II
Mallarmé et les poétes du temps.
Leconte de Lisle,pour lequel Mallarmé ne manqua pas
d'ailleurs d'avoir de l'admiration,pour avoir régné par son
génie inlassable,sur toute une génération de jeunes
poétes,avec presque autant de constance que Baudelaire,était lui
aussi résolument déterminé à préserver le
prestige de la poésie française,en l'affranchissant des scories
et des clichés idéalistes des romantiques..
Ainsi à la tête des parnassiens,qu'il
éclairait par sa volonté et sa persévérance
imbattables, de Lisle entama un retour vers le classiscisme,d'oû il
puisa largement les principes universels de l'art...Dès lors,tous les
parnassiens,de J.M.de Herédia,qui s'était acharné à
produire de petits chefs-d'oeuvre admirables qu'il avait réuni sous le
titre évocateur « Les trophées » à
Sully Prudhomme,lequel cependant,par moments,s'est délibérement
écarté de la voie tracée par le maître,pour se
dévouer aux effusions larmoyantes des romantiques,avaient suivi les pas
de Leconte de Lisle,dans sa technique aussi bien que dans sa conception de la
poésie,oû la peinture de l'objet,tel qu'il se présentait
à l'oeil nu,devait être faite en toute objectivité,sans y
introduire le moins du monde les sentiments..
Cette munitie,cette précision ingénieuse,jointe
à cette rigueur dans la forme,étaient autant
d'éléments principaux qui avaient consacré la valeur de la
poésie parnassienne..
Même le rythme et la discipline stricte qui frise le
fanatisme intellectuel,dans l'ordre des idées et la disposition sans
accroc des strophes,sans être alourdies ni par des enjambements ou des
cesures ni par aucune entorse aux canons essentiels de la poésie
classique--avaient contribué à rendre l'autorité des
parnassiens plus insigne et plus crédible,se conformant ainsi
strictement aux injonctions contenues dans le fameux quatrain de
Th.Gautier.
Sculpte,lime,cisèle,
Que ton rêve flottant
Se scelle
Dans le bloc résistant..
Mais en dépit de leur culte de la perfection artistique,et
de leur désir ardent de rendre à la poésie sa
suprêmatie qu'elle avait toujours conservée durant des
siécles,en lui conférant une mission plus haute et plus
humaine,les Parnassiens n'avaient pas réussi à conquérir
le suffrage général de leurs contemporains..
La vision philosophique du monde,qui d'ailleurs
n'intéressait qu'une élite initiée,et qui de plus
n'expliquait en rien les phénomènes surnaturels qui
préoccupaient perpétuellement l'humanité,est une vision
irréelle et dépendra bien plus de l'imagination que de la
réalité cosmique..
Tout cela a fait que la poésie parnassienne,malgré
sa rigueur et ses multiples appels à l'esprit,la profondeur de
l'expression et l'exactitude des idées,qu'étayait constamment
une métrique savoureuse et sans tache,impeccablement riche de toutes les
sonorités harmonieuses,n'ait pas séduit le coeur du
public,toujours avide par ailleurs de la nostalgie romantique et mû par
un penchant naturel vers tout ce qui flattait sa sensibilité et
réveillait en lui les sentiments d'amour et de pitié..
C'est alors que,au milieu de cette métamorphose
spectaculaire,de ce vaste mouvement poétique,qui n'avait pourtant pas
encore atteint le pinnacle de l'apothéose,mais qui luttait
inlassablement pour y parvenir,seuls deux poétes,en l'occurrence
Mallarmé et Verlaine,très sceptiques quant au succés du
Parnasse,dont ils avaient d'ailleurs adopté les principes et qui
sentaient alors comme par intuition que le Parnasse s'acheminait vers un
déclin imminent,décidèrent dans un moment de lassitude de
s'émanciper de ce mouvement,pour réaliser eux-mêmes leur
propre conception de la poésie et essayer en même temps
d'atteindre un large public..
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