III
Mallarmé s'applique à suivre la mode du
temps.
La poésie parnassienne,qui avait évolué sous
la férule de Leconte de Lisle,a conquis du moins pendant un certain
temps un public intelletuel,déjà blasé par les effusions
lyriques des romantiques mais toujours avide de la noblesse classique,trouva
en effet dans la poésie parnassienne le parfum envoûtant des
âmes et des choses révolues..
Mallarmé,alors fidèle au Parnasse et à la
stratégie parnassienne,se lança,lors de sa première
production poétique dans le sillage de ses augustes
prédecesseurs,sans pour autant succomber à cette fasination
magique qu'exerça sur les esprits la nouveauté originale du
Parnasse..
Cependant,en dépit de sa haute contribution à la
poésie parnassienne,Mallarmé,qui avait d'ailleurs publié
un petit nombre de poémes au charme attachant et impeccable dans le
Parnasse contemporain,demeura dans l'ombre,sans jamais réaliser la
moindre parcelle de notoriété..
Cette contradiction,ou pour mieux dire cette déveine
inattendue n'entama en aucune façon sa persévérance
,nourrie de patience et du sens de la résignation..
Tout comme Verlaine,qui regardait la poésie comme un
délassement intellectuel salutaire et non pas un moyen
lucratif,Mallarmé n'aspirait pas à la gloire ni au profit
matériel tout au moins au début de sa carrière..
Le puritain Mallarmé,encore tout ébahi des tirades
spectaculaires de Baudelaire,n'était pas encore pret à imiter le
maître,lequel grâce à une imagination ardente,avait
longtemps pataugé dans la fange de la luxure et de la
lubricité.
L'ivresses des sens,la rumination des images sensationnelles et
pittoresques,la conception d'une poésie qui parle au coeur et à
l'intelligence,tout cela n'était qu'un projet en état de
gestation dans son esprit ; ;
Le positivisme et ses effets pittoresques,étayés
par un idéalisme purement intellectuel,l'imitation abrupte des arts
plastiques,avec çà et là,l'introduction d'un parfum
d'exotisme lointain et caduc,la rigueur dans l'élaboration de chaque
vers,comme un laboureur méthodique qui suit avec une extrême
vigilance la symètrie des lignes,tout en y répandant une semence
pure et fertile,voilà encore les régles précises
auxquelles Mallarmé,au début de sa vie littéraire,avait
donné une importance notable,sans toutefois dédaigner de suivre
de plus près son humble génération qui se cramponnait,tel
un lierre autour d'un arbre suranné,à la doctrine
parnassienne...
Ses amis,tels que Léon Dierx,qui sera plus tard
élu « Prince des poétes »Catulle
Mendès,l'ami de toujours,celui qui savait tout sur Mallarmé
L.X.de Ricard,qu'il ne voyait cependant pas toujours,en raison de ses multiples
préoccupations liées à son métier d'enseignant,
tous avaient pour Mallarmé beaucoup de respect et de sympathie
Ainsi,au milieu de cette foule de poétes,qui
s'ingéniaient vainement à se faire prévaloir aux yeux de
la masse des lecteurs,Mallarmé,toujours réticent et
éperdu,sans pouvoir avoir assez de courage pour rompre la corde
ombilicale qui l'attachait à ses amis parnassiens ,poursuivait de temps
à autre ses petites productions à la mode du temps...
Cependant H.Cazalis et même V.de Lisle Adam,avaient un jour
flairé l'indice d'une défection prochaine de la part de
Mallarmé,mais ils n'étaient pas tout à fait sûrs de
leur vague intuition et sans manifester de jalousie à l'égard de
celui qui évoluait en silence au milieu d'eux,continuaient à
entretenir avec lui des relations d'amitié sans ombre...
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