Contribution à l'étude des origines de la poésie mallarméenne( Télécharger le fichier original )par Mohamed Dr Sellam Université de Bordeaux - Doctorat 1981 |
Le beau comme le sublime,relève de la divinité et rien ne s'élève au-delàde ses bornes présumées que par la pensée ;elle seule transcende l'infini et triomphe de l'impossible..Atteindre le beau et le dépasser,voilà à quoi vise principalement l'oeuvre mallarméenne..Le sacrifice pour la liberté,la mort pour elle et rien que pour elle,c'est le seul moyen d'atteindre et de dépasser le beau.. Aussi pour parvenir à l'universel et embrasser non pas la gloire ,une chose vide de tout sens réel,un vent de vanité et de gloriole,mais plutôt l'éternité,,dans le sens métaphysique du terme,le refuge paradisiaque,oû l'on se livre spontanément à l'extase et à l'émerveillement.. Rien n'est vrai que l'unique et morne éternité, O Brahma,toute chose est le rêve d'un rêve ! L'espoir dans l'au-delà conduit au rêve et le rêve76(*) mène directement à la jouissance profonde de l'inexprimable et de l'infini.. De même,Mallarmé,en écrivant son poéme,pouvait croire qu'il avait atteint à l'universel,lorsque,oubliant carrément le monde qui l'entourait,il s'engageait à la poursuite d'une vision,d'un reflet fugace,poursuite inlassable oû tout son être hallucinant et frissonnant s'arracha du temps pour gagner l'infini.. Cependant le vrai thème,je veux dire ,le thème qui l'exalte,qui le fascine plus que d'autre,c'est ,comme il le dit lui-même de manière spontanée, « le spectacle de la matière ayant conscience d'être et,cependant,s'élançant forcément dans le rêve qu'elle sait n'être pas,chantant l'âme et toutes les divines impressions pareilles qui se sont amassées en nous depuis les premiers âges et proclament devant le rien qui est la vérité,ces glorieux 77(*)mensonges. »Néanmoins,cette action permanente,cet accouchement profond,ne sont pas dûs à l'inspiration,loin de là,un poéme mallarméen est le produit d'un travail ardu et difficile oû le hasard n'avait jamais de place.. «Est poéte celui auquel la difficulté de son art lui donne des idées--et ne l'est pas celui auquel elle les retire »cette assrtion de Valéry,jetée au hasard,est plus qu'éloquente et ne permet plus de commentaire..
VILa poésie mallarméenne,une extraordinaire épopée de l'esprit humain.Tout au long des siécles,et depuis l'avènement de l'homme sur terre,les mots avaient pris en charge la transmission des faits et des événements..Ce sont ces mots que l'on utilise à tout moment et qui nous accompagnent à chaque instant de notre existence,qui ont assumé une responabilité millénaire,pour nous léguer tout bonnement ce qu'avaient accompli les générations écoulées..Et ce sont encore ces mots que Mallarmé,il y moins d'un siécle,avec un talent génial,avait mis au service de la musique,une musique de l'esprit et du coeur. «L'oeuvre mallarméenne,avait noté Albert Thibaudet,implique la disparition élocutoire du poéte,qui cède l'initiative aux mots..Ils s'alluments de reflets réciproques comme une virtuelle traînée de feux sur des pierreries,remplaçant la respiration perceptible en l'ancien souffle lyrique ; » Les mots,outre leur valeur musicale incontestable,sont nantis du pouvoir d'émettre un sens,une signification pour chaque chose ou chaque sentiment ; et P.Valéry,se penchant sur le signifiant et le signifié d'un poéme conclut en ces termes «La valeur d'un poéme réside dans l'indissolubilité du son et du sens »Le poéme mallarméen,échafaudé selon une technique de la pureté et de la spiritualité,ne saurait se plier à des canons de clarification et d'identification,puisqu'il se caractérise par une immense vision des choses et une étendue spaciale et temporelle infinie,si bien que l'on est tenté parfois à lui atrtribuer de multiples interprétations différentes.. L'idée de la poésie pure fait partie intégrante de la théorie de Poe .Si pour Baudelaire la poésie pure n'est qu'un aspect de la poésie en général,Mallarmé y voit le sens de toute chose,puisque la poésie pure est le miroir qui reflète la lumière de la vérité et de la beauté,jetée sur les ténèbres de l'unvers.. Que ce fût dans Hérodiade ou dans l'Après-midi d'un Faune78(*), Mallarmé,avec un esprit rigoureux et systématique ,s'était soucié profondément des préoccupations réelles de l'humanité..Chaque mot,chaque expression,porte en soi tout un monde de pensées et d'images,car entre le poéme et le récit,la différence réside effectivement dans l'usage et l'exploitation du mot . « .En somme ,souligne encore P.Valéry,faisant état de l'effet incantatoire du poéme ,par rapport au récit qui ne porte en soi qu'une réalité matérielle ordinaire,entre l'action du poéme et celle du récit ordinaire,la différence est d'ordre physiologique :le poéme se déploie dans un domaine plus riche de nos fonctions proche de l'action complète,cependant que le conte ou le rpman nous transforment plutôt en sujets de rêve et notre faculté d'être hallucinée. » Le poéme mallarméen tend à communiquer l'essence du passé,du présent et du futur,c'est un miroir non seulement des affres et des espoirs de l'individu,mais un véritable miroir qui reflète l'humanité dans sa marche,dans ses aspirations multiples comme dans son évolution complexe. C'est ainsi que dans une lettre écrite en février 1865 et adressée à Charles Morice , et dan laquelle il lui faisait amicalement quelques petites remontrances au sujet de son dernier ouvrage en vers. « L'amour est trop le sujet de vos poémes et ce mot,très incolore,revient très souvent d'une façon un peu affadissante..s'il n'est pas relevé par un fondement étrange,la lubricité,l'extase,la maladie,l'ascétisme,ce sentiment indéfini,ne nous semble pas poétique. »Cela nous permet d'affirmer en toute certitude que Mallarmé ,ayant évité de sombrer dans la banalité,comme la majorité de ses contemporains,s'est élevé à des thèmes sublimes,sans jamais dévier de la voie qu'il s'était tracée à lui-même depuis sa jeunesse.. Si mallarmé avait impeccablement traduit dans des poémes (l'azur,le tombeau d'Edgar Poe etc.)les souffrances du poéte,,dans sa solitude,dans sa frustration et dans son dépaysement dans un monde cruel,tyrannique,oû le despotisme matérialiste enserre solidemment dans son étau toutes les mentalités...il n'en a pas moins considéré que ce poéte qui souffre,qui geint et qui désespère de ne pouvoir vivre dans un tel gâchis effroyable,n'est rien d'autre que l'humanité,qu'incarne en réalité le poéte,ce chantre immortel de la douleur et de l'espoir dans l'au-delà.. Ainsi la condition humaine,dans sa retrospective comme dans sa perspective,s'estompe en traits de lumière dans le poéme mallarméen.. Certes,Victor Hugo,dans son oeuvre gigantesque,a peint clairement l'humanité sous le poids de ses accablantes souffrances..Il est vrai aussi que Lamartine,Musset ou Vigny,pour ne citer que les moindres,ont représenté l'homme au coeur déchiré par l'amertume et le désespoir d'une vie harcelée par les revers sentimentaux et ballottée par le doute et le scepticisme torturant...Il n'en est pas moins également que,par un retournement extraordinaire de l'histoire,tous les romanciers contemporains de Mallarmé,réalistes ou naturalistes,se sont penchés de plus près sur la condition humaine,en la peignant avec des traits émouvants,pathétiques et une plume toute pleine de fiel et de désarroi.. L'aventure humaine s'achève pour ainsi dire dans l'oeuvre ,brève comme la vie de l'homme,en l'occurrence celle de Mallarmé,mais exaltante et radieuse,reproduite et peinte d'une tout autre manière avec rigueur,avec un soin extrême et une intelligence éblouissante comme l'éclair qui ne s'éteint jamais..
* 76 -Cf.Albert béguin :l'âme romantique et le rêve (Edition des chaiers du sud,Marselle) * 77 Il forma le projet d'écrire un recueil lyrique qui porterait le même titre « La gloire du mensonge ou le Glorieux Mensonge »c'était en 1866. * 78 -Cf.Antoine Adam:L'après-midi d'un faune .Essai d'une explication.(L'information litt.1949)Consulter aussi l'ouvrage de H.Mondor :Histoire d'un faune (Gallimard,1948) |
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