Contribution à l'étude des origines de la poésie mallarméenne( Télécharger le fichier original )par Mohamed Dr Sellam Université de Bordeaux - Doctorat 1981 |
Cette opposition cependant n'a pas manqué de trouver écho au sein d'une catégorie de lecteurs,qui,intrigués et même ahuris par l'esprit touffu et impénètrable d'un Mallarmé,avaient l'impression comme s'ils étaient rebutés et mortellement blasés par cette nouveauté incongrue..A ce scepticisme,à cette perplexité,A.Thibaudet35(*) a esquissé la réponse escomptée « Dans la poésie pure de Mallarmé,l'initiative est laissée aux mots,comme dans la mystique du pur amour l'initiative est laissée à Dieu,.Au principe d'un poéme,il y a bien un schème,un ton émotif,un vide réceptif,une disponibilité,comme au principe du pur amour il y a toujours l'individu.Sur ce schème,pour le faire passer à l'être, agissent l'incantation et la magie transfiguratrice des mots,que le poéte convoque et à l'opération de qui il s'abandonne.Mais tandis que les mots débordaient chez Hugo en un fleuve puissant,s'épandaient chez Banville en une rivière facile,ils gouttent chez Mallarmé sous un climat inhumain,forment lentement les stalactites d'une poésie miraculeuse . » Avant même que le roman réaliste eût acquis droit de cité dans l'univers littéraire,au sein duquel il finissait d'ailleurs par s'imposer,grâce à la détermination d'un Gustave Flaubert et des Goncourt,une horde de critiques malveillants,animés par la volonté de nuire et de détruire l'oeuvre flaubertienne, avaient pris d'assaut le réalisme et de ses partisans,excitant contre eux,dans des articles violents et blasphématoires,toute une fraction de lecteurs naïfs...Mais leur agitation hystérique n'avait abouti qu'à accroître la faveur universelle pour cette innovation hardie dans l'univers romanesque.. Il en fut de même pour Mallarmé,Verlaine et tous ceux qui les avaient suivis dans le mêm chemin :les attaques continuelles des critiques n'exerçaient aucun effet contraire sur l'enthousiasme febrile de la majorité des lecteurs,qui semblaient s'épanouir,comme dans une béatitude extatique,à la lecture des vers subtils d'un Mallarmé ou ceux capricieux et printaniers d'un Verlaine..Téodor de Wyzéwa,élucidant l'énigme du vers mallarméen et soulignant la portée universelle du sens qu'il véhicule,avait conclu en ces mots « A chacun de ses vers Mallarmé s'est efforcé d'attacher plusieurs sens superposés.Chacun de ses vers,dans son intention,devait être à la fois,une image plastique,l'expression d'une pensée,l'énoncé d'un sentiment et un symbole philosophique ;il devait être comme une mélodie et aussi un fragment de la mélodie totale du poéme ;soumis avec cela aux règles de la prosodie la plus tricte,de manière à former un parfait ensemble,et comme la transfiguration artistique d'un état d'âme complet »Ainsi tout comme pour le roman réaliste et le roman naturaliste,incompris d'abord,en raison bien entendu du réseau complexe de leur sens,mais qui avaient fini,après une résistance coriace,par s'imposer pour toujours et qui pésent à présent de tout leur poids dans l'histoire littéraire,le symbolisme,nourri d'une sève juvénile,et comme galvanisé par le génie mallarméen,a creusé sa place dans l'esprit de tous les temps.. Mais ce qui est vraiment contradictoire,et qui se prête au doute,c'est que le symbolisme,comme le Parnasse d'ailleurs,a produit peu et l'on est allé jusqu'à dire que la stérilité du symbolisme serait inhérente congénitalement au type psychique de cette poésie et ne pourrait être imputée à l'absence de génie ou à l'incapacité de reproduction des poétes symbolistes... Mallarmé,cependant ,dont l'oeuvre est en effet très réduite,en raison précisément,non pas d'une indifférence manifeste à l'endroit de l'écriture poétique,mais à cause probablement de son attachement à la perfection et à la structure de chaque vers,dont la réalisation exige maints efforts et de multiples remaniements,afin de le rendre apte à suggérer le sens voulu... En ce sens,Paul Valéry,ému devant l'oeuvre mallarméenne,éprouva une sorte d'affinité intellectuelle avec l'auteur de « l'Après-midi d'un faune »,en qui il trouva les mêmes aspirations et le même goût pour une poésie anti-conformiste ,non-conventionnelle et dont la technique s'est avérée révolutionnaire : « Ses petites compostions,dira plus tard Valéry36(*) en parlant de Mallarmé dans VariétésII, merveilleusement achevées s'imposaient comme des types de perfection,tant les liaisons des mots avec les mots,des vers avec les vers,des mouvements avec les rythmes étaient assurés ;tant chacune d'elles donnait l'idée d'un objet en quelque sorte absolu,dû à un équilibre de forces intrinsèques,soustrait par un prodige de combinaisons réciproques à ces vagues velléités de retouches et de changement que l'esprit,pendant ses lectures,conçoit inconsciemment devant la plupart des textes » * 35 -Voir aussi l'excellent ouvrage de A.Thibaudet intitulé :la poésie de stéphane Mallarmé ;edition Gallimard 1926. * 36 -Cf.Variétés II,écrits divers sur Mallarmé N.R.F.1951. |
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