CHAPITRE : II
LE PROCES DE LA DICTATURE ET L'ASPIRATION A LA
DEMOCRATIE
En attendant le vote des bêtes sauvages est une
oeuvre hautement politique dans la mesure où cette oeuvre, en
(re)présentant les dérives dictatoriales des chefs d'Etat
africains postcoloniaux, propose, dans le même temps, un nouveau
système politique, la Démocratie, symbolisé dans l'oeuvre
par les phénomènes de l'altérité et de
l'hybridité.
En effet, c'est un procès ouvert que Kourouma fait de
la dictature et du néocolonialisme, dont il anéantit le discours
embrigadant et liberticide, pour ouvrir la voie du dialogue et de l'alternance
démocratique.
1. Entre l'encre et le sang: le jugement
Kourouma dénonce à travers une incisive ironie
les barbaries perpétrées par les régimes dictatoriaux
fondés sur des partis uniques. Le roman de Kourouma est une image
figurative du procès de la dictature dans cette « Afrique aux
mille dictateurs ». En effet, le personnage central du roman, Koyaga,
le prototype des chefs d'Etat dictateurs, semble comparaître devant le
tribunal des maîtres chasseurs, où sont dénoncés ses
saloperies, ses conneries, ses mensonges, ses nombreux crimes et assassinats.
En attendant le vote des bêtes sauvages, entre l'encre et le
sang, c'est-à-dire, l'écriture et la politique, est moins un
simple donsomana, récit purificatoire, qu'un avant goût du
Jugement dernier, celui du peuple ou celui de Dieu ; c'est plus nettement une
condamnation de la dictature et une dénonciation du
néocolonialisme.
1.1. Condamnation de la dictature
Dans le roman, on constate que la plupart des
présidents dictateurs ont accédé au pouvoir par la voie de
la force, les coups d'Etat, bravant et invalidant toutes dispositions
105
constitutionnelles. Ils ont imposé aux peuples un
régime draconien, avec des principes fondés sur la violence. En
lisant le roman, fait d'un réalisme étonnant, on a guère
de peine à revivre le despotisme, l'autocratie et la dictature des chefs
d'Etat comme Houphouët-Boigny, Sékou Touré, Mobutu, Bokassa,
Hassan II et Gnassingbé Eyadéma. Comi M. Toulabor ne dit pas
autre chose dans son point de vue sur le roman, publié dans
Politique africaine n°75-octobre 1999 :
« Le roman En attendant le vote des
bêtes sauvages d'Ahmadou Kourouma est une saga politique de
l'Afrique contemporaine qui met en scène le président togolais
Étienne Gnassingbé Eyadéma à travers la figure du
héros principal Koyaga, le président ivoirien
Houphouët-Boigny affublé du surnom Tiékoroni, l'empereur
Bokassa alias Bossouma, le président guinéen Sékou
Touré incarné par Nkoutigui, le président zaïrois
Mobutu sous les traits de l'Homme au totem léopard, sans oublier
Maclédio, l'âme funeste de Koyaga, l'alter ego de Théodore
Laclé, ancien ministre de l'Intérieur d'Eyadéma... Pour
n'en retenir que les personnages les plus marquants. Avec la complicité
et la bénédiction de forces occultes ou divines, ceux-ci ont
investi le pouvoir politique et s'y maintiennent par la violence, le sang et la
terreur : pillages, tueries, sacrifices humains, mensonges hyperboliques, etc.
»
Nul ne dira autre chose. Mais il faut ajouter que Kourouma a,
en réalité, entrepris d'éclairer la réalité
de la scène politique togolaise. Comi Toulabor finit son point de vue en
donnant cette précision : « La force de Kourouma dans son roman
est d'avoir réussi un clonage presque parfait de la vie politique
togolaise ». Ajoutons que l'oeuvre consiste également en une
dénonciation du néocolonialisme.
|