Contribution à l'étude des origines de la poésie mallarméenne( Télécharger le fichier original )par Mohamed Dr Sellam Université de Bordeaux - Doctorat 1981 |
VIIILe rêve et le mystèreLe grand mystère de la vie,c'est évidemment le sommeil,cet acte qui s'opère dans l'incoscient,reste pour Mallarmé investi de mystère et d'inconnu et nul n'a osé exploré les profondeurs de ce mystère autant que le poéte des « Fleurs du Mal »: Le sommeil est plein de miracles. Il est vrai cependant que Baudelaire,ainsi que de nombreux poétes de l'époque,avaient tenté de voyager par la pensée dans les régions obscures de l'inconscient,surtout lorsqu'ils étaient sous l'empire du sommeil,mais leur tentative n'a jamais éclairci le mystère,au contraire,elle n'a fait que le rendre plus opaque,infiniment inaccessible. Tu sais,ma passion,que,pourpre et déjà mûre, Chaque grenade éclate et d'abeilles murmure, Et notre sang'épris de qui va le saisir, Coule pour tout l'essaim éternel du désir. Ce mystère imperceptible,inaudible et invisible,ne pouvait se concevoir qu'à l'intérieur de l'esprit,telle une vague vision,une image floue et opaque,qui s'échappe de la réalité,pour pénétrer dans la sphère nébuleuse de l'inconscient,dont le pouvoir demeure pour nous absolument inflexible. Et P;Eluard,comme son habitude,laissa ingénuement courir sa plume pour tenter de l'élucider: Ses rêves en pleine lumière Font s'évaporer les soleils, Me font rire,pleurer et rire, Parler sans avoir rien à dire.. Du rêve naît forcément l'enchantement,le merveilleux;dans le rêve,résident naturellement la sorcellerie et la magie,à la faveur des ténèbres du sommeil..L'esprit divague,le coeur s'adonne à plaisir à la joie et à l'espoir :c'est le régne d'un monde d'enchantement et de fééries fantastiques:106(*) ...............les bêtes symboliques dans la forêt du rêve et de l'enchantement. Le rêve,malgré le mystère profond qui l'entoure,est une source d'extase et d'euphorie,oû l'âme,passivement et comme dans un état d'indolence extrême,se livre langoureusement à cette béatitude infinie,dont elle était frustrée à l'état d'éveil.. Mon âme et grave,elle s'énivre à ces songes illustres Que récelent pour nous les nobles sentiments. L'âme,dans sa petite sphère,s'arrache aux soucis et aux tracas inexorables du quotidien,pour savourer les effets de l'éblouissement infini,qui s'estompe dans les horizons du subconscient,d'oû Rimbaud exhala cet aveu profond: J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies; La jeunesse ,qui brûle d'impatience,dévorée par ce désir profond de vouloir à tout prix goûter aux charmes de la vie..la jeunesse et le rêve sont liés indissolublement :qui dit jeunesse dit rêve et qui dit rêve dit jeunesse et J.M.de Hérédia avait eu le génie de l'enfermer dans ce tercet: La viole que fôle encore sa frêle main Charme sa solitude et sa mélancolie Et son rêve s'envole à celui qui l'oublie. Mais le rêve aussi se saisit de sa victime,l'envoie dans un monde d'illusions et de fantasmagories dérisoires: Quand l'ombre menaça de sa fatale loi Tel vieux rêve,désir et mal de mes vertébres Affligé de périr sous les plafonds funèbres, Il a ployé son aile indubitable en moi.. Le rêve brise,annihile la réalité réelle,pour ériger à sa place un mur de ténébres et d'ombres dansant la sarabande,oû l'esprit de l'homme s'agite et s'acharne en vain à la recherche d'une issue salvatrice. Entre l'homme et le rêve,subsiste en effet le mystère le plus étrange et pourtant l'homme dévoré par ce rêve,s'y offre voluptueusement sans résistance,car dans ce rêve,il semble trouver la paix qu'il convoite profondément..H.Michaux,héritier présumé de Mallarmé et l'un de ses descendants de talent,a su être en communion avec les cogitations du Maître: Bondissant dans ses râles, Au galop sur ses cordes sensibles et son ventre affamé Aux désirs épais Que personne ne satisfera. Voilà l'homme dans sa quête effrénée du rêve et du désir toujours insatiable..Il va encore plus loin et ne s'arrête pas seulement à la satisfaction d'une volupté éphèmère,mais tente de s'accrocherà l'infini,à l'au-delà paradisiaque,oris comme il est dans l'emprise inexorable d'une mosaïque d'images se mouvant frénétiquement dans le vague absolu.«Nous voulons,déclara G.Apollinaire, nous donner d'étranges et vastes domaines oû le mystère en fleurs s'offre à qui veut le cueillir. ».Si l'homme cherche ainsi le plaisir dans le rêve et le mystère,il semble en revanche n'avoir aucune inclination pour la connaissance de la nature et ses mystères:la poésie mallarméenne par son étendue métaphysique,et ses caractéristiques éminemment idéalistes,a exploré plus ou moins exhaustivement les mystères de la nature et d'ailleurs nul poéte ,excepté Baudelaire,n'a osé pénètrer plus avant dans les régions inconnues de la nature vague et profonde. L'homme,paradoxalement,se désintéresse catégoriquement de l'amour de la nature,dont il déplore gravement l'indifférence et le mépris pour la race humaine:,comme le clame hautement Leconte de Lisle: La nature se rit des souffrances humaines. De plus,l'homme donne l'impression d'être captif entre le rêve et le mystère de la vie,qui s'écoule rapidement pour céder sa place au néant infini et dans cet ordre d'idées,Pierre Emmanuel,semble s'être inspiré de Mallarmé,lorsqu'il insinue: Si le plus grand mystère. Est la limpidité La pure absence Ô père S'atteint en vérité en regardant l'eau claire Entre les doigts couler. Il n'en demeure pas moins que l'homme,assoiffé d'inconnu et obsédé par l'idée de la mort,est encore profondément tiraillé,déchiré par le mystère de la vie,cette vie éphémère,qui passe comme un coup de vent sur une terre stérile,pour se dissiper dans l'infini,ensevelie à jamais dans l'oubli,et en ce sens,J.P.Toulet le dit sur un ton de badinerie: Mourir non plus n'est ombre vaine La nuit,quand tu as peur, N'écoute pas battre ton coeur, c'est une étrange peine. Ce n'est pas tout,le mystère de la vie ne réside pas seulement dans l'accomplissement de son oeuvre destructrice..le mystère ,le vrai mystère,n'est ni la vie ni la mort non plus,mais c'est que la vie est elle-même jalonnée d'étranges mystères oû l'on voit la douleur de l'homme,ses souffrances multiples qui n'en finiraient pas ,mais qui plutôt accéléraient son ultime disparition d'oû,J.Supervielle,prophète de la misère humaine,dénoue cette interrogation angoissante: Ô peau humaine que traverse Misérablement les douleurs, Ö creux éponge de détresse Même lorsque tu fus sans peur Il n'est de terre sans un cri Que la terre des cimetières. En vérité l'homme est né,non pour jouir,mais pour souffrir et s'habituer aux tourments que lui aurait infligés la vie,fait désormais partie de son attachement à cette ve même,qui,pourtant,avec le temps,s'épuise et se déprime,plus par la douleur et la peine que par d'autres agents insidieux et P.Reverdy lance cette exclamation poignante: les animaux sont morts Il n'y a plus personne Regarde Les étoiles ont cessé de briller La terre ne tourne plus. La fin naturelle de la vie se clôt par la mort ..et tous les sens sombrent dans les ténèbres du néant,pour dépérir à jamais..les rêves sévanouissent ,les espoirs disparaissent,entraînant avec eux les soucis,les tribulations corrosives et les tourments vécus.. Je me souviens,je me souviens Ce sont des défuntes années, Ce sont des guirlandes fanées Et ce sont des rêves anciens.. Ce cri déchirant,c'est celui de Jean Moréas107(*),pour lui comme pour Mallarmé,:tout est vanité et rien que vanité:lutter,rêver à plaisir,s'évertuer pour s'offrir un moment de joie et de satisfaction physique,surmonter ses douleurs et les graves sévices du temps,pour se rendre compte au bout du chemin que tout cela n'est que de la vanité: Ah!songer est indigne Puisque cest pure perte! En réalité,il ne demeurera ici-bas que le mystère et l'ignorance,quel que soit le progrés que l'on fait dans la connaissance des phénomènes qui nous entourent,car en principe,il serait futile de se creuser la cervellepour comprendre ce qui est à première vue indéchiffrable,abscons et abstrus:le rêve est un mystère que nul ne dévoilera jamais,tout comme la vie,qui ne se manifeste un instant que pour s'évanouir dans les nuits du temps:d'oû cette affirmation plus que philosophique de Francis Aragon: Nos rêves se sont mis au pas mou de nos vaches A peine savons-nous qu'on meurt au bout du champ Et ce que l'autre fait l'ignore le couchant. Ignorer tout et se contenter de ce qui est connu et visible,et pourtant cela n'est absolument pas suffisant,l'homme,cet être infime et fini,dans un monde vaste et infini,ne se borne plus au strict silence,fait preuve au contraire d'une curiosité infinie pour toutes les choses de la vie et pourtant il condamné à se taire. Et le mystère,comme le rêve,pèse de tout son poids,grave,mystérieux,implacable,sur la destinée de l'homme.108(*). * 106 -Consulter à cet égard l'ouvrage de André Fontanas :Rêverie à propose de Stéphane Mallarmé.L'oeuvre et l'homme.(Mercure de France 1948) * 107 -cf.Jean Moréas:Les premières armes du symbolisme.5A.Messein) * 108 -cf.Gaëton Picon:Métamorphose de la littérature.(La table ronde,1949) |
|