2. L'écriture institutionnelle ou la
politisation de l'écriture
Selon Jean Dubois, l'institution est comme un «
ensemble de normes s'appliquant à un domaine d'activités
particulier et définissant une légitimité qui s'exprime
dans une clarté ou code »24. Dès lors,
parler d'écriture institutionnelle équivaudrait à parler
de langage codé, conventionnel, propre à une collectivité
s'inscrivant dans une pantopie idéologique, qu'elle soit culturelle ou
politique. L'écriture institutionnelle est donnée pour jouer un
rôle social, politique au point d'imposer une idéologie, «
par l'unité et l'ombre de ses signes, l'image d'une parole
construite bien avant d'être inventée » pour parler
comme Roland Barthes.
En effet, la théorie de l'institution littéraire
a été développée par Jean-Paul Sartre,
Qu'est-ce que la littérature ?, et Roland Barthes, Le
degré zéro de l'écriture. Selon ces auteurs, la
littérature est saisie comme le produit d'une société
historique25, et l'écrivain, quoiqu'il fasse, est en
situation dans son époque26. L'écriture
institutionnelle affirme donc l'engagement de l'écrivain au service
d'une cause sociale, d'une idéologie, suscitant ainsi des mouvements et
écoles littéraires. Pour nous rendre à l'évidence
de l'idéologie en littérature ou de la politisation de
l'écriture, nous allons nous attarder sur l' «écriture
bourgeoise » dans la littérature française, et sur l' «
écriture de la Négritude » dans la littérature
africaine.
23 Sociolecte désigne la variété
de langues parlées par une communauté, un groupe
socioculturel.
24 Jean DUBOIS, L'institution de la
Littérature, Bruxelles, Edition Labor Nathan, 1929, p.31.
25 Roland BARTHES, Le degré zéro de
l'écriture, Paris, Edition du Seuil, 1953, p. 19.
26 Cette expression est empruntée à
Jean-Paul SARTRE, Situation II, p.13.
21
2.1. L'écriture bourgeoise
Cette forme littéraire qu'on pourrait appeler
`'écriture bourgeoise» est plus un fait historique et social qu'un
produit littéraire. L'Histoire crée les formes
littéraires, et toute la Littérature générale est
incontestablement une Histoire des écritures. Lorsque nous nous situons
dans le 17ème siècle, l'écriture bourgeoise,
liée bien évidement à l'histoire d'une classe sociale, a
connu la même gloire et la même déchéance que la
classe dont elle est l'émanation. Qu'est-ce qui définit
l'écriture bourgeoise ?
La création de l'Académie française a
apporté une nouvelle impulsion en même temps qu'une
consécration officielle aux travaux relatifs à la langue. En
1647, Vaugelas, alors membre de l'Académie, publie d'importantes
Remarques sur la langue française. A cela s'ajoutent les
multiples publications de l'Académie notamment Le Dictionnaire de
l'Académie en 1694. Dans l'évolution de cette langue
française, qui se fixe désormais peu à peu, pour devenir
une langue épurée de tout problème linguistique, va
apparaître une réalité formelle qui est donnée comme
résultat ou phénomène de l'Histoire. C'est ce que Barthes
affirme en ces termes :
« En créant une raison intemporelle de la
langue, les grammairiens classiques ont débarrassé le
Français de tout problème linguistique, et cette langue
épurée est devenue une écriture, c'est-à-dire une
valeur de langage, donnée immédiatement comme universelle en
vertu même des conjonctures historiques »27.
2.1.1. L'écriture de la classe dirigeante
L'écriture bourgeoise est une écriture de
classe, c'est-à-dire exercée exclusivement par une
catégorie de gens tenus pour détenir les pouvoirs politique et
intellectuel : la bourgeoisie. Tributaire des Anciens, la littérature
bourgeoise tend à la clôture puisque d'ailleurs elle n'est
27 Roland BARTHES, op. cit., p.46.
22
avant tout que le prolongement de l'encyclopédisme des
préclassiques28. En effet, « l'autorité
politique, le dogmatisme de l'Esprit, et l'unité du langage classique
sont donc les
figures d'un même mouvement historique
»29. Ce qui caractérise le mieux cette
écriture est la
préciosité du langage, l'attachement à la
rhétorique. La clarté comme valeur gouvernait l'écriture
classique dont le triomphe est en même temps celui de la bourgeoisie
dominante et dirigeante, laquelle est restée inébranlable
jusqu'en 1848. La littérature classique a prôné la
clôture du langage littéraire, qui était
considéré comme discours vrai, unique et universel. Evidemment,
elle a développé une littérature tournée vers la
quête de la Vérité. Ceci est une évidence dont
témoignent certaines phrases de cette écriture, devenues des
maximes, des proverbes et des pensées de nos jours. C'est parce que
l'idéologie bourgeoise, fondée sur le culte de la
rhétorique, accordait bien plus d'importance au fond qu'à la
forme. En cela, l'écriture bourgeoise était donnée non
seulement comme une pluralité des rhétoriques mais encore comme
une parfaite incarnation de la pensée classique de clôture et
d'universalité.
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