Contribution à l'étude des origines de la poésie mallarméenne( Télécharger le fichier original )par Mohamed Dr Sellam Université de Bordeaux - Doctorat 1981 |
VIIPréséance et declin de l'amourMallarmé ne reconnaît pas la notion du platonisme en amour:même l'amour courtois au sens oû on l'entendait au 16e siécle,n'est pour lui qu'un paravent qui voile la réalité ,une réalité montrueuse que l'on s'efforçait de camoufler sous une forme d'hypocrisie et d'une pudeur factice. Donc Mallarmé,dans toute son oeuvre principale, et en particulier dans « l'après-midi d'un faune » avait largement cultivé le sadisme,la frénésie extatique en amour et rien n'avait préoccupé Mallarmé autant que le problème de la chair: Ou si les femmes dont tu gloses Figurent un souhait de tes sens fabuleux! Faune,l'illusion s'échappe des yeux bleus Et froids,comme une source en pleurs,de la plus chaste Mais l'autre tout soupirs,dis-tu qu'elle contraste Comme brise au jour chaude dans tas toison? Cette domination,cette mainmise sur le corps,qui s'abandonne bien volontiers au magnétisme du sens,s'exaspère au fur et à mesure que le femelle montre de la résistance et rien n'aurait pu éblouir en vérité Mallarmé que le fait de savourer sadiquement les effets insidieux de la déception ou de l'échec en amour. Le faune s'exhibe tout nu dans le vaste paysage,à la recherche d'une partenaire égarée..et tout son plaisir résiderait en toute probabilité dans cette quête d'un accouplement aléatoire,disant en lui-même « ces nymphes,je les veux perpétuer » Puis je louerai beaucoup comme il convient Cette chair bénie Dont le parfum opulent me revient Les nuits d'insomnie. La chair est devenue chez Mallarmé comme d'ailleurs chez Verlaine,une hantise,une obsession tenace dont il eût beaucoup de mal à se défaire:102(*) La chair est triste,hélas!et j'ai lu tous les livres. La tyrannie en amour n'est pas un acte inconscient,dû peut-être à une crise psychique aiguë,encore moins à une volonté aveugle de se venger de l'autre sexe,c'est au contraire un acte lucide et délibéré, un acte accompli avec une détermination manifeste,accompagné du désir réel de voir la partenaire se débattre entre l'abandon et la résistance et une volupté des plus étranges se manifeste au coeur de cette lutte farouche103(*): Je t'adore courroux des vierges,ô délice Farouche du sacré fardeau nu qui se glisse Pour fuir ma lèvre en feu buvant comme un éclair Tressaille!la frayeur secrète de la chair! ................................................ Que de mes bras,défaits par de vagues trépas, Cette proie,à jamais ingrate se délivre Sans pitié du sanglot dont j'étais encore ivre. La tyrannie du sexe ne s'impose pa seulement dans toute sa contrainte répressive,mais aussi et surtout s'exerce directement de façon impitoyable et coercitive sur la victime ou la proie,comme le montre hardiment Baudelaire dans cette strophe éloquente: .................... Montrant leurs seins pendants et leurs robes offertes Des femmes se tordaient sous le noir firmament Et,comme un grand troupeau de victimes offertes Derrière lui traînait un long mugissement. Ainsi la cruauté en amour va encore plus loin,non seulement chez Mallarmé,qui le conçoit comme un acte barbare,digne des êtres primitifs,mais aussi chez tous les poétes du temps et en particulier chez Sully Prudhomme: Souvent aussi la main qu'on aime, Effleurant le coeur,le meurtrit, Puis le coeur se fend de lui-même: La fleur de son amour périt. Le désir sexuel devance souvent l'acte qui s'accomplit parfois avec le consentement tacite ou non de l'autre partenaire;ce désir en effet suppose des gestes et des manières,afin de parvenir à mâter en quelque sorte le refus de la partenaire convoitée..Il importe donc,au moyen des détours,des manifestations gestuelles ou verbales,de créer ce climat d'enchantement,de torpeur langoureuse,pour pouvoir susciter cette attirance brûlante à laquelle nul ne résiste: Moi,de ma rumeur fier,je vais parler longtemps des déesses;et par d'idolâtres peintures A leur ombre enlever encore des ceintures Cette séduction s'opère dans l'ombre et n'apparaît au jour que lorsque la manoeuvre est couronnée de succés,car en amour sexuel tout se fait dans un mystère absolu et impénètrable,pour imprimer la marque indélébile sur la peau lisse et satinée de la proie déjà résignée: Mon sein,vierge de preuve,atteste une morsure Mystérieuse,due à quelque auguste dent. Mais d 'autre part,l'amour peut être éternel comme il peut être éphémère selon les circonstances et les conditions psychiques du couple..L'éternité en amour que Mallarmé désavoue carrément,existera en effet,lorsque l'intérêt disparaît et n' y jouera pas le rôle essentiel et seul Verlaine est expert visionnaire en cette matière: Et qu'après que je m'en aille au loin avec mon amour Qui te conservera une flamme si forte, Que même à travers la terre compacte et morte Les autres morts en sentiront l'ardeur. Verlaine lui-même avait connu l'amour dans le temps de sa jeunesse,mais cet amour au lieu de demeurer éternellement ,comme il l'avait souhaité dans de nombreux petits poémes d'une saveur exquise,s'est eclipsé de sa vie,si désordonné et souvent ravagée par des revers de toutes sortes,ces vers de P.Reverdy illustrent à merveille cet épisode tourmenté de la vie de Verlaine: Ces lignes que mes yeux tracent dans l'incertain, Ces paysages confus,ces jours mystérieux Sont le couvert du temps quand l'amour passe Un amour sans objet qui brûle nuit et jour Et qui use sa lampe ma poitrine si lasse D'attacher les soupirs qui meurent dans leur tour; Reverdy,disciple et fervent admirateur de Mallarmé,a bien suivi le maître dans sa conception de l'amour.Qu'est-ce que c'est que le vrai amour?Quel est son fondement et ses limites?L'amour consiste-t-il vraiment à aimer un autre que soi-même?Mais pourquoi aime-t-on donc cet autre?Sommes -nous condamnés à aimer-rien qu'au nom de l'amour-sans rien recevoir en contrepartie?Et pourtant,en dépit de l'intensité des sentiments d'amour éprouvés par le poéte,l'on s'aperçoit justement que l'amour est aussi éphèmère qu'une rose d'un matin..comme le définit Francis Jammes dans cette strophe plus que pessimiste: L'amour s'en va comme cette eau courante. L'amour s'en va Comme la vie est lente Et comme l'espérance est violente. Mais l'amour dure au contact de la réalité;;l'amour continuerait à vivre indéfinément s'il était nourri d'espérance et de résignation. L'amour meurt,en revanche,lorsque,attaqué de toutes parts par l'égoïsme,le mensonge et l'hypocrisie,montre de la lassitude et ploie sous le poids de l'indifférence:Ecoutons encore Francis Jammes: Je n'aime qu'elle et je sens sur mon coeur La lumière bleue de sa gorge blanche; oû est-elle?Oû était donc ce bonheur? Dans sa chambre claire il entrait des branches. Et l'on ne manque pas rappeler que l'indifférence en amour implique la pire des conséquences:Ce cri douloureux lancé par Sully Prudhomme traduit impeccablement cette situation dramatique: Vous avez désolé l'aube de ma jeunesse Je voux pourtant mourir sans oublier vos yeux. ..;.................................... Oui,pour avoir brisé la fleur de ma jeunesse J'ai peur de vous haîr quand je deviendrai vieux. Ainsi différente de la conception que Mallarmé faisait de l'amour,du moins dans ses aspects les plus immédiats,celle des poétes contemporains s'attache avant tout,à la manière et sous l'influence des romantiques,à peindre dans des poémes souvent ingénieux,leurs déboires ou leurs douleurs imaginaires,comme l'avoue encore Sully Prudhomme Ah!j'en connais beaucoup dont les lévres sont belles, ................................................ Mes amis vous diront que j'ai chanté pour elles, Ma mère vous dira que j'ai pleuré pour vous. J'ai pleuré,mais déjà mes larmes sont plus rares, Je sanglotais alors,je soupire aujourd'hui. L'amour chez les romantiques vibre de tous les ressorts que le temps n'a jamais encore rouillés et qui dure aussi longtemps que la poésie même.. Les Parnassiens,déjà hostiles à l'idée de tout ce qui est passion ou sentiment..se sont refusés -du moins en apparence-à traiter à fond cette matière et se sont bornés seulement à en évoquer quelques traits éparpillés dans leurs différentes oeuvres. Tandis que les symbolistes,qui recherchent à travers leurs oeuvres,cet idéal éminent qui leur échappe toujours,considérent que l'amour est un moyen pour s'affranchir de la routine,pour s'accrocher au plaisir érotique et se sentir vivre avec toutes les sensations que peut procurer la nature104(*).. Quel rapport y a-t-il entre l'amitié et l'amour?Pour Mallarmé les deux concepts se contredisent et ne se rejoignent jamais,car l'amour est un sentiment d'intérêt,de satisfaction physique et de concupiscence charnelle..Alors que l'amitié,si elle est souvent aussi fondée sur l'intérêt,elle n'en pouvait pas toujours être ainsi.La vraie amitié demeure celle du désintéressement ,de l'entre-aide mutuelle..Voilà enfin pourquoi l'amitié et l'amour ne se conçoivent que séparément et il n'existe entre eux aucune relation profonde. Il faudra rire mais on rira de santé On rira d'être fraternel à tout moment On sera bon avec les autres comme on l'est Avec soi-même quand on s'aime d'être aimé. Ces quatre vers de Paul Eluard le montrent bien ..Mais l'amitié se transforme accidentellement ou subitement en amour,à l'insu de l'un et de l'autre partenaire... De plus,ce changement,s'il n'était pas spontané,s'opère suivant des faits,des gestes,et même des actes délibérés,qui frisent la témérité et la hardiesse:des expédients et des mimes arbitraires auxquels on avait recours pour assurer notre conquête en amour... Mon crime,c'est d'avoir,gai de vaincre ces peurs, traitresses,divisée la touffe échevelée De baisers que les dieux gardaient si bien mêlés Le faune,qui convoite la nymphe avec une sauvagerie brutale et une détermination tenace,ne cessa d'échafauder des plans diaboliques pour assurer la conquête de sa proie et après d'intenses efforts ,il est parvenu à ses fins: Et le Romain sentait sous sa lourde cuirasse Ployer et défaillir sur son coeur triomphant. Le corps voluptueux que son étreinte embrasse. Ces vers de J.M.de Hérédia soulignent le fait que,en amour,comme en guerre,il fallait combattre,lutter contre la résistance de l'ennemi,pour le forcer en fin de compte à se rendre sans conditions et à s'abandonner à votre pouvoir. La femme,qui cherche la volupté à travers son propre corps,ne pouvait vivre sans illusion et sans rêve..En un mot,toute femme est sujette à ce phénomène latent qui est le rêve..Il en demeure de même pour l'homme,car le rêve à chaque instant de la vie hante aussi bien la femme que l'homme.: Je fais ce rêve étrange et pénétrant D'une femme inconnue et que j'aime et qui m'aime. Parallèlement au rêve qui nous obsède à l'état d'éveil en plein sommeil se manifeste forcément l'oubli,qui reste l'ennemi principal de l'amour.. C'est la nymphe qui pleure un éternel oubli105(*).
Mais on voit cependant que l'oubli,tel un monstre dévorant tout sens d'amour,est terrassé,grâce à la fidélité,à la loyauté que l'on conserve vivaces pour l'objet aimé:,comme le confirme encore ce Parnassien à la veine pittoresque J.M.de Hérédia: des larmes d'un enfant sa tombe est arrosée Et l'aurore pieuse y fait chaque matin Une libation de gouttes de rosée. Cet amour que l'on s'acharne à protéger contre vents et tempêtes,ne survécut parfois qu'un laps de temps,comme une éclaircie dans la nuit noire de la vie: Ô serments!Ô parfums!Ô baisers infinis! L'adoration pieuse que l'on a sentie pour l'être cher,les sentiments de sacrifice que l'on était prêt à faire pour lui sans réticence mais plutôt avec courage et un esprit ouvert et inébranlable,tout cela ne subsistera plus que dans un vague bonheur que l'on ne cessait d'entretenir complaisamment en nous-mêmes.,rappelons encore cette admirable strophe de Baudelaire: Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses Et revis mon passé blotti dans tes genoux, Car oû peut-on chercher tes beautés langoureuses Ailleurs qu'en ton cher corps et qu'en ton coeur si doux, je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses. Mais en revanche,on pouvait dire que pour Mallarmé l'amour est un acte,ou plutôt une action suivie de succès ou d'échec,une action oû la volupté,la concupiscence ,accompagnée d'érotisme sadique,jouent un rôle relativement primordial. Tandis que pour les poétes contemporains,et même ceux de la génération suivante ou pour mieux dire pour le plus grand nombre d'entre eux,l'amour,tel qu'il était chanté par les romantiques,demeure d'abord un sentiment,un acte de sacrifice pour l'objet désiré:Louis Aragon,fidéle témoin de son temps et pionnier infatigable du surréalisme,mouvement poétique né du sang même du symbolisme et qui en est même le symbole de sa regénérescence,Louis Aragon,dis-je,illustre admirablement à travers cette tirade la tendance de ses contemporains: Mon amourO mon amour toi seul existe A cette heure pour moi du crépuscule triste Oû je perds à la fois le fil de mon poéme Et celui de ma vie et la joie et la voix Parce que j'ai voulu te redire je t'aime Et que ce mot fait mal quand il est dit sans toi. * 102 .cf Paul Margueritte:Les pas sur le sable.(Plon-Nourrit et Cie,Paris).voir aussi Les portes d'Ivoire (Nerval-Rimbaud-Baudelaire-Mallarmé)de A.Coline (Plon,1948) * 103 Voir pour complément d'informations ,Duchesne Guillemin :Au sujet du divin'cygne' (Mercure de France 1948) * 104 -cf.Jacques Gengoux:Le symbolisme de Mallarmé (Librairie Nizt,1950) * 105 -cf l'xcellente thèse du docteur J.Freter :l'aliénation poétique .Rimbaud.Mallarmé.Proust(Janin,1946) |
|