U n éclat de ta voix ,un peu de
lumière.(Mallarmé ) ? » CHAPITRE
PREMIER
Mallarmé,un vrai parnassien.
I
De la pension d'Auteuil au lycée de Sens.
Ce qu'il nous faut,à nous ,c'est l'étude
sans trêve,
c'est l'effort inoui,le combat non pareil
c'est la nuit,l'âpre nuit de travail, d'oû se
lève,
lentement,lentement,l'oeuvre ainsi qu'un
soleil !
Verlaine.
Stéphane,le jeune enfant aux yeux brillant d'intelligence
et de candeur,s'orienta,un de de ces jours splendides d'octobre,vers un
pensionnat situé à Auteuil ,aux environs de la ville de
Paris..
Le père du petit Stéphane,soucieux de
l'éducation de son enfant,s'entêta,en dépit de l'opposition
farouche de la mère1,à le faire inscrire dans ce
pensionnat,et c'était lui qui,conscient de la haute mission qu'il devait
accomplir,emmena et remit le jeune élève à la direction
du pensionnat,après avoir bien entendu pris soin de prodiguer ses
conseils judicieux à sa progéniture...
Ainsi l'enfant,peu habitué à vivre dans un milieu
agité,se trouva soudain propulsé dans un monde d'enfants
turbulents et espiégles,spectacle effarant dont il revivra plus tard,une
fois devenu à son tour éducateur des jeunes âmes,les
tristes souvenirs ,et c'est ainsi que,pour lui,se succèdent les
générations,et avec elles,leurs vices,leurs habitudes et leurs
turpitudes invétérées...sans le moindre changement
positif..
Cependant,malgré son manque de disposition à
s'adapter à un tel milieu2,non seulement
hermétique,mais encore rendu incommode par une discipline
intransigeante,le petit élève se rappela les conseils paternels
et se laissa,après quelques réticences,entrainer par le courant
auquel d'ailleurs il ne pouvait plus résister...
Peu à peu,il finit par s'accoutumer à ce
gâchis,à ce désordre et à cette
incohérences,hérissée de contradictions multiples,dont il
éprouvait un grand malaise,mêlé de résignation..
Ce monde de désordre incongru et
hétéroclite,lui communique à son insu l'image
obsédante du phénomène
métaphysique..,c'était une mosaïque d'etres impossibles
à saisir,de lutins ou de sylphides ou de faunes
fugitifs3...L'enfant à l'esprit lucide et clairvoyant croyait
un instant qu'il descendait dans un univers fantasmagorique 1(*)s'acheminant,emporté
irrésistiblement sur des nuages opaques,vers un abîme d'ombres et
de fantômes...Et brusquement,comme s'il était mordu par une
bête infâme,s'arracha à ces rêves nébuleux
pour se sentir soulagé ,tel un voyageur qui atteint sa destination
après un pénible périple ..
le maître du pensionnat,un homme borné et
conservateur des traditions vétustes,ne 3(*)connaissant de son métier que les
méthodes disciplinaires,des méthodes strictes et rigides,ne
semblait en aucune manière deviner ou percevoir ce qui se passait dans
la tête de cet enfant.....
Au contraire,il le relégua au fin fond du local,le
laissant parfois seul ,en lutte avec des êtres mystérieux,avec
lesquels il semblait en communion perpétuelle et qu'il tentait
d'amadouer avec son génie d'enfant au comportement bizarre...
Alors rien,chez cet enfant fourvoyé dans ce pensionnat,ne
semblait réveiller la curiosité du maître,rien ne semblait
l'exciter à se rapprocher de l'enfant et de comprendre ses penchants et
ses goûts étranges pour des choses imaginaires..
L'enfant,tout au long de son séjour dans ce triste
pensionnat,demeura méconnu,inconnu,perdu dans des pensées
vaporeuses et éphemères,qui n'avaient de consistance que dans sa
petite cervelle de gosse à la recherche de l'impossible...et c'est
justement avec lui-même qu'il paraissait alors plus à
l'aise,surtout lorsqu'il s'adonnait à l'envi à évoquer
ses rêves enfantins et à explorer au moyen de son imagination
anodine,des ombres volatiles qui dansaient la sarabande sous ses yeux
extasiés..
Ainsi au pensionnat,l'enfant hérita le goût amer de
la vanité de ce monde..la fin inéluctable de rêve de la vie
et le morose déchirement du destin..
Dès que le père remarqua que le pensionnat n'est
plus désormais indispensable pour le jeune enfant et que,suivant la
tradition de l'époque,il lui fallait aller plus loin dans son
apprentissage pour la vie,il le plaça dans un lycée,le
lycée de Sens,selon son appellation commune..
C'est ainsi que l'enfant,après son expérience du
pensionnat,se trouva tout à coup mêlé à une nouvelle
foule d'élèves,un nouvel univers dont il ignorait tout,mais dont
il commençait cependant à assimiler les lois et la
discipline,plus souple et beaucoup moins draconienne que celle du
pensionnat..
Son adaptation fut aisée et il ne rencontra pas de
difficultés pour se faire aimer et comprendre par ses condisciples.Sa
raison d'être,c'est dêtre à la hauteur de la confiance du
père et d'être obéissant et docile avec tout le
monde..
Cependant il se rendait compte ,de temps en temps,qu'il n'est pas
fait pour obéir à des régles,et des
coutumes4...Il éprouvait le besoin,un besoin tenace ,de dire
à tout le monde que tout ce qu'il voyait le révoltait et
provoquait en lui indignation et malaise..Mais le jeune garçon,qui
n'avait pas encore atteint quinze ans,se refugiait dans le silence,un silence
impénètrable,en cachant dans le fond de son coeur tous les maux
qu'il en ressentait..
Alors il préféra ne rien dévoiler de ce
qu'il souffrait intérieurement .La discipline,bien qu'elle fût
moins austère qu'elle ne l'était au pensionnat,le scandalisait et
s'y plier,c'eût été pour lui un vrai supplice :par
là tout son souci était de l'esquiver par quelque moyen que ce
fût...
Pour lui la liberté en tout est la première
condition de l'existence,la liberté de choisir comme la liberté
de penser est la preuve éclatante d'une maturité et d'un
civisme ,d'un savoir-vivre authentique...
Choisir ses auteurs,s'absorber librement dans leur lecture,sans
être gêné par d'importuns conseillers qui chercheraient
à vous imposer des contraintes ;écrire ce qui se passait
par la tête sans s'astreindre à des régles qui
entraveraient la liberté de cré ation:voilà pour lui
le principe idéal de tout progrès humain5...
Un jour,aux environs de midi,et pendant que le jeune
Stéphane était en classe avec ses camarades,le proviseur fit son
entrée ;tous les garçons se turent et un silence
effrayant,terrible s'installa au sein de la salle..
Le proviseur,homme dégingandé,pataud et à
l'air sévère,après avoir promené ses regards sur
les visages des garçons,s'arrêta à la hauteur du jeune
Stéphane et d'une voix ironique ,laissa tomber..
« ah !oh ! Mallarmé...mais qu'est-ce
que vous lisez là ?...Euh !Je vois bien..c'est de la
poésie de Charles d'Orléans...c'est un auteur qui se
caractérise par la complication du style et le culte du
mystère..Es-tu en mesure de comprendre cela ? S'insurgea le
proviseur,sous l'hilarité étouffée des jeunes potaches
que la scène parut avoir émoustillés
jovialement...Cependant le jeune garçon ,mis dans l'embarras par une
telle question,baissa les yeux et les mains frémissantes,à peine
étalées sur les pages du livre ,prononça avec une
extrême obséquiosité
.. « -Oui,Monsieur,certainement ..je crois que j'ai tout saisi
,malgré l'orthographe ancienne ...d'autant plus que j'ai eu l'occasion
de le lire en compagnie de mon père,qui s'était donné
beaucoup de peine pour m'eclaircir quelques détails sur la vie de cet
auteur génial...d'un autre côté,un auteur authentique
n'aspire jamais à dévoiler ses idées..il doit s'attacher
à cultiver le mystère et..
« Assez.. ! assez.. !J'entends mon
petit...interrompit ironiquement le proviseur,l'air incrédule,..mais
c'est un auteur qui n'est pas dans le programme...D'ailleurs il parait qu'il
est inaccessible pour un enfant de ton âge.. ----Oui,monsieur,vous avez
mille fois raison,mais je vous l'ai déjà dit..j'adore ce qui est
difficile et le sommet le plus rude me parait le plus facile à
atteindre..
« --Assez de niaiseries !proféra le
proviseur calmement,qui connaissant par ailleurs l'esprit étrange et
abscons de cet enfant précoce,ne put s'empêcher un instant de
méditer ces mots dits d'une manière spontanée et avec un
sérieux sans faille..
Et sous le murmure étouffé des enfants,il se
dirigea hâtivement vers la sortie,pour disparaître en un tournemain
dans les longs couloirs du bâtiment..
Stéphane,après être calmé de cette
commotion inattendue,se résigna et poursuivit sa lecture avec plus
d'acharnement..
Au bout de quelques moments,il leva les yeux et s'aperçut
à son grand étonnement que les yeux de ses camarades
étaient braqués sur lui,en silence,l'air narquois..
Ebauchant un sourire forcé,il baissa de nouveau les yeux
et poursuivit sa tâche non sans grommeler quelques mots inaudibles..
La vie au lycée,avec ses tracas et ses tapages infinis,ses
contraintes et ses obligations impératives,lui avait inculqué le
goût de la patience et de la persévérance dans tout ce
qu'il entreprenait..Le lycée de Sens,pour Mallarmé,est un univers
dont il a mesuré les limites et dont il a sondé les carences au
même titre que les avantages,qui ont totalement transformé sa
vision du monde et de l'existence et contribué à lui ouvrir le
chemin vers la gloire et la liberté.. ;
* 1 2Il s'agit bien
évidemment de la belle-mère de l'enfant,puisque sa mère
est morte en 1847 alors qu'il est âgé à peine de 5 ans
2-Mallarmé s'y sentit en effet mal à l'aise,si bien
que les responsables de ce pensionnai l'avaient qualifié de mauvais
écolier.
3- Voir à ce sujet « l'après-midi d'un
faune »oû Mallarmé,sous la forme
d'êtresbizarres,à l'instar de Shakespeare,évoque le
phénomène de la vie sauvage et à l'état de
nature.
4-Ceci est dans sa nature même:n'être pas comme les
autres,c'était pour lui un grand honneur.Le pire,c'est qu'il sera
renvoyé du Pensionnat pour son caractère d'indépendance et
de liberté.
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