2
.
Peindre non la chose ,
l'effet qu'elle produit.
La poésie symboliste n'était pas l'oeuvre de
Mallarmé....Elle était au contraire l'oeuvre d'un grand nombre
de poètes contemporains,issus tous de Poe et de Baudelaire...
Mais,Mallarmé,grâce à une vive
intelligence,alliée à une intuition quasi
extraordinaire,était résolument déterminé à
prendre un chemin jamais battu jusqu'alors...et à ses risques et
périls,il s'engagea,en solitaire,courageusement,dans la réforme
de la poésie.
Ainsi conscient de sa force et de sa puissance à faire
sortir la poésie,malgré l'émergence encore timide de
quelques nouvelles idées,du marasme intellectuel où elle
pataugeait,il se sentit en effet de taille à se lancer dans cette
avanture,excitante mais cependant jalonnée d'obstacles
infinis. « Le plus bel effort des
humains est de changer leur désordre en ordre et la chance en
pouvoir.C'est là la véritable merveille.J'aime que l'on soit dur
pour son génie.(Valéry »
le principe de l'art,l'essence de l'art et la puissance divine de
l'art..tout cela formait dans l'esprit de Mallarmé,une seule vision,une
illumination éblouissante qui l'avait guidé tout au long de son
ascension progressive vers la grande découverte.
« Tout ce qui est dans la nature est dans
l'art .(V.Hugo). »
Aucun poéte,à l'époque,n'a eu une telle
vision,et aucun poéte,excepté évidemment Baudelaire,n'a
mieux compris le prestige de l'art autant que Mallarmé...L'art au
service d'une idée,d'un schéma d'images à l'état
embryonnaire...L'art exalte et ravive la poésie et oriente la
pensée vers le sublime et le pathétique,pour infuser à la
poésie un pouvoir infaillible .« Une paysanne bien
née s'épanouit sans effort à la poésie des psaumes
latins,même non chantés,et plus d'un enfant a goûté
la première églogue avant de l'avoir
compris.(Brémond) »..
Le génie de la poésie,son magnétisme tenace
et sa grandeur,ne se conçoivent nullement sans cette force
mystérieuse,que le poéte,tel que Mallarmé,sentait
naître en lui ; « Soit !J'accepte que des
vers merveilleux aient cette absurdité,je défie qu 'elle les
prive de leur pouvoir et celui-ci sera d'autant plus grand qu'ils seront
chargés de « mystères »
Mallarmé,avec un courage et une hardiesse indomptables,a
pu donc réaliser le grand miracle du siécle :créer
une poésie difficile et abscons certes,mais une poésie qui,loin
de s'engager dans la routine et le banal,fût capable d'affronter
l'inconnu et l'impénétrable, si bien que,sans risque de se
tromper,l'on pourrait justement appliquer à Mallarmé,les mots si
élogieux que Baudelaire avait adressés dévotement
à son incomparable précurseur Edgar Poe « Il ne
doit se glisser un seul mot qui ne soit une intention ,qui ne tente à
parfaire le dessein prémédité. »
Mallarmé n'était pas seulement original dans sa
conception de la nouvelle poésie,mais il est encore inimitable,car il a
su avec un don exceptionnel rendre au mot son énergie et sa
vitalité :« Aussi longtemps qu'ils (les mots)se
trouvent à exprimer ou à suggérer,la main qui les choisit
et qui les ordonne ,n'est pas la main d'un poéte »
Le germe des images poétiques,comme l'illustration des
concepts ou visions issus en quelque sorte du subconscient,se réalisent
chez Mallarmé,à la suite d'une impulsion salutaire,tel un flux
électrique,parcourant fiévreusement tous les replis obscurs de
son être..chose que l'on n'a jamais vu chez aucun poéte
moderne,quel qu'en soit le pays oû il est né,exception faite bien
entendu pour les mages ou visionnaires des époques
médiévales. Il est vrai que l'expérience
poétique elle-même se passe dans cette joie de
l'âme,oû ne sont produits ni les idées,ni les sentiments,ni
les images,mais dés qu'il s'agit de traduire ,de communiquer cette
expérience,en d'autres termes,dés qu'il s'agit de réaliser
,d'écrire un poéme,force est bien de recourir à ces divers
éléments .
L'expansion de l'image,son étendue et sa dimension,la
vision expressive des choses,la réalisation d'un univers de
mystères et de rêves , l'extériorisation des sentiments
étranges et surnaturels,tout cela en vérité
s'achève sous la poussée extraordinaire des
phénomènes exogènes à la nature du
poéte...Certes il n'est pas question du tout d'inspiration,car
Mallarmé désavoue carrément avoir été
« saisi » par cette
« force » inconnue,mais qu'il recourait au
contraire ,comme on s'en apercevra judicieusement tout au long de la
présente thèse,à la création consciente,sans
médium et sans miracle et c'est justement là,la
vraie,l'authentique réalisation des choses de l'esprit,sans ambages ni
grandiloquence,..Avec la simplicité et l'assurance d'un génie
profondément réaliste..
D'ailleurs créer le pathétique,se baigner dans la
nature émouvante de l'esprit,s'acharner à la recherche d'un
idéal parfait pur et mystérieux,autant d'aventures dont
Mallarmé avait connu l'expérience
une expérience réussie,dont on apprécie
aujourd'hui l'effet surnaturel et le caractère
génial..« Le sublime lasse,le beau trompe,le
pathétique seul est infaillible dans l'art. »
Plus ardent que Baudelaire,le Maître qu'il
vénérait jusqu'à l'idolâtrie,plus enthousiaste que
Poe,dont le caractère si sombre avait provoqué en lui autant
d'admiration que d'embarras,Mallarmé s'est attaché en toute
exclusivité à devenir,au prix de durs sacrifices et de grands
efforts,l'égal de ses prédecesseurs inoubliables..
Il conçoit que le poème ,non seulement doit
être empreint de musique et de beauté,mais aussi le reflet
d'idées et de sentiments,s'opposant manifestement à ce qu'on
affirmait à l'époque que le poéme,en tant que produit
esthétique,ne devait pas nécessairement ëtre l'expression de
sentiments ou véhiculaire d'idées..Au contraire le poème
pour Mallarmé,transfigure la réalité et c'est là sa
fonction principale ; ;il s'extirpe de l'inconnu obscur pour
s'exhiber dans sa nudité mystérieuse aux yeux du lecteur la
formule de Valéry « une préparation de
poésie à l'état pur »peut avoir un sens.IL
peut s'agir d'une préparation chimique dont le résultat serait
un poème ou tout simplement d'une préparation métaphysique
,c'est-à-dire abstraite,.La première serait l'oeuvre d'un
poéte,la seconde d'un philosophe.Quelle que soit la pensée de
Valéry,je ne crois pas pour ma part,à la possibilité d'un
poéme d'oû serait exclue toute espèce d'idées,de
sentiments ou d'images.
Le contenu de la poésie mallarméenne n'est pas le
produit d'une influence,encore moins un ramassis touffu de réminiscences
ou de vagues intuitions,recueillis en vrac dans de lointains souvenirs,mais
c'est plutôt le résultat d'un effort,d'un travail
acharné,des tentatives à la fois inépuisables et
infiniment innombrables,accomplis par un homme qui se prenait cependant pour un
dilettante en poésie et non un poéte de carrière..
La situation de la poésie vers la fin du XIXe
siécle,une situation très proche en vérité de
l'anarchisme intellectuel,oû chaque poéte,pataugeant dans la
routine,les clichés et la réitération perpétuelle
des thèmes romantiques,ne pensait avant tout qu'à
reconquérir un public de lecteurs plus large,sans jamais se
préoccuper du sort que l'avenir réservera à son
oeuvre...
Mallarmé,ayant en horreur cette catégorie de
poétes,qu'il avait déjà pris en grippe ,depuis même
sa tendre enfance,s'engagea dans la voie tracée par son Maître
Baudelaire,tout en s'aventurant dans un univers encore intact,vierge et
insoupçonné,sans se soucier le moins du monde de la
réaction hostile de ses contemporains..
Ce genre de poésie qu'il avait relevé par son
génie,était en effet la vraie poésie,purifiée des
stéréoypes et des images monotones et insigtnifiantes,pour lui
conférer un pouvoir profond et
inaccessible .« Aujourd'hui nous ne disons plus : dans
un poéme ,il y a de vives peintures,des pensées ou des sentiments
sublimes,il y a ceci et il y a cela,puis de l'ineffable !Nous
disons :il y a d'abord et surtout de l'ineffable étroitement uni
,d'ailleurs,à ceci et à cela.Tout poéme doit son
caractère proprement poétique à la présence du
rayonnement,à l'action transformante et unifiante d'une
réalité mystérieuse que nous appelons poésie
pure.(Brémond) »
C'est évidemment la poésie mallarméenne et
nulle autre poésie,qui avait inspiré à Brémond
cette fameuse affirmation.La poésie mallarméenne,sortie du
néant pour exprimer un fait profondément ancré dans
l'être,s'élève au-dessus de toute poésie,d'abord par
son originalité incontestable,ensuite par l'impact profond qu'elle a
exercé et qu'elle exerce encore sur toutes les
générations de poétes et de simples lecteurs.
La postérité,qui raffole d'ordinaire d'une
poésie originale,portant le sceau non pas de la clarté ou de
l'intelligibilité,mais le sceau du mystère et du
fantastique,s'attache ingénieusement à instaurer la tradition de
la poésie symboliste dans un cadre plus vaste et plus rayonnant..
La poésie mallarméenne ne déconcerte
nullement par son caractère obscur et ténébreux,mais au
contraire éveille des sentiments de quiétude ,de douceur et de
langueur extatique,rien que par la musique onctueuse et divine,et par le rythme
agréable de chaque vers...
« L'émotion que vous cause la
méditation de la mort..le vent qui gémit à travers les
ruines ou sur les tombeaux,l'harmonie des sons...la rêverie,le
frémissement intérieur de l'âme , oû viennent se
rassembler et comme se perdre,dans une confusion mystérieuse,toutes les
puissances des sens et de la pensée »C'est
là en effet la vraie fonction de la poésie
mallarméenne,qui,s'élevant vers les espaces célestes ou se
repliant sur les coins noirs de l'intérieur de l'âme,enchante et
ensorcelle toutes les sensibilités..
Ce cheminement lumineux qu'a pris la pensée de
Mallarmé pour déclencher et faire évoluer encore plus
intensément la réforme en poésie..ne s'arrête
néanmoins pas là,il a dû poursuivre son
développement ,pour embrasser l'avenir...
« Mais le terme de poésie pure,la
catégorie de poésie pure,offre aussi un antre sens...Je pense
à Poe,à Mallarmé et à Valéry,...à
l'idée d'inspiration s'oppose celle de fabrication,à
l'idée du génie qui souffle du dehors,celle du génie qui
s'attache à une matière,mais une matière pure,à
l'idée de de facilité aérienne,celle d'une
difficulté qui s'applique.(A.Thibaudet) »
La poésie de Poe,de Mallarmé ou de
Valéry,qui s'allient ;s'unissent et se fondent en une seule
poésie ,sans discrimination entre elles...marquée à tout
jamais par le cachet indélébile de l'omnipence intellectuelle et
visionnaire,son faites pour voguer indéfinément à travers
le temps,pour échouer sur les rives du havre de l'intelligence et des
lumières infinies ;
« O Pan !Fais de ma voix la trompette
fidèles
qui jette à l'univers au milieu des
éclaires
|