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La problématique de la religion.
Mallarmé est un déiste à sa
manière:pour lui-et il est juste dans sa vision -la religion est un
phénomène idéologique créé pour combler un
vide intellectuel dont souffre l'humanité...La croyance donc en la
religion est du ressort de l'individu;;car on sent qu'il y a une profusion de
religions et par conséquent,chaque individu est amené à
opter pour l'une ou pour l'autre en toute liberté.Et Mallarmé,en
son âme et conscience,avait opté en effet pour la religion de
l'art,puisque en dépit des bienfaits incontestables de la religion et
son influence salutaire,l'homme est resté toujours accablé de
doute,martyrisé par les coups du hasard et les tiraillements d'un sort
implacable,toujours aux prises avec l'angoisse et la perpétuelle
inquiétude qui émane d'un état psychologique instable.Il
ne pouvait dès lors concevoir une vie faite sans remords et sans
tourments,puisque la religion n'étant plus le baume approprié,il
est condamné à cette affligeante situation dont il lui parait
impossible de s'échapper.Il en est ainsi de ce poéte
mineur,Robert Honnert,vrai descendant et fidèle interprète de la
poétique mallarméenne,qui affirme avec un accent douloureux:
Entre la joie et la douleur
Frémit l'âme encore incertaine
La lumière paraît lointaine;
On songe encore au goût des pleurs.
Or cette persistance dans l'infortune et la douleur,continue
encore au-delà de toutes les limites,jusqu'au mpment oû,de guerre
lasse,l'homme,tourmenté par l'angoisse et l'idée de la mort,se
résigne enfin bien volontiers à recevoir le dernier coup de
grâce et de prendre le chemin du néant:c'est ce qu'a poussé
Franz Hellens encore un poéte féru à outrance de la
poésie mallarméenne au point d'être devenu comme
porte-parole le plus fidèle à déclamer d'une voix
éplorée:
Buvons!voilà vingt ans
Que nous aimons ensemble
Sans que le verre soit brisé
Ni le carafe vide
Un jour viendra oû l'un de nous
N'y sera plus pour boire
Ni pour verser;
L'inévitable séparation est inscrite sur le front
du destin de l'humanité..C'est une loi impérissable et à
jamais éternelle,s'appliquant à des successions de
générations infinies..
Avec la disparition de ces générations,c'est en
effet tout un arsenal de dogmes,de fois,de crédos draconiens et de
pratiques mystiques,le tout suggéré par la religion,qui
disparaît..
Ainsi le dernier refuge de Mallarmé n'est pas du tout la
religion,qu'il avait fermement désavouée,c'est,comme pour son
maître Baudelaire,le néant et rien que le néant,qui le
tourmentait sans répit,comme le disait J.Supervielle:
s'il n'était d'arbres à ma
fenêtre
Pour venir voir jusqu'au fond de moi,
Depuis longtemps,il aurait cessé
d'être
Ce coeur offert à ses brûlantes lois.
Dans ce long saule ou ce cyprès profond
Qui me connaît et me plaint d'être au
monde
Mon moi posthume est là qui me regarde
Comprenant mal pourquoi je tarde et tarde.
La mortelle inquiétude,l'angoisse poignante et la douleur
d'être encore de ce monde,tout s'expliquera spontanément par le
sens que l'on donne à la vie terrestre,dont les principaux fondements
est la religion pure,à la fois unique et multiple ,profonde et
simple,claire et obscure..
Cette religion,dont la profanation délibérée
ou non,conduisait à certaines époques à l'échafaud,
s'impose cependant avec plus de rigueur que jamais,rassemblant dans sa
sphère d'influence presque tous les esprits du temps..
Mais Mallarmé,ayant compris plus qu 'aucun autre la
nature de cette influence accablante et pernicieuse,chercha
désespérement à s'en défaire pour fuir dans un
au-delà plus sacré,plus brillant et plus divin:
Est-il moyen,ô moi qui connais l'amertume,
D'enfoncer le cristal par le monstre insulté
Et de s'enfuir,avec les deux ailes sans plume,
Au risque de tomber pendant
l'éternité.
La fuite dans un autre au-delà imprévisible et
inconnu,est plus acceptable cependant que d'affronter,les mains nues et le
coeur vide de tout espoir,les affreux moments engendrés par la
présence étouffante de cette doctrine que l'on qualifiait de
spirituelle et qui influe insidieusement sur les mentalités pour les
détourner de force de leur voie initiale.
Ainsi fuir,fuir et se sauver de cette terreur aveugle ,devenait
désormais le désir profond de
Mallarmé,interprété si bien par E.Verhaeren:
Ivre,il vit,oubliant l'horreur des saintes huiles,
Les tisanes,l'horloge et le lit infligé,
La toux;et quand le soir saigne
Son oeil,à l'horizon de lumière
gorgé,
Voit des galères d'or...
Fuir la religion dogmatique,tyrannique et terrifiante,pour
embrasser la religion de l'amour,de la culture et de l'art,telle était
en effet l'obsession déchirante de Mallarmé..
Mais le chemin vers l'amour de la nature,de la justice et de la
liberté,est toujours jalonné d'obstacles infranchissables,de
profondes ornières et de rocs acérés,impossibles à
surmonter,ce qui suscite souvent la colère et la juste indignation
contre l'Etre Suprême,ainsi qu'on le constate chez un Pierre Emmanuel,un
des rejetons oubliés du symbolisme mallarméen:
Je n'écris que pour toi Seigneur
Pour t'irriter,pour te séduire
Pour te présenter ma douleur
Puis de ce tribut te maudire.
L'homme est l'esclave naturel de Dieu..ce dernier possède
le pouvoir infini de faire de son esclave ce qu'il veut,puisque
l'apprpropriation exclusive à Dieu est une réalité
naturelle et métaphysique et nul n'osera élever un déni
queconque à ce sujet,en ce sens que,de son vivant et après son
extinction,l'homme est toujours la propriété de Dieu.D'oû
ce tercet émouvant de P.valéry.
Qu'importe!Il voit,il veut,il songe,il touche!
Ma chair lui plaît et jusque sur ma couche,
A ce vivant je vis d'appartenir.
Qu'est-ce donc au juste le sens de la religion?Serait-ce une
tentative pour gagner ce prétendu havre que l'on a coutume d'appeler
paradis?Ou serait-ce encore un moyen d'éviter des maux terrestres ou
encore une voie pour aboutir à l'amour de Dieu et de lui appartenir
corps et äme en toute exckýlusivité?Serait-ce alors dans ce
sens que l'on entend actuellement la religion?Pour Mallarmé,qui ne
voyait dans la religion qu'une sorte de superstition,une mystification
cruelle,tendant à entraver le libre-arbitre de l'humanité et de
la priver de toute liberté d'action,le concept de religion
lui-même mériterait d'être reconsidéré sous
tous ses aspects..puisque dans son sens actuel et vu les métamorphoses
successives de la race humaine,la religion,en tant que concept,vision ou
même principe,cette religion est-elle encore fondamentale?Sa disparition
éventuelle provoquerait-elle une rupture entre Dieu et l'homme?Et
pourtant,de nos jours,qu'il y ait religion,ou qu'il n'y en ait pas,cela
n'empêche en aucune manière de se rapprocher de Dieu et de jouir
de sa clémence,de même qu'il l'aurait souhaité
P.Claudel,le seul ,avec charles Péguy,qui ait exploré la mystique
de Dieu et de la religion:
Je sais que là oû le péché
abonde,
Ta miséricorde surabonde;
Car entre Dieu,qui n'est rien d'autre que l'Être
Suprême,qui domine de sa haute majesté la terre et le ciel,et la
religion,qui n'est en vérité qu'une doctrine et rien
d'autre,ayant pour but essentiel de faire connaitre Dieu et ses attributs..Or
entre l'un et l'autre,la différence est vaste,incommensurable,:Dieu est
supposé éternel,impérissable;la religion
,périssable et évanescente,pour ne rester que la hantise d'un
Dieu omnipotent,visible et invisible,diminateur,qui châtie et qui
pardonne,invincible et d'une ubiquité permanente.Ecoutons P.J
Jouve,partisan du surréalisme mais qui ne cache pas son appartenance
tardive au symbolisme mallarméen.:
O vierge noire dans un temple de vent clair,
Je te retrouve aux mains croisées de la
mémoire,
Chaque nuit je me trouve au banc comme une chair
Avant que le soleil ne soulève ses moires.
Les sentiments religieux influent et exaspèrent
l'âme..et ce qui est à la fois bien étrange et
contradictoire,ce sont des sentiments qui restent enracinés dans le
sein de l'être,et telle une réserve spirituelle,d'oû il
puise toute son énergie,il se sent comme retrempé et
galvanisé ,quand il se trouve au bord de l'abattement ou du
désespoir,ayant l'impression comme s'il était enveloppé
des charmes de l'éden:on trouve cet état d'esprit aussi bien chez
Mallarmé que chez ses disciples tel que Robert Honnert:
Alors légère et lumineuse
Revenant à son vrai destin
L'âme entrerait dans le jardin
Des éternités bienheureuses.
Alors selon la tradition,cette affinité,ce rapprochement
intime de Dieu et cette communion avec tout ce qui n'est pas visible,ne pouvait
s'accomplir que par le biais de la croyance et de la foi..donc de la religion
elle-même..
La foi en Dieu,comme la croyance en tout,même à la
métempsycose ou au mystère de l'au-delà,c'est le chemin
unique pour s'assurer un petit gîte dans l'éden céleste.
Mais pour Mallarmé,comme pour la plupart de ses
contemporains,qui démentent même l'existence de la religion,en
tant que médium entre Dieu et sa créature,le doute reste en
définitive comme ultime recours pour le salut du genre humain,puisqu'il
n'est pas possible de concevoir ce phénomène entre le
créateur et la créature..idée d'ailleurs que les
déistes du 18e siécle et à leur tête Voltaire
avaient soutenue énergiquement..
Mais si le scepticisme n'est qu'une sorte de refus,une
non-acceptation de ce qui n'est pas valide,il n'en demeure pas moins une
attitude rigoureuse et récalcitrante.
Et pourtant,ce qui s'avère clair et manifestement
certain,au terme de ces cogitations religieuses,c'est que l'inanité de
tout espoir dans une vie d'au-delà paradisiaque,est un fait réel
et nullement une illusion
Vertige!voici qui frissonne
L'espace comme un grand baiser
Qui,fou de naître pour personne
ne peut jaillir ni s'apaiser.
Sens-tu le paradis farouche
Ainsi qu'un rire enseveli
Se coller au coin de ta bouche
Au fond de l'unanime pli?
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