n'en reste plus que le vide,le
vide effroyable,et pourtant elle reste toujours sensible au parfum de ces
lointains souvenirs si adorables.
La nature amputée,tourmentée cruellement par
l'homme,avait déjà inspiré plus d'un poéte.
De nos jours la protection de la flore et de la faune,les mesures
repressives,prises à l'encontre des destructeurs de la nature,jointes
à la propagation des idées écologistes,pour la
sauvegarder de toutes sortes de pollution :tout cela pourtant n'a rien
donné et l'on est en droit de dire que la nature est en état
d'agonie,premièrement sous l'effet d'une population toujours en
croissance vertigineuse,deuxièmement suite à l'incurie et
à l'indifférence de cette même population,qui ignore
encore les bienfaits sur la santé des espaces propres,sains et
verts;;
Nous n'irons plus au bois,les lauriers sont
coupés.
Le départ de l'été et l'apparition de
l'automne et de l'hiver,s'accompagnent parfois de l'angoisse
métaphysique du poéte,qui aspire souvent à
l'éden,à la joie terrestre et à la plénitude..Celui
qui a exprimé le mieux ce désarroi psychique,c'est Baudelaire
lui-même :
Bientôt nous plongerons dans les froides
ténèbres
Adieu,vives clartés de nos étés trop
courts!
................................
Tout l'hiver va rentrer dans mon
être:colère,
haine,frisson,horreur,labeur dur et forcé!
La misère de l'âme,la terreur insidieuse et la
mortelle anxiété,tout s'infiltre lentement dans les fibres du
coeur du poéte..pour se laisser ensuite bercer mollement par le flux et
reflux d'une nature en pleine fluctuation..Et Verlaine donna libre cours
à son exaltation énivrante ,emporté sur les ailes de la
volupté vers un univers inattendu :
Et je m'en vais
Au vent mauvais
qui m'emporte
Deci-delà
Pareil à la
feuille morte.
Le coeur meurtri et l'âme affligée de remords ,le
poéte s'engage à la recherche d'une issue;il s'accroche
à cette étincelle salvatrice qui commence déjà
à poindre aux horizons lointains d'une autre vie:
Je partirai!Steamer balançant la mature
Lève l'ancre pour une exotique nature .
La quête d'un au-delà idéal,d'un paradis qui
échappe toujours,d'un refuge de paix et de quiétude,cette
quête,en dépit des poursuites acharnées,s'est
avérée en fin de compte impossible...Et Mallarmé,face au
problème de la vie,avait cependant redoublé d'efforts,pour saisir
l'insaisissable et pénétrer l'impénétrable,et
libérer des entraves du temps l'âme humaine,pour instaurer un
climat d'optimisme et d'espérance infinie;
Mais morne et tourmentée,la nature,qui
réflète les sentiments du poéte,enveloppe l'unviers d'un
suaire de mélancolie et de deuil:
L'aube d'un jour sinistre a blanchi les hauteurs.!
Plus la nature est souriante,gaie,saine et transparente,plus le
poéte se sent comme affranchi du poids des soucis de la vie et s'adonne
plus passionément à l'amour et à l'exaltation des
sens.Mais par contre,plus la nature est sombre,plus le poéte est
triste:tel que ce poéte- enfant qui,dans sa
désolation,égaré dans les méandres de la vie,lance
son dernier cri à la nature lugubre:
Mais,vrai,j'ai trop pleuré.Les aubes sont
navrantes
Toute lune est atroce et tout soleil est amer.
Or,Mallarmé,poéte avant tout visionnaire,avait
pénétré dans les profondeurs intimes de la nature et il
en avait plus qu'aucun autre compris les mystères..alors que ses
contemporains ne se sont penchés sur la nature que pour l'associer
à leurs sentiments..
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