Contribution à l'étude des origines de la poésie mallarméenne( Télécharger le fichier original )par Mohamed Dr Sellam Université de Bordeaux - Doctorat 1981 |
IXDieu et la métaphysique.L'obscurité109(*) de Mallarmé tient avant tout dans sa quête incessante de Dieu..Il ne put concevoir un Dieu seul,sans qu'il y eût eu des rapports immédiats avec les phénomènes environnants.Son Dieu n'est ni le Dieu de Hegel,ni celui de Nietszche,encore moins celui de Descartes ou de Voltaire,son Dieu,à lui,est un organisateur,un bâtisseur génial et suprême et c'est pour cela que dans tout objet qui existe,on voit la présence de Dieu.Quand on se promène dans la forêt,on a l'impression de voir l'Etre Suprême dans chaque arbre,dans chaque plante et dans chacun de ces petits êtres miniscules qui avaient la forêt pour berceau et le vaste espace pour asile.Paul Claudel se range à cette conception de Dieu et traduit heureusement et mieux qu'un autre la visée métaphysique de Mallarmé.110(*) L'esprit panthéiste s'inscrit dans tout ce qui se voit,respire et s'eclipse de la surface de la terre.. Ô crédo entier des choses visibles et invisibles Je vous accepte avec un coeur catholique Ou que je tourne la tête j'envisage l'immense octave de la création! Le régne de Dieu est le régne de l'humanité.111(*).Dieu créa l'humanité avec tout un attirail complexe de dogmes et de principes pour l'installer dans un ordre organisé et lui assurer la stabilité nécessaire à son développement et à son essor... L'humanité qui s'était élargie au fil des siécles,s'astreignait en toute chose à la volonté divine et ne pouvait franchir ou outrepasser les bornes qu'il lui avait assignées sans se référer préalablement à ses commandements..Ainsi,J.supervielle,sous une forme quasi humouristique,procède à ce constat étrange: Hommes,mes bien-aimés,je ne puis rien dans vos malheurs Je n'ai pu que vous donner votre courage et les larmes C'est la preuve chaleureuse de l'existence de Dieu. Dieu regarde,contemple le désarroi,les tourments de son monde et cependant il garde le silence ,pire encore il détourne les yeux pour ne rien voir et ne rien entendre..Il s'empare des restes,des dépouilles et du charnier humain pour les drainer dans le gouffre du néant,comme le dira E.Verhaeren: Tu rouleras,en tes vagues et tes crinières, Ma poussière et ma pourriture. Mais en dépit du silence de Dieu,l'humanité persévère dans sa progression,nourrie d'espérance et de vigueur pour un avenir meilleur:et précisément,dans ce contexte,Max Jacob,fidèle à la rhétorique mallarméenne de Dieu,ajoutera de plus belle: J'attends vos silences,espace Pour devenir un astre pur J'attends les traits de votre face Mon Dieu dans les miroirs obscurs. Or l'humanité qui se résigne,qui ploie sous le fardeau de son implacable destin112(*),qui espère toujours et son espoir est exclusivement concentré en Dieu seul ,cette humanité ne s'en trouve pas pour autant allégé du poids accablant de la matière ,poids séculaire sous lequel elle ne cesse cependant de gémir,d'oû l'image funèbre évoquée encore avec non moins d' intensité par le poéte des « Villes tentaculaires »: J'aurai senti les flux Unanimes des choses me charrier en leurs métamorphoses Et m'emporter dans leurs reflux. Le problème de Dieu113(*) et de l'humanité absorba longtemps Mallarmé,un problème qu'il n'écarta pas de ses préoccupations poétiques;il s'ingénia à en comprendre les implications profondes:il concoit bien qu'il y a d'un côté Dieu qui,de par son immense pouvoir, créa et éparpilla l'humanité dans l'espace infini de son domaine et de l'autre,l'organisation géniale de cette humanité,sa coordination étroite et la nature des rapports immédiats qu'elle devait entretenir en son sein,en tant que vaste cellule vivante,pour assurer sa survie perpétuelle.. Car vivre,c'est prendre et donner avec liesse. Cet ordre planifié,cette discipline strictement conçue et mise en pratique,ces diverse lois et régles fondamentales,sont autant d'éléments susceptibles de concrétiser et d'affirmer l'esprit communautaire de l'humanité et par là promouvoir l'homme au rang d'une puissance capable de régner sur toutes les choses de la terre.d'oû cette strophe de H.de Regnier, qui illustre la perénnité de Dieu et de ses lois: L'ombre scelle d'un doigt les lévres du silence Je vois fleurir des fleurs de roses,à ta main, Et par delà ta vie entre et comme d'avance de grands soleils mourir derrière ton destin. L`homme ,devenu capable de tout,grâce à ce pouvoir insufflé en lui par Dieu,son créateur,se lance à la conquête de l'éden et ne s'apaise que lorsqu'il aura satisfait ce désir profond.Or l'espoir de F.Jammes est plus vaste que celui du Maître: « Je désire, ainsi que je fis ici-bas, Choisir un chemin pour aller,comme il me plaira, Au paradis oû sont en plein jour les étoiles » mais,malgré son pouvoir infini,et qui s'accroit de plus en plus,l'homme vit dans l'horreur perpétuelle des choses de la vie;il se sent comme emporter sur les vagues du temps,s'acheminant vers le néant inexorable:Ecoutons encore cette tirade pittoresque qui s'inscrit dans le contexte métaphysique de Mallarmé: J'ai peur du sommeil comme on a peur d'un grand trou Tout plein de vague horreur,menant on ne sait oû; Je ne vois qu'infini par toutes les fenêtres Et mon esprit toujours du vertige hanté Jaloux du néant l'insensibilité. Le temps,c'est du vide,mais du vide qui dévore et qui avale sans jamais avoir faim:donc le temps,c'est du néant,un néant qui embrasse d'un seul coup à la fois le fini et l'infini,le néant écrase de son incommensurable poids tout ce qui vit et tout ce qui ne vit pas.. Et l'homme,face à ce terrible chaos,à ce puits insondable et à ce monstre effrayant,se livre forcément à ses douleurs et à se angoisses lancinantes: d'oû l'aveu exhalé par J.Supervielle avec un soupir à peine étouffé: C'est beau d'avoir connu L'ombre sous le feuillage Et d'avoir senti l'âge Ramper sur le corps nu D'avoir senti la vie Native et mal aimée De l'avoir enfermée Dans cette poésie; La vie qui s'échappe,qui disparaît au bout d'un temps très court,engloutie dans le vaste néant,la vie elle-même n'est qu'un point obscur dans un immense globe lumineux..Et Mallarmé avait conçu l'idée de ne jamais penser à la vie,en tant que vie,mais de penser à ce qu'il y a au-dssous de cette vie,dont le doute,un doute viscéral,l'avait bouleversé profondément: Mon doute,amas de nuits anciennes,s'achève en maint rameau subtil,qui demeure les vrais Bois mêmes,prouve,hélas!que bien seul je m'offrais Pour triomphe la faute idéale des roses.. Le doute mortel114(*),terrible,qui n'a jamais cessé de hanter l'esprit de Mallarmé,ne s'éclaircit pourtant pas,mais au contraire,continue à se cramponner insidieusement à sa vision du monde,au point de lui inspirer le dégoût et la répugnance pour toutes les choses terrestres ,ce qui a fait dire P;Claudel,comme s'il était en communion de pensée avec Mallarmé: Voici de nouveau le goût de la mort entre mes dents La tranchée,l'envie de vomir et le retournement. Le le dégoût de l'existence,l'aversion tenace pour toutes choses visibles et non-visibles,voilà ce que le doute provoque en dernier ressort.. Bien plus,le doute,tel un virus rongeur,s'acharne sur l'homme jusqu'à le conduire inéluctablement à la folie et à la terreur:et P.Claudel ajoute sans espoir d'apaisement: Je prête l'oreille,et je suis seul et la terreur m'envahit. L'homme, aux prises avec l'angoisse,la douleur morale,s'achemine de lui-même vers un autre univers,l'univers de la sombre désespérance et de là à la résignation passive,inerte,à l'engourdissement de tout son être et finalement à sa fin imminente: Ridicule pendu,tes douleurs sont les miennes! J'ai senti,à l'aspect de tes membres flottants, Comme un vomissement,remonter vers mes dents, Le long fleuve de fiel des douleurs anciennes. Devant toi,pauvre diable au souvenir si cher, J'ai senti tous les becs et toutes les machoires des corbeaux lancinants et des panthères noires Qui jadis aimaient tant à triturer ma chair. Ce cri poignant,c'est celui de Baudelaire,qui a gravé dans l'âme de Mallarmé les mêmes sentiments. Car le désespoir apparaît souvent à la suite d'un acte sadique..la provocation volontaire,l'agression délibérée et le désir de nuire à autrui,sont autant de facteurs probants qui incitent aussi la victime à la haine et au désespoir... L'inflexibilité de l'objet aimé,accompagné de dédain et d'indifférence,fait naître dans l'amant bafoué un profond désespoir... d'oû encore Baudelaire: Je t'aime surtout quand la joie S'enfuit de ton front cuirassé; Quand ton coeur dans l'horreur se noie; Quand ton présent se déploie Le nuage affreux du passé. Le désespoir conduit à l'anéantissement de tout sentiment de survie et de là au néant...car rien n'est pire que l'affreux désespoir,qui déploie et se développe si intensément qu'il s'insinue dans toutes les fibres de l'âme..: Courte tâche!La tombe attend:elle est vide!
C'est l'inévitable,l'implacable trépas et l'homme,noyé dans une mer de douleur,luttant seul,sous les yeux d'un Dieu indifférent,pour survivre encore ne serait-ce qu'un moment très bref,et n'y pouvant plus, s'abandonne au courant qui l'emporte.. Vers le ciel ironique et cruellement bleu (Eau quand donc pleuvras-tu ? quand converas-tu,foudre?) Que tout concoure pour écraser l'homme!que tous les éléments de la nature s'associent,pour annihiler sa présence de l'univers..! ..L'homme ne se sent d'aucun pouvoir,d'aucune initiative pour tenter d'éluder cette avalanche de malédictions et de contre-temps foudroyants.. Au contraire,il est toujours prêt à les recevoir et à en subir passivement les conséquences,puisqu'il sait que Dieu le contemple d'en haut avec méfiance..encore le cri larmoyant d'un J.Supervielle. Et moi je reste l'invisible,l'introuvable sur terre, Je ne vous offre qu'un brasier oû vous retrouviez du feu. Un destin cruel frappe l'homme à tout un instant,se cramponne à sa gorge,le terrasse inexorablement,le réduit à une loque veule et gémissante,pour ensevelir ses cris d'agonie et ses lamentations dans le fond du sépulcre. Les morts,les pauvres morts,ont de grandes douleurs. Avec sa fin inévitable,sa disparition imminente,l'homme reçoit l'ultime offrande qui lui est réservée par son destin,c'est l'expiation dans la souffrance,la fuite dans le néant et dans l'oubli.. Toute l'âme résumée quand lente nous l'expirons dans plusieurs ronds de fumée abolis en autres ronds atteste quelque cigare brûlant seulement pour peu que la cendre se sépare de son clair baiser de feu. L'âme,accumulation de fumées épaisses,s'évapore dans le ciel noir,pour se disséminer à l'envi dans l'espace vide,et il n'en demeure plus rien,plus rien,car ici-bas tout est vanité: Hélas!tout est abîme..action,désir,rêve Parole!Et sur mon poil qui tout droit se relève Mainte fois de la peur je sens passer le vent. Ainsi l'homme qui sait d'avance que dans cet univers vague et sombre,toute résistance est vouée automatiquement à l'échec,ne voit plus qu'une alternative,se résigner à toutes les calamités terrestres ou mourir et se débarrasser d'un énorme fardeau accablant..ainsi cette supplication de Verhaeren qui incarne remarquablement les aspirations métaphysques mallarméennes: Sois de pitié,Seigneur,pour ma toute démence, J'ai besoin de pleurer mon mal vers ton silence La nuit d'hiver élève au ciel son pur calice; Mallarmé et les poétes ses contemporains et plus tard,dans leur sillage,la génération suivante,tous ont cultivé avec une passion croissante le problème métaphysique de l'existence,tout comme ceux qui ne cessent jamais d'obséder tous les esprits de tous les temps,à savoir Dieu,l'Univers et les souffrances humaines. * 109 -consulter l'ouvrage de R.Nelli :igitur ou l'argument ontologique retourné.(Les Lettres,1948) * 110 -cf.E.Noulet :La hantise d'abolir (Les lettres,1948) * 111 -cf-ernest Raynaud:la mêlée symboliste (Renaissance du livre,1918-1922) * 112 -cf.Calixte Rachet:A l'écart.(Auguste Chio,Paris,1888,réédité) * 113 -cf.Marcel Raymond.:De Baudelaire au surréalisme.(Paris,Edt.corréa,1933) * 114 -cf.Pierre Quillard :Stéphane Mallarmé.mercure de France,1892) |
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